La route de la Chine au Moyen-Orient

Le président chinois a fait une tournée au Moyen-Orient en rencontrant les représentants politiques des différents camps, une visite en Arabie saoudite étant compensée par une visite en Iran.

Les déclarations les plus importantes de Xi ont été adressées à la Ligue arabe, où il a ouvertement réaffirmé – pour la première fois depuis des décennies – l’engagement de la Chine à l’égard du peuple palestinien. «La Chine soutient le processus de paix au Moyen-Orient», a-t-il dit, et elle soutient «la création d’un État palestinien dont la capitale est Jérusalem-Est».

C’est cette dernière phrase qui a fait frémir les Israéliens.

Ils ont refusé de céder sur Jérusalem-Est, aujourd’hui une poudrière violente. Les remarques de Xi en faveur des Palestiniens doivent être entendues dans ce contexte. Elles défendent le point de vue palestinien et rejettent entièrement celui des Israéliens.

C’est ce qui a valu quelques manchettes à Xi, sans plus.

Il ne fait aucun doute que la déclaration de Xi manifeste une franchise nouvelle de la part du gouvernement chinois par rapport au Moyen-Orient. Depuis les années 1990, la Chine avait été réticente à donner ouvertement sa position. C’est le commerce qui commandait l’ordre du jour, pas la politique.

La Chine, aux Nations Unies du moins, parlait de la nécessité de solutions pacifiques et en faveur du multilatéralisme. Ces idées louables trouvaient peu de preneurs à une époque où les États-Unis menaient leur politique à coups de bombes.

Les réticences de la Chine à l’égard du régime de sanctions contre l’Irak dans les années 1990, puis de la guerre en Irak en 2003, ne se sont pas transformées en révolte. Ses diplomates ont émis des protestations feutrées, puis  se sont retirés.

Lorsque le vote sur la Libye est venu devant le Conseil de sécurité de l’ONU en 2011, la Chine – avec les autres pays des BRICS – a décidé de s’abstenir. Mais lorsque l’Occident a outrepassé le mandat de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine – avec la Russie – a décidé de prendre une position plus ferme dans la région.

Depuis 2011, la Chine et la Russie ont bloqué toute tentative de l’Occident d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité en faveur d’une guerre en Syrie. La Chine et la Russie, ainsi que la majeure partie de l’hémisphère Sud, s’opposent à de nouvelles opérations visant à des changements de régime. La Libye a été la goutte de trop.

Cela a poussé ces pays, qui occupaient le siège arrière depuis le début des années 1990, à défendre leurs alignements politiques avec plus de détermination. La Chine a commencé à mener des exercices militaires avec la Russie, qui comprenaient un important exercice naval en Méditerranée l’été dernier.

C’était une importante démonstration de force de ces deux puissances mondiales.

Les interdépendances commerciales actuelles de la Chine empêchent toutefois tout virage radical. Lors de sa visite, Xi a dû consolider les relations de la Chine avec l’Arabie saoudite et l’Égypte.

L’Arabie saoudite étant le principal fournisseur de pétrole de la Chine, Xi a dû produire des sons agréables à l’oreille des Saoudiens à propos de leur guerre au Yémen, au sujet de laquelle les diplomates chinois expriment discrètement leurs préoccupations.

La compagnie pétrolière de l’État chinois, Sinopec, et celle de l’Arabie saoudite, Aramco, ont signé un important accord-cadre de coopération stratégique. Les discussions concernant la vente d’une partie d’Aramco sur le marché n’ont pas remis ces liens en cause qui vont durer, que le capital d’Aramco soit dilué ou non.

La Chine a réaffirmé ses liens avec l’Égypte, à la veille du cinquième anniversaire de la révolution égyptienne, principalement parce que la Chine dépend du canal de Suez, une voie de passage majeure pour les produits chinois à destination de l’Europe.

Les relations de la Chine avec l’Arabie saoudite et l’Égypte sont fondées sur le présent : l’économie chinoise compte pour le moment sur le carburant et les voies de transport fournis par ces puissances. La visite de Xi à l’Iran laisse présager que cette dépendance ne sera pas éternelle.

La Chine est aussi le principal partenaire commercial de l’Iran et lui a procuré une bouée de sauvetage pendant l’imposition des sanctions. Xi et le président iranien Hassan Rouhani ont dit l’un et l’autre que le maintien des liens pendant cette période avait instauré une grande confiance entre Téhéran et Pékin. «La Chine est prête à augmenter le niveau des relations bilatérales avec de la coopération», a dit Xi à la télévision iranienne, maintenant que la période des sanctions est terminée. L’Iran propose de vendre davantage de pétrole à la Chine et d’en accroître le volume de manière spectaculaire pendant les dix prochaines années.

Cela rendra la Chine moins dépendante du pétrole saoudien.

Au cours de la dernière décennie, la Chine était affairée à construire la Nouvelle route de la soie, qui devrait s’étendre des côtes chinoises à l’Europe en passant par l’Asie centrale et l’Iran. Des réseaux de chemin de fer et de routes ont été construits au nord de l’Iran pour relier l’Afghanistan à la Turquie.

L’an dernier, le China Railway Group [entreprise chinoise de travaux publics, connue aussi sous l’acronyme CREC, NdT] a remporté un contrat pour construire une partie du chemin de fer qui doit relier Budapest et Belgrade. La Nouvelle route de la soiepart maintenant de la zone industrielle de Shenzhen, sur la mer de Chine méridionale, pour aboutir au cœur de l’Europe de l’Est.

La dépendance au canal de Suez ne fera pas partie des calculs stratégiques de la Chine encore longtemps.

La relation qui se bâtit entre la Chine et l’Iran, autrement dit, pourrait réduire l’importance de l’actuelle dépendance de la Chine à l’Arabie saoudite – pour le pétrole – et à l’Égypte – pour le transport. Les diplomates chinois disent en privé que l’orientation pro-occidentale des États arabes du Golfe est un obstacle pour les planificateurs chinois. Ils souhaiteraient plus de souplesse dans leurs engagements commerciaux. L’entrée récente de l’Égypte dans l’orbite de l’Arabie saoudite accroît ces préoccupations. La Chine disposerait d’une marge de manœuvre limitée si l’Occident exerçait des pressions autres qu’économiques sur ces pays pour couper l’herbe sous le pied de Pékin.

C’est cette crainte des alliés occidentaux en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Malacca, comme Singapour, qui a conduit la Chine à construire les ports de Kyaukpyu, au Myanmar, et de Gwadar, au Pakistan. Ces ports permettent d’éviter les goulets d’étranglement en Asie du Sud-Est. La Nouvelle route de la soie contournera le canal de Suez.

Xi est connu pour ses positions sur la nécessité du multilatéralisme dans les affaires mondiales. Le lien entre la Russie et la Chine a été renforcé après la crise ukrainienne de 2014, que les Chinois considèrent comme une tentative orchestrée par l’Occident pour affaiblir la Russie.

L’engagement de Xi envers le bloc des BRICS est représentatif de sa volonté de créer différents pôles comme contrepoids à l’hégémonie occidentale. Son voyage dans le monde arabe doit être vu sous ce jour, comme une tentative de consolider le soutien de partenaires commerciaux nécessaires pour le moment (l’Arabie saoudite et l’Égypte), tout en manifestant son soutien à ceux qui donneront à la Chine librement accès au pétrole et aux marchés (l’Iran).

La déclaration de Xi sur la Palestine n’est pas une réminiscence du soutien historique de la Chine à la cause palestinienne. Nous sommes loin de 1964, le moment culminant de la solidarité sino-palestinienne. Cette année-là, la Chine avait été le premier État non arabe à reconnaître l’OLP.

Pendant son voyage dans la région, Zhou En-Lai avait dit : «Nous sommes prêts à aider les pays arabes à regagner la Palestine. Quand vous serez prêts, dites-le nous. Nous serons prêts aussi. Nous sommes disposés à vous donner tout ce dont vous avez besoin, des armes et des volontaires.»

La Chine avait promis cette année-là d’honorer le boycott d’Israël du Secrétariat de la Ligue arabe en annonçant qu’aucun navire israélien ne serait autorisé dans les eaux territoriales chinoises. Une délégation de l’OLP, dirigée par Ahmad Choukeiri, s’est rendue à Beijing en 1965. Mao a déclaré le 15 mai Journée de Solidarité avec la Palestine.

Lors d’un rassemblement de masse, en présence de la délégation de Choukeiri, Mao a établi un lien entre Israël et Taïwan (Formose), en tant que «bases de l’impérialisme en Asie». «Vous êtes la porte d’entrée du grand continent, a-t-il dit. Et nous sommes la porte arrière.» L’Occident utilise Israël et Taïwan comme des tremplins vers l’Asie, a-t-il affirmé. «La bataille arabe contre l’Occident, a dit Mao, est la bataille contre Israël. Donc boycottez l’Europe et l’Amérique, ô Arabes !» (al-Anwar, 6 avril 1965).

Xi ne parle pas comme ça. Sa manière est plus douce. Il unit la sensibilité commerciale de Deng Xiaoping à la vision anti-occidentale de Mao. La suspicion sur les motivations occidentales est partagée par de nombreux responsables parmi les dirigeants chinois et iraniens.

Mais les jours tranquilles de la Chine semblent révolus. Parler ouvertement de la Palestine et de son droit sur la partie orientale de Jérusalem ne concerne pas seulement ce bout de terre, mais révèle aussi la confiance de la Chine à dire ouvertement ce qu’elle n’a dit qu’en privé pendant des décennies.

Vijay Prashad

Article original : China’s road to the Middle East,  The New Arab, 2 février 2016

Traduit par Diane, vérifié et relu par Ludovic et Daniel pour le Saker francophone



Articles Par : Prof. Vijay Prashad

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