La nostalgie brune, au cœur du Maïdan ?

Ancré dans un mouvement spontané d’apparence démocratique, le putsch du Maïdan a fondé sa légitimité sur une Ukraine euro-libérale, libérée de l’emprise russe et focalisée contre le « complot bolchevique ». Pour Washington, ce contexte a justifié une stratégie de Guerre froide surfant sur les forces radicales et le mythe de l’ennemi russe, en réactivant un nationalisme brun.

Un putsch nationaliste fascisant

Le putsch du 22 février 2014 contre Ianoukovitch s’appuie sur la violation de l’accord du 21 février, suite à l’insurrection de forces obscures sous bienveillance occidentale. A ce jour, l’ONU dénonce le retard de la justice sur les dérives meurtrières de ce putsch nationaliste nourri de l’idéologie anti-russe et fascisante de Bandera. Une courte transition politique conduira, le 25 mai 2014, à l’élection de Pétro Porochenko, défenseur des intérêts américains et oligarchiques en vue de l’UE libérale.

Ce virage européen de Kiev sera le levier de son rapprochement avec l’OTAN et l’obligera à construire sa stratégie contre la « menace russe ». Imprégnée depuis la Guerre froide, par la doctrine Brzezinski du reflux de la puissance russe, Washington peut avancer ses pions – et ses bases – sur l’Echiquier eurasien. Au moyen de stratégies déstabilisatrices s’appuyant sur des forces extrémistes, elle vise à bloquer le retour russe en Europe pour protéger son leadership.

Décorés de signes nazis, les radicaux du Maïdan apparaissent, désormais, comme des « libérateurs » de l’Ukraine bandériste justifiant une guerre nationaliste. Un moyen, aussi, de justifier l’aide américaine aux groupes para-militaires anti-russes et au formatage idéologique des élites ukrainiennes – au nom du devoir d’ingérence, déjà acté en Serbie (1999), en Irak (2003), en Libye (2011) et en Syrie.

Une révolution libérale néo-maccarthyste

Suite au référendum criméen du 16 mars 2014, le mouvement s’est radicalisé avec une chasse aux « ennemis » russes et communistes débouchant, le 15 avril, sur une terrible répression dans l’Est – avec, le 2 mai, le massacre des « rouges » d’Odessa (plus de 40 morts). Ressuscitée de la Guerre froide, cette fièvre maccarthyste a provoqué une décommunisation conduisant à l’interdiction du Parti communiste le 24 juillet 2015 et à la sacralisation des vieux héros nationalistes collaborationnistes liés à la Waffen SS. Troublante révision de l’histoire, niant le rôle de l’armée rouge dans la libération de l’Europe et portée par les idéologies nazies de groupes para-militaires comme Azov, Donbass et Pravy Sektor – contre le fantôme de Lénine.

La « révolution » kiévienne s’inscrit dans la vague des révolutions colorées néo-libérales, ciblant l’espace post-soviétique dans les années 2000 et plaçant des dirigeants dociles, via le soutien de rébellions nationalistes, fascistes ou religieuses initié par la stratégie afghane de Brzezinski en 1979 – voire, par le putsch anti-communiste de 1973 contre Allende au Chili. A l’instar du modèle yougoslave de 2000 – appliqué en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizstan (2005) –, le scénario ukrainien est un processus construit, supervisé par l’ambassade américaine. Le rôle des organisations gouvernementales et non gouvernementales, comme l’ingérence droit-de-l’hommiste des dirigeants occidentaux, ont été décisifs – avec les obscurs snipers du Maïdan – dans la réussite du putsch.

Le 14 juillet 2016, l’ONU a regretté l’absence de « volonté réelle » de Kiev pour trouver les responsables du massacre du Maïdan du 20 février 2014 (plus de 50 morts). Aujourd’hui, il est clair que ces snipers sont liés à l’opposition radicale et ont œuvré, avec les milices brunes, à la déstabilisation du pouvoir. Une pression « démocratique » a été impulsée par les fondations privées, les élites oligarchiques et le duo NEID-USAID, via un soutien dollarisé à l’opposition ukrainienne et à la propagande anti-communiste. En forte hausse – dépenses quadruplées en 2017 –, ce soutien est désormais intégré dans le budget américain en vue de financer sa stratégie anti-russe.

Au final, au cœur de l’Eurasie, on assiste au réveil d’une nostalgie brune ancrée dans un nationalisme identitaire visant la pensée « déviante ». Avec, au nom du rêve libéral, la montée d’une hystérie néo-maccarthyste renforçant l’extrême droite.

Jean Géronimo

Jean Geronimo
Docteur, spécialiste de la Russie

* Ukraine : une bombe géopolitique au cœur de la Guerre tiède, Préfacé par J. Sapir et signé par M. Gorbatchev, Sigest, 2015

Cet article a été publié initialement par L’Humanité et Marianne.



Articles Par : Jean Géronimo

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