La proposition de constitution égyptienne entérine des pouvoirs dictatoriaux et un régime militaire

Jeudi 29 novembre, l’Assemblée constituante égyptienne a commencé à voter sur la nouvelle constitution dans une initiative agressive des Frères musulmans et du président Mohamed Morsi.

Alors qu’elle a pour dessein de contrer un éventuel défi juridique, son objectif plus important est de rassembler la base sociale des Frères contre les protestations de masse qui sont survenues après que Morsi s’est lui-même octroyé, jeudi dernier, des pouvoirs dictatoriaux. Elle vise aussi à préparer une contre-offensive de l’armée.

La décision cherche à anticiper un arrêt pris dimanche par la Cour constitutionnelle suprême qui aurait pu dissoudre l’assemblée et statuer sur la légitimité de la chambre haute du parlement égyptien, le Conseil de la Shura dominé par les Islamistes. La cour avait dissout en juin la chambre basse du parlement, l’Assemblée du peuple.

Les Frères demandent un vote sur la constitution qui conférerait une façade pseudo-démocratique aux efforts entrepris pour consolider leur pouvoir et celui de l’armée égyptienne – représentant collectivement les forces dominantes au sein de la bourgeoisie. Une fois adoptée, Morsi est obligé de soumettre la constitution à un référendum dans les quinze jours qui suivent. Des élections auraient lieu début 2013.

Dans une interview accordée jeudi soir à la télévision publique égyptienne, Morsi a dit que si une nouvelle constitution était adoptée, le décret de la semaine passée « ne serait plus valide. » L’implication est que si la constitution n’est pas approuvée, Morsi continuera d’exercer des pouvoirs exécutifs illimités.

Alors que peu d’attention a été accordée jusqu’ici à la nouvelle constitution, l’élément de loin le plus important en est l’effort qui est poursuivi pour sauvegarder les privilèges et le pouvoir de l’armée. Ceci a pour but un réaménagement de l’alliance entre les Frères musulmans et l’armée de laquelle dépend le sort de la bourgeoisie si elle veut affronter l’opposition populaire grandissante.

L’Assemblée constituante a approuvé des articles stipulant que le budget de l’armée ne sera toujours pas soumis au contrôle du parlement. Ceci est crucial pour, en premier lieu, dissimuler l’implication massive de l’armée dans l’économie qui contrôle environ 40 pour cent du PIB. Il s’agit aussi de cacher à la classe ouvrière l’ampleur de l’appareil répressif militaire.

La constitution comporte aussi un article autorisant le procureur militaire à juger des civils pour des délits « causant un préjudice aux forces armées, » comme l’a proposé le dirigeant du parti des Frères, le Parti de la justice et de la liberté, Mohamed al-Beltagy.

Elle met en place un Conseil de défense national dirigé par Morsi et qui comprend le premier ministre; les ministres de la Défense, des Affaires étrangères, des Finances et de l’Intérieur ; le chef du renseignement ; le chef d’état-major des forces armées ; les commandants de la marine, des forces aériennes et de la défense aérienne ; le commandant des opérations de l’armée et le chef du renseignement militaire. Selon un article s’y rapportant, le ministre de la Défense, doit être un officier de l’armée et assurer la fonction de commandant en chef des forces armées.

Ce conseil décidera des questions de sécurité nationale, du budget militaire et il sera consulté sur toutes les lois futures liées à l’armée. L’article permet que d’autres pouvoirs non définis soient octroyés au conseil.

On ne pourrait trouver avant-projet plus évident en vue d’une dictature militaire à venir.

Morsi a, de plus, tenté de lier les efforts entrepris pour recourir aux préjugés religieux dans le but de rassembler les couches les plus arriérées des travailleurs et des paysans, au rejet des exigences les plus extrêmes formulées par ses alliés au sein des groupes salafistes. L’objectif est de faire qu’il soit plus facile aux Etats-Unis et aux puissances européennes de soutenir son coup de force. L’assemblée a donc voté de maintenir la charia, ou loi islamique, en tant que « principale source de la législation » – comme c’était le cas sous le régime déchu d’Hosni Moubarak.

Cependant, la constitution n’inclut pas les appels du Parti al-Nour pour que l’on remplace la référence aux « principes » de la loi de la charia par le terme de « règles. » Elle stipule aussi que la chrétienté et le judaïsme seront la « principale source de la législation » pour les chrétiens et les juifs égyptiens. L’article 219 donne la définition de la loi islamique en termes de jurisprudence musulmane sunnite et qui est ancrée dans l’autorité de la mosquée Al-Azhar et de l’université.

La déclaration de Morsi de la semaine passée a établi qu’il n’y aurait pas de recours contre les décrets constitutionnels lancés depuis son arrivée au pouvoir et qu’il pourrait prendre toute mesure nécessaire pour « protéger la révolution » ou pour sauvegarder la sécurité nationale. Face à l’opposition croissante de centaines de milliers, Morsi a promis d’abandonner ses pouvoirs dès qu’une nouvelle constitution serait instaurée. Il a rassuré les magistrats de haut rang, dont la plupart ont des liens avec l’ancien régime, que les décrets ne s’appliqueraient qu’aux « questions de souveraineté » visant à protéger les institutions en leur permettant ainsi de dormir sur leurs deux oreilles dans leur lit fort confortable. Les magistrats ont toutefois appelé, fait sans précédent, à une grève.

La nouvelle constitution montre très clairement que les Frères n’ont nullement l’intention de céder les pouvoirs qu’ils revendiquent. L’assemblée constituante a voté un article accordant au Conseil de la Shura le pouvoir de promulguer des lois jusqu’à ce qu’une nouvelle chambre basse du parlement soit élue. Ainsi, les pouvoirs accumulés par Morsi ont tout simplement été transférés à une organisation dominée par les Islamistes.

Les Frères méprisent ouvertement leurs adversaires bourgeois. Onze des membres libéraux de l’Assemblée constituante qui se sont retirés pour protester contre le précédent décret de Morsi, en même temps que des représentants des trois principales églises d’Egypte, ont tout simplement été remplacés. Un tel mépris est attisé par la compréhension que le souci majeur des partis d’opposition est de garantir que l’hostilité à l’égard de Morsi et des Frères soit contenue dans des limites qui ne menacent pas les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie égyptienne et de ses partisans impérialistes.

L’une des onze personnes exclues du panel, en l’occurrence l’ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak et candidat présidentiel malheureux, Amr Mousa, s’est discrètement plaint à Reuters en disant, « C’est aberrant et c’est une démarche qui ne devrait pas être faite compte tenu du contexte de colère et de ressentiment existant au sein de l’actuelle assemblée constitutionnelle. »

Mohammad Abdel-Alim Dawoud du Parti Wafd qui s’est également retiré, a lancé le même avertissement, « Si les Frères continuent dans cette voie, cela aggravera davantage les choses parce qu’il n’y aucune intention de parvenir à un consensus. »

Morsi fonde ses calculs sur le feu vert qu’il a reçu des puissances occidentales. Washington et ses alliés considèrent les Frères comme étant avant tout une force importante pour maintenir l’ordre au Moyen-Orient, comme l’a prouvé le rôle qu’ils ont joué dans l’établissement de régimes pro-occidentaux en Tunisie et en Libye, au sein du mouvement d’opposition en Syrie et dans les récents efforts de Morsi pour garantir un cessez-le-feu après le bombardement de Gaza par Israël. Ils cherchent également à faire collaborer les Frères avec l’armée pour réprimer l’opposition grandissante aux mesures d’austérité exigées par le Fonds monétaire international et qui ont déjà été à l’origine d’une vague de grèves.

Mercredi, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohammad Kamel Amr, a dit aux journalistes lors de sa participation à une réunion à Berlin avec le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, que les troubles politiques n’affecteraient pas les négociations égyptiennes avec le FMI sur un accord de prêt de 4,8 milliards de dollars. Le même jour, le cabinet ministériel a dévoilé son plan de réformes économiques promettant de faire passer, par voie de coupes brutales, le déficit budgétaire de 11 pour cent pour l’exercice financier 2011/2012 à moins de 5 pour cent d’ici 2016/17.

Une manifestation de masse contre Morsi a lieu aujourd’hui, et qui a été appelée par ses adversaires officiels. Mais, avec la menace grandissante d’une répression militaire, tout dépend à présent de l’éventualité d’une rupture de la masse des travailleurs et des fermiers pauvres d’avec ces forces bourgeoises dans le but d’engager une lutte pour l’établissement d’organisations indépendantes pour la prise du pouvoir et la mise en place d’un gouvernement ouvrier.

 

Article original, WSWS, paru le 30 novembre 2012



Articles Par : Chris Marsden

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