La nouvelle doctrine nucléaire américaine cible l’Iran et la Corée du nord

La définition de la nouvelle doctrine nucléaire des Etats Unis, dite Nuclear Posture Review (NPR) publiée par le Pentagone mardi est saluée par les apologistes du gouvernement Obama comme un pas en avant vers un désarmement nucléaire à l’échelle mondiale. Mais il n’en est rien.

Le document expose un raisonnement qui justifierait l’utilisation d’armes nucléaires contre un Etat ne disposant pas de l’arme nucléaire, et ce pour la première fois depuis le bombardement atomique américain d’Hiroshima et Nagasaki. L’Iran et la Corée du nord sont désignés du doigt comme cibles potentielles.

Ce document de 72 pages a été publié la veille de la visite d’Obama à Prague, capitale de la République Tchèque où il va signer un traité sur les armes nucléaires avec le président russe Dmitri Medvedev jeudi. Comme le NPR, ce nouveau traité est annoncé par la Maison Blanche comme un effort visant à réduire les stocks d’armes nucléaires et rendre moins probables leur utilisation. Cela aussi est un écran de fumée politique visant à dissimuler le danger croissant d’une guerre.

De nombreux détails de ce traité américano-soviétique demeurent obscurs, mais le consensus des professionnels du contrôle des armes est que les réductions sont en grande partie superficielles et en fait plus petites proportionnellement que lors du dernier accord de ce type négocié par le gouvernement Bush en 2002. Les Etats-Unis et la Russie vont réduire à 700 chacun le nombre de missiles et bombardiers potentiellement nucléaires déployés, soit une réduction d’environ 100 à 200 chacun. Mais les définitions sont tellement imprécises que le nombre réel d’ogives disponibles pour utilisation restera quasiment le même.

Le document NPR a été publié par le secrétaire à la Défense d’Obama, Robert Gates, rescapé du gouvernement Bush et un pur et dur de la CIA tout au long des deux dernières décennies de la Guerre froide. Cela en soi devrait réfuter les déclarations selon lesquelles la nouvelle doctrine nucléaire est un pas vers le désarmement, sans parler de pacifisme. C’est Gates qui avait déclaré, il y a de cela moins de deux ans, que Washington avait besoin de préserver le droit au recours à la première frappe nucléaire dans l’éventualité d’attaques bactériologiques ou chimiques sur des cibles aux Etats-Unis ou chez les puissances alliées.

Ce document rejette les appels à déclarer que « l’unique objectif » de la possession d’armes nucléaires est de dissuader les autres de les utiliser, aussi décrite comme l’engagement au non emploi « en première frappe », ce qui laisse ouverte la possibilité que les armes nucléaires pourraient être utilisées dans une opération militaire américaine qui commence comme une guerre conventionnelle, telle la Guerre du Golfe de 1990-1991 ou les guerre actuellement en cours en Irak et en Afghanistan.

La Maison Blanche est aussi revenue sur une promesse d’Obama durant la campagne présidentielle de retirer les armes nucléaires américaines de l’alerte appelée « hair-trigger alert », selon laquelle elles peuvent être lancées sur-le-champ contre des cibles en Russie. Les hauts gradés militaires se seraient élevés contre cette démarche et il n’y aura pas de changement significatif sur le statut de l’alerte concernant l’immense arsenal nucléaire américain.

Le changement majeur de ce nouveau document consiste à déplacer le point de mire immédiat du projet d’armes nucléaires américain de la Russie et de la Chine, principales cibles pendant toute la période de Guerre froide, vers ce que le gouvernement Bush appelait « les Etats voyous » et que le gouvernement Obama désigne sous le nom de « outliers »[littéralement « marginaux »], c’est à dire ces pays qui sont les cibles les plus vraisemblables de l’action militaire américaine.

La nouvelle doctrine du Pentagone interdit l’autorisation de frappes nucléaires contre un pays ne disposant pas de l’arme nucléaire et qui utilise des armes bactériologiques ou chimiques, mais cette promesse n’est que pour la galerie étant donné que les Etats-Unis se réservent le droit de changer de politique dans le cas d’avancées significatives dans la capacité des armes bactériologiques à l’avenir.

Plus significatif encore: Cette « interdiction » exclut tout spécifiquement les pays désignés comme n’étant pas en conformité avec le Traité de non prolifération (NPT.) Les Etats-Unis considèrent officiellement que la Corée du nord et l’Iran ne sont pas en conformité, bien que l’Iran n’ait pas été ainsi désignée par l’agence des Nations-Unies, l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui applique ce traité. La Corée du nord s’était retirée du NPT avant de procéder à son premier essai nucléaire réussi en 2006.

Gates a rendu explicite le ciblage de ces deux pays en disant ors d’une conférence de presse du Pentagone: « Il y a ici un message pour l’Iran et la Corée du nord… Si vous ne respectez pas les règles du jeu, si vous allez proliférer en matière de nucléaire, alors toutes les options sont ouvertes quant à la manière dont nous allons réagir envers vous. »

Dans d’autres domaines de la stratégie nucléaire, le gouvernement Obama poursuit en grande partie la politique de George W. Bush, même s’il le fait à grand renfort de posture injustifiée sur la paix et le désarmement, du type qui avait été récompensé l’an dernier par le prix Nobel de la paix.

Le Pentagone a déclaré que les Etats-Unis ne construiraient plus de nouvelles armes nucléaires. « Plus de nouveaux essais, plus de nouvelles ogives, a dit le général de Marine James Cartwright, président adjoint des des Etats majors réunis et principal commandant des forces de frappe nucléaire américaines. Mais le Los Angeles Times a fait remarquer, « Des officiels ont ensuite fait remarquer que cette politique pourrait leur permettre de ressortir des composants et modèles de vieilles ogives testées pour construire ce qui serait, à toutes fins pratiques, une nouvelle arme. »

Le budget du gouvernement Obama comprend 5 milliards de dollars pour que le département de l’énergie mette en place ce que Gates appelle « un projet de modernisation crédible pour maintenir l’infrastructure nucléaire et soutenir la force de dissuasion de notre pays. » Il y a aussi des milliards mis de côté pour que des radars et des détecteurs très perfectionnés rendent les frappes des missiles non nucléaires plus précis et efficaces.

Le NPR fait aussi des systèmes de défense antimissile un objectif stratégique majeur. Le gouvernement a réfuté les demandes des Russes d’inclure la défense antimissile dans le traité sur les armes nucléaires qu’Obama et Medvedev vont signer jeudi. Prenant la parole mardi à Moscou, le ministre des Affaires étrangères russe Sergei Lavrov a averti que la Russie pourrait se retirer du traité si elle sentait que ses forces nucléaires stratégiques étaient menacées par des avancées dans les défenses antimissiles américaines.

La publication de la doctrine sur les armes nucléaires a provoqué chez les ténors républicains des fulminations prévisibles concernant la politique d’apaisement et le désarmement. Rudolph Giuliani, ancien maire de New York et candidat présidentiel, a dit sur National Review Online, « Un monde sans nucléaire est un rêve de la gauche, vieux de 60 ans, tout comme le service de santé socialisé. Cette nouvelle politique, tout comme le programme de santé d’Obama géré par le gouvernement est un pas de géant dans cette direction. »

La comparaison est pertinente, mais pas pour les raisons avancées par Giuliani. Tout comme la « réforme » de la santé, la doctrine d’Obama sur les armes nucléaires est un effort pour diriger la politique gouvernementale vers la droite tout en utilisant une phraséologie réformiste. La restructuration des soins de santé va diminuer les dépenses globales allouées aux services médicaux des Américains, tout comme la « réduction » du nucléaire va augmenter les dépenses militaires et rendre dans les faits plus probable l’utilisation des armes nucléaires en temps de guerre.

Les sénateurs républicains, John McCain et Jon Kyl ont publié une déclaration commune exigeant que le gouvernement Obama « ne retire de la table aucune option » de sa politique sur les armes nucléaires. On ne sait pas encore si les républicains du Sénat vont chercher à faire barrage au nouveau traité américano-russe qui requiert une majorité de 67 voix au Sénat pour être ratifié.

D’anciens représentants de Bush ont toutefois mis l’accent sur la continuité de la politique entre les deux gouvernements. Gates, bien sûr, a eu le dernier mot sur la doctrine nucléaire, ainsi que les officiers militaires de haut rang tel le président des Etats majors réunis, l’amiral Michael Mullen, lui aussi venu de l’ère Bush.

Nicholas Burns, sous-secrétaire d’Etat aux Affaires politiques sous Bush a salué la nouvelle politique et « sa ligne très dure » concernant l’Iran. « Les Etats voyous comme l’Iran et la Corée du nord sont réellement perturbateurs et représentent une menace pour le monde, » a-t-il dit. « Il me semble que cette nouvelle définition de la politique nucléaire du gouvernement Obama consolide la capacité des Etats-Unis à contrer cette menace et à sauvegarder les intérêts américains. »

Le Wall Street Journal, farouche opposant du gouvernement Obama dans la plupart des domaines, a publié un article sur la doctrine des armes nucléaires déclarant qu’elle ne représentait que « de modestes changements aux forces nucléaires américaines, laissant intacte la menace américaine de longue date d’avoir recours à la première frappe nucléaire même contre des pays n’ayant pas l’arme nucléaire. »

Dans une interview accordée au New York Times lundi, Obama a renchéri ses exigences sur l’Iran, déclarant que ce n’était pas seulement que le gouvernement américain s’opposait à la possession par l’Iran d’armes nucléaires, mais que l’Iran ne devait pas devenir ‘un Etat capable du nucléaire.’ »

« Je pense que la communauté internationale ressent fortement ce que cela signifie de rechercher l’énergie nucléaire civile dans un but pacifique et contrairement à cela la capacité à construire des armes, » a-t-il dit. « Et une capacité à construire des armes est évidemment significative au moment où nous évaluons si oui ou non l’Iran ou tout autre pays fait preuve de sérieux concernant ces questions. »

Etant donné que le terme « capacité » se réfère principalement à la possession de la connaissance scientifique et technologique cruciale, une telle capacité requerrait la destruction de l’infrastructure d’équipement avancée que l’Iran a développée au cours de nombreuses décennies.



Articles Par : Patrick Martin

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