La réaction de l’Allemagne officielle aux attentats de Paris: renforcement de l’Etat et agitation anti-musulmane.

L’assassinat brutal de la rédaction du journal satirique parisien Charlie Hebdo a suscité des manifestations de deuil et de choc en Allemagne. Tout de suite après l’annonce de la nouvelle, quelques centaines de personnes s’étaient rassemblées devant l’ambassade de France à Berlin, Porte de Brandebourg. Elles ont déposé des fleurs et allumé des bougies en signe de solidarité et de deuil.

Quant à l’establishment politique et aux médias, ils ont immédiatement exploité cette colère largement partagée pour servir leurs propres objectifs, extrêmement réactionnaires. Cela se concentre pour l’instant sur deux revendications: premièrement l’appel à l’unité de tous les partis politiques et deuxièmement la nécessité de renforcer l’appareil sécuritaire à travers le développement des agences de renseignement, une présence accrue de la police et le réarmement à l’intérieur comme à l’extérieur.

En Allemagne comme en France, où immédiatement après l’assassinat le président François Hollande avait prononcé un discours à la nation dans lequel il avait insisté à tout moment sur la France « unie contre ses ennemis », les politiciens ont déclaré, depuis le président Joachim Gauk jusqu’à Gregor Gysi, le dirigeant du groupe parlementaire de Die Linke (allié au Parti de Gauche français), que toutes les forces démocratiques devaient agir de concert.

L’attentat terroriste était « une attaque contre la liberté », a dit Gauk et, « nous ne serons pas divisés par la haine ». La « liberté de parole » devait être défendue par tous les camps politiques. « Nous ne sommes ni impuissants ni sans défense », a-t-il encore ajouté et il a fait cette menace : « nous avons des lois et des institutions pour combattre la bigoterie et la violence ».

Le 8 janvier, Sigmar Gabriel, président du Parti social-démocrate (SPD) et vice-chancelier, a envoyé une lettre personnelle aux présidents de tous les partis parlementaires et au Parti démocrate libre (FDP), où il a appelé à une « alliance de toutes les forces sociales ». Il a appelé à une manifestation commune de tous les partis, de toutes les communautés religieuses, des syndicats, des associations patronales « et autres organisations civiques ». Plus loin dans la lettre, citée par Der Spiegel, il écrit: « Le complot terroriste insidieux dont le but est d’enfoncer un coin dans la société ne doit pas être toléré ».

En fait, les divisions sociales ont commencé bien avant que ne se produisent les attentats terroristes de Paris. Cela fait des semaines que les médias allemands déversent le poison raciste de la xénophobie et de la propagande anti-musulmane. Des hommes politiques allemands en vue soutiennent les rassemblements droitiers du mouvement Pegida qui se qualifie d’« Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident » et qui milite contre les étrangers.

La mobilisation de la tourbe fasciste est directement liée au renforcement militaire croissant et aux préparatifs de guerre. Depuis que le président Gauk, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et la ministre de la Défense Ursula von der Leyen ont annoncé au début de l’année dernière que la période de la ‘retenue militaire’ était révolue, il ne se passe pratiquement pas un jour sans que soient exigés une amélioration du matériel militaire et un plus grand soutien de l’armée.

Ce retour au militarisme et à une politique étrangère impérialiste agressive va de pair avec la dévastation sociale, la pauvreté de masse et la détérioration des conditions de vie pour un nombre croissant de gens. L’opposition à cette politique s’accroît de façon constante. Moins de la moitié des électeurs inscrits ont participé aux récentes élections aux parlements des Lands et une majorité de ceux qui ont voté l’ont fait contre les partis au gouvernement.

Le terrible attentat de Paris est à présent utilisé, au nom de l’‘unité’, pour soutenir la même politique gouvernementale qui a entraîné cet acte de violence sanglante.

Selon les médias, Al Qaida a revendiqué l’attentat de Paris. La montée de l’influence d’Al Qaida est le produit direct de la politique de guerre des Etats-Unis et de l’Otan au Moyen Orient. Même les armes les plus modernes possédées par Al Qaida proviennent souvent des stocks des Etats-Unis et de l’Otan.

Fin octobre, le Daily Telegraph britannique a signalé que de grandes quantités d’armes fournies par les Etats-Unis aux soi-disant « unités modérées » de Syrie ont été transmises au Front Nusra. Il ne s’agissait pas seulement d’armes à feu modernes, mais aussi d’armes lourdes telles que des missiles anti-blindés et des roquettes Grad. Le Daily Telegraph a fait le commentaire que « pour les Etats-Unis, le transfert à Al Qaida d’armes fournies par eux était un cauchemar. »

L’appel à l’unité à la suite des attentats de Paris est la continuation et l’intensification de cette politique.

Le Ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière (CDU) a annoncé que l’Allemagne renforçait ses précautions en matière de sécurité suite aux attentats. « Nous sommes en étroit contact avec les Lands et nous avons un plan pour de telles éventualités, que nous avons activé », a dit de Maizière à Hambourg vendredi, sans donner d’autres précisions.

Il a mis en garde contre des jugements trop hâtifs sur le travail de la police française qui a abattu trois terroristes présumés le 9 janvier. Quatre otages ont été tués également. Le gouvernement français a aussi invité la dirigeante du Front National, Marine le Pen, à l’Elysée pour des « consultations démocratiques ». En réaction aux attentats, Le Pen a appelé au rétablissement de la peine de mort en Europe.

Avant la réunion des ministres de l’Intérieur de l’UE à Paris dimanche, de Maizière a annoncé que son intention était de « discuter mutuellement si quelque chose devait être fait différemment et quoi. » Le ministre de l’Intérieur, qui a été un des premiers hommes politiques allemands haut placés à encourager le mouvement Pegida, tient à utiliser la situation pour renforcer encore la politique anti-immigrée et pour avancer dans l’instauration d’un Etat policier.

De Maizière a réitéré son soutien à la demande soulevée par la partenaire de coalition du gouvernement, la CSU, pour l’expansion massive de la collecte de données par les services de sécurité. Ceci était l’unique façon de détecter les réseaux criminels sur Internet, a-t-il dit. Il a aussi vanté le fait que le gouvernement a déjà entrepris des projets pour interdire l’Etat Islamique en Allemagne et pour de larges restrictions de voyage.

Des médias et des hommes politiques influents appellent déjà à des mesures plus draconiennes encore. Dans un commentaire intitulé « Des sanctions plutôt que des sermons », la Frankfurter Allgemeine Zeitung se plaint ainsi que « Pour ‘l’Etat islamique’ et ses sympathisants en Occident, les pays dont ils attaquent les citoyens n’apparaissent pas comme des démocraties résistantes. Les djihadistes peuvent s’y promener en liberté. » Dans un entretien paru dans le magazine Focus, l’ancien secrétaire général de la CDU, Heiner Geissler, appelle à l’expulsion des islamistes et à l’interdiction des voiles islamiques. Il ne peut pas « y avoir de privilèges spéciaux pour l’Islam » en Allemagne, a-t-il dit.

En Allemagne, des porte-parole de Pegida ont qualifié l’attaque contre Charlie Hebdo de preuve que les islamistes « ne sont pas mûrs pour la démocratie, mais s’appuient plutôt sur la violence et la mort. » Lundi, le mouvement droitier et néo-nazi a appelé à des marches de solidarité avec Charlie Hebdo et les « victimes de la terreur à Paris. »

Un des développements les plus remarquables est l’intégration du Parti de Gauche dans « la politique d’unité et solidarité ». Une déclaration du Parti de Gauche titrée « Je suis Charlie –La dure lutte pour la liberté » déclare: « Le défi d’être Charlie’ est grand » et pose ensuite la question « Avons- nous le courage, la détermination, de mettre le doigt maintes et maintes fois dans les plaies de notre société? »

Cette déclaration est en fin de compte un appel dirigé au gouvernement allemand et à Pegida. Le Parti de Gauche défend les caricatures anti-musulmanes de Charlie Hebdo en tant que lutte « pour la liberté de pensée » et appelle à « l’intransigeance dans la poursuite des criminels, et [à] des jugements et des sentences appropriés dans les tribunaux ».

Ulrich Rippert

Article original, WSWS, paru le 12 janvier 2014



Articles Par : Ulrich Rippert

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