La «sécurité des frontières» aux États-Unis: troupes, torture et prisons barbares

Le Pentagone a confirmé le déploiement de 3750 soldats supplémentaires à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, poursuivant ainsi le renforcement des forces répressives dirigées contre les immigrants et les réfugiés sans défense qui cherchent asile aux États-Unis.

Certains de ces 3750 soldats remplaceront ceux qui sont en rotation à l’extérieur de la zone frontalière, mais il y aura une augmentation nette importante d’au moins 2000 soldats. Le total des effectifs provenant de la force régulière et de la Garde nationale s’élèvera à plus de 6000 militaires, ce qui représente la plus importante force déployée à la frontière sud des États-Unis depuis 1917, année où le général John J. Pershing a dirigé son expédition punitive contre Pancho Villa pendant la révolution mexicaine.

La confirmation du déploiement des troupes a été confirmée dimanche, deux jours seulement avant que le président Trump ne prononce un discours sur l’état de l’Union au Capitole, dans lequel on s’attend à ce que le sujet de la sécurité frontalière occupe une place importante. Trump a forcé le gouvernement américain à fermer partiellement ses portes pendant 35 jours afin de forcer le Congrès à approuver un financement de 5,7 milliards de dollars pour un mur frontalier.

La Maison-Blanche a dû reculer le 26 janvier et accepter la réouverture du gouvernement pour trois semaines, le temps que les négociateurs de la Chambre et du Sénat débattent du budget du Department of Homeland Security (département de la Sécurité intérieure), qui comprend les agences CBP, le Customs and Border Protection (douanes et protection des frontières) et ICE, l’Immigration and Customs Enforcement (agence responsable de l’application des lois sur l’immigration et les douanes).

La conférence Chambre-Sénat doit parvenir à un accord avant le 8 février pour donner le temps au Congrès d’approuver un accord bipartite avant le 15 février. Sinon, il y aura une autre fermeture du gouvernement. Dans tel cas Trump menace de déclarer un état d’urgence national et d’utiliser des fonds affectés à d’autres fins, comme la construction d’installations militaires, pour construire le mur.

Lors de discussions avec des journalistes la semaine dernière, M. Trump a laissé entendre qu’il pourrait déclarer l’état d’urgence national dans son discours sur l’état de l’Union. «Je ne veux pas en parler, mais vous entendrez l’État de l’Union, et vous verrez ce qui se passera juste après l’État de l’Union», s’est-il vanté. Que ce soit le cas ou non, Trump est susceptible de centrer tout son discours sur la nécessité d’un mur et d’émettre des mises en garde contre la criminalité et la drogue, fléaux supposément associés aux immigrants et aux réfugiés.

Les démocrates au Congrès, tout en s’opposant à la présence d’une structure ou d’un mur permanents, principalement en raison de l’inefficacité avérée d’une telle approche, continuent d’accorder des sommes considérables à CBP et ICE, de même que pour d’autres mesures répressives contre les immigrants, en invoquant la «sécurité des frontières».

Ces mesures comprennent le déploiement de troupes sans opposition démocrate significative, mais aussi le traitement abusif de dizaines de milliers d’immigrants détenus dans les installations des agences ICE et CBP de la région frontalière, certaines exploitées directement par elles, d’autres par des entrepreneurs, dont certains font des profits énormes représentant des milliards de dollars en exploitant ce qui équivaut ni plus ni moins à des camps de concentration.

Selon un rapport de l’inspecteur général du Homeland Security publié la semaine dernière, les centres de détention de l’agence frontalière ICE ne répondent même pas aux normes nationales pour les prisons, malgré les milliards de dollars dépensés pour construire et exploiter ces camps. Selon le rapport, sur une période de 33 mois se terminant en juin 2018, «ICE a versé plus de 3 milliards de dollars aux entrepreneurs exploitant les 106 centres de détention faisant l’objet de cet examen… Malgré la documentation de milliers de lacunes et de cas de graves conditions affectant les détenus qui se sont produits dans ces centres de détention, l’agence a rarement imposé de sanctions financières.»

Le rapport de l’inspecteur général a passé en revue la moitié des 211 centres de détention gérés directement ou indirectement par ICE, installations voyant en moyenne le passage de 35.000 détenus par jour, soit l’équivalent de la taille d’une petite ville. Le rapport a constaté que ICE accorde régulièrement des dérogations pour couvrir des manquements, dont certains sont de dimensions grotesques, comme le fait de permettre à un centre de détention d’utiliser des gaz lacrymogènes contre des détenus, bien que la norme limite les efforts pour «contrôler» les détenus au gaz poivré, un agent beaucoup moins toxique.

ICE n’a pas contesté les conclusions de l’inspecteur général, mais a plutôt émis une déclaration creuse selon laquelle elle «s’engageait à améliorer continuellement les opérations de détention civile afin de promouvoir un environnement sûr et sécurisé tant pour les détenus que pour le personnel.»

Plus d’une douzaine d’immigrants sont morts en détention depuis 2015, dont deux enfants guatémaltèques décédés en décembre dernier, tragédie qui a suscité une vaste prise de conscience publique et la répulsion populaire.

Selon un porte-parole de ICE, des détenus des centres de détention de ICE ont commencé à lutter contre leur traitement brutal avec l’une des rares façons dont ils disposent encore, à savoir la grève de la faim. Le mouvement a commencé dans le centre de détention d’El Paso, au Texas, et s’étend depuis aux centres de Miami, Phoenix, San Diego et San Francisco.

Dimanche, ICE a confirmé à l’Associated Press qu’elle nourrissait de force neuf grévistes de la faim à El Paso, par rapport à six la semaine précédente, après avoir obtenu une ordonnance de la cour fédérale autorisant cette procédure brutale, pourtant condamnée comme torture par des groupes internationaux de défense des droits de la personne, et interdite par l’American Medical Association.

La plupart des détenus nourris de force et la majorité des grévistes de la faim sont des sikhs de l’État du Pendjab, situé au nord de l’Inde, qui ont fui les persécutions du gouvernement indien suprémaciste hindou de droite.

Un détenu identifié par l’AP uniquement par son nom de famille, Singh, très courant chez les sikhs, a déclaré «être tiré de cellule trois fois par jour et attaché à un lit avant d’être alimenté de force avec du liquide projeté par des tubes passant par son nez.»

«Ils nous attachent sur un lit de gavage, puis ils remplissent de liquide les tubes. La pression est tellement forte qu’on finit par vomir, a déclaré Singh à l’AP. On ne peut pas parler convenablement, pas plus qu’on ne peut respirer correctement. Le tuyau n’est pas un processus facile, mais ils essaient de nous l’enfoncer dans le nez et dans la gorge.»

L’organisme Human Rights Watch a publié une déclaration le 1er février, dans lequel il qualifie le gavage de «pratique cruelle, inhumaine et dégradante» et souligne que «les normes en matière d’éthique médicale et de droits de l’homme interdisent généralement le gavage des détenus qui sont compétents et capables de porter un jugement rationnel sur les conséquences du refus de se nourrir.»

Toutes ces mesures brutales deviendront bien pires – et seront pratiquement insoumises à quelque contestation judiciaire – si Trump vient à déclarer un état d’urgence national et à ordonner aux militaires de construire son mur de 9 mètres de haut le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

En vertu de la National Emergencies Act de 1976, si Trump déclare l’état d’urgence, le Congrès peut prendre des mesures pour renverser sa déclaration selon une procédure accélérée en vertu de laquelle le Sénat sera tenu de voter dans les 30 jours suivant la décision de la Chambre des représentants. Trump pourrait cependant toujours opposer son veto à la résolution et l’état d’urgence resterait en vigueur tant que son veto n’est pas annulé.

Les dirigeants au Congrès et les groupes de défense des droits civiques ont indiqué leur intention de contester toute déclaration d’état d’urgence devant les tribunaux, mais la Maison-Blanche s’attend à ce que tout appel soit rapidement porté devant la Cour suprême des États-Unis, où la majorité de droite (5-4) devrait confirmer pratiquement tout décret du président.

Patrick Martin

Article paru en anglais, WSWS, le 5 février 2019



Articles Par : Patrick Martin

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