La mort d’un enfant syrien expose la complicité du Canada dans la crise des réfugiés

Le premier ministre Stephen Harper a réagi à l’indignation publique à l’égard du traitement inhumain que réserve le Canada aux réfugiés avec des larmes de crocodile, de l’hypocrisie et des attaques stridentes contre les partis de l’opposition pour ne pas avoir entièrement appuyé les missions de combat des Forces armées canadiennes en Irak et en Syrie.

Harper et ses conservateurs ont été forcés de limiter les dégâts après qu’une femme de Vancouver eut révélé que Alan Kurdi – le réfugié syrien de trois ans dont le corps a été photographié après qu’il s’était échoué sur une plage turque – était son neveu et que le gouvernement canadien est en partie responsable de son tragique destin.

Les autorités canadiennes, a expliqué Tima Kurdi, avaient fait obstruction à ses tentatives d’accueillir les membres de sa famille qui fuyaient la guerre en Syrie au Canada. Elles ont imposé entre autres des montants onéreux pour les demandes de réfugié et des délais procéduraux, et elles ont affirmé qu’elle n’avait pas prouvé qu’il s’agissait de «véritables» réfugiés.

En mars dernier, le député de Tima Kurdi avait même délivré en main propre une lettre écrite par elle au ministre de l’Immigration Chris Alexander détaillant la misère de sa famille et plaidant pour qu’on l’aide. Ni Alexander ni le ministère de l’Immigration n’ont daigné répondre.

N’espérant plus recevoir de l’aide du Canada, Tima Kurdi a payé pour qu’Alan, son frère de cinq ans Galib, et ses parents rejoignent l’Europe en bateau, comme l’ont tenté des dizaines de milliers de personnes qui ont été déplacés par les guerres au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Douze personnes, incluant les deux neveux de Tima Kurdi, ainsi que sa belle-sœur ont péri.

Harper et ses conservateurs ont passé la plus grande partie de jeudi et vendredi à faire semblant de s’inquiéter de la situation désespérée des réfugiés aux frontières de l’Europe.

C’est avec les larmes aux yeux que le premier ministre a prétendu avoir pensé à son propre fils quand il a vu les images pénibles du corps d’Alan. Le ministre de l’Immigration Alexander a annoncé qu’il suspendait temporairement sa campagne pour les élections fédérales du 19 octobre afin qu’il puisse retourner à Ottawa pour consulter des représentants concernant la réponse du Canada à la crise des réfugiés. Le calendrier de la campagne électorale de Harper a aussi été modifié.

Mais les conservateurs n’ont pas tardé à changer d’argumentaire, débitant une série de mensonges faisant l’éloge de la prétendue générosité des programmes canadiens d’aide aux réfugiés et de la propagande pour la participation du Canada aux guerres actuelles menées par les États-Unis au Moyen-Orient.

Dans un discours en Colombie-Britannique jeudi dernier, Harper a incité les gens à ne pas «s’abandonner au chagrin» et à reconnaître qu’il y a des limites strictes sur ce que le Canada peut faire pour aider les réfugiés. La vraie question, a-t-il déclaré, était d’aller à la «cause fondamentale» de la crise des réfugiés. Il a prétendu qu’il s’agissait du groupe État islamique (ÉI).

Faisant référence aux Kurdi, auxquels son gouvernement avait consciemment fermé la porte, Harper a déclaré, «Je ne sais pas comment on peut prétendre vouloir aider cette famille tout en tournant le dos à la mission militaire qui vise à empêcher l’ÉI de tuer des millions des ces mêmes personnes.»

Le jour suivant, Harper était encore plus direct, intégrant la question des réfugiés dans son discours électoral, qui dès le premier jour a eu comme thème central que seuls les conservateurs sont prêts à combattre «le terrorisme djihadiste» à l’étranger ou au pays.

Répondant à l’accusation du chef du NPD Thomas Mulcair que le gouvernement ne fait rien pour venir en aide aux réfugiés et propose «encore plus de guerres comme solution», Harper a présenté la guerre comme étant l’option «de compassion humanitaire ». Le NPD, a dit Harper, défend la position «totalement irresponsable» selon laquelle «nous pouvons résoudre la crise qu’avec une politique d’asile».

Tandis que Harper défendait cette position ultra-réactionnaire, des articles commençaient à rapporter que l’armée canadienne avait été responsable de la mort de plus d’une vingtaine de civils dans un bombardement en Irak en janvier, et que l’état-major avait tenté d’étouffer l’affaire.

La réalité est que l’État islamique et la crise des réfugiés sont tous deux des produits d’une série de guerres que l’impérialisme américain, avec l’appui de l’élite canadienne, a menées dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique durant le dernier quart de siècle. Présentées comme des interventions humanitaires afin de contrecarrer l’agression ou alors défendre la démocratie et les droits de l’homme, ces guerres sont des guerres coloniales qui ont détruit un pays après l’autre, déplaçant des millions de personnes et attisant des conflits sectaires. Et tout cela dans le but de renforcer l’hégémonie des États-Unis dans la principale région exportatrice de pétrole au monde.

Dans le cadre de ces guerres, les États-Unis – et le Canada, comme pour la guerre de «changement de régime» en Libye en 2011 – se sont souvent alliés avec des forces islamistes dont les crimes sont utilisés par Harper pour justifier les plus récentes guerres des États-Unis.

C’est certainement le cas pour les forces qui forment actuellement l’État islamique. Jusqu’à récemment, ils étaient des pantins des États-Unis et de ses alliés au Moyen-Orient, incluant l’Arabie saoudite et la Turquie, dans une guerre fomentée par les États-Unis pour renverser le gouvernement Assad en Syrie.

L’élite canadienne et tous ses partis politiques – NPD, Bloc québécois, verts aux conservateurs – sont complices. Depuis la guerre du Golfe en 1991, le Canada a joué un rôle majeur dans une guerre des États-Unis après l’autre, généralement avec l’appui de tous les partis.

Le NPD s’oppose la mission militaire canadienne au Moyen-Orient, mais son opposition est purement tactique. Il préfère que le Canada fournisse en armes le gouvernement irakien et la milice Peshmerga, tous deux appuyés par les États-Unis, ainsi que l’opération de changement de régime menée par les États-Unis en Syrie.

En ce qui concerne le programme de relocalisation des réfugiés, il a été fortement réduit, en contravention des obligations internationales du Canada, dans les deux dernières décennies sous les gouvernements successifs des libéraux et des conservateurs.

Sous les libéraux, le droit canadien des réfugiés a été modifié afin de nier le droit d’asile pour tous ceux qui demandent le statut de réfugié et qui arrivent par les États-Unis ou un autre pays jugé «sécuritaire». Sous le gouvernement Harper, le processus pour déterminer le statut de réfugié a été «allégé» pour faciliter la déportation rapide, et ce sans droit d’appel, de citoyens de pays considérés par le Canada comme étant «démocratiques». Sur cette base, les demandes d’asile d’un nombre important de Roms de l’Europe de l’Est ont été rejetées d’emblée.

Le gouvernement Harper a également retiré le droit aux demandeurs d’asile d’une grande part de leur assurance maladie. Une cour fédérale a jugé la mesure comme étant inconstitutionnelle et a ordonné que l’assurance soit rétablie, mais le gouvernement fait appel de la décision.

En conséquence de ces changements, le nombre de personnes auxquelles on a accordé un statut de réfugié diminue constamment. En 2014, il y en avait à peu près 23.000, comparé à 35.000 en 2005.

Dans le cas de la Syrie, le Canada a seulement admis 2374 réfugiés depuis 2013, même si la guerre a déplacé des millions de personnes. Sur ces réfugiés, seulement 642, ou 27 pour cent, sont venus avec de l’aide du gouvernement. Le gouvernement soutient que les familles et diverses ONG s’allient pour se porter garantes de la majeure partie des réfugiés, même si c’est un processus beaucoup plus long qui prend généralement un an et demi.

Dans un acte de discrimination flagrante, le gouvernement, ayant recours à de vagues affirmations d’inquiétudes concernant la sécurité et dans le but de plaire à la droite chrétienne, offre uniquement son appui dérisoire à des réfugiés non musulmans.

Keith Jones

Article paru en anglais, WSWS, le 5 septembre 2015



Articles Par : Keith Jones

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