La société israélienne a perdu ses repères

Le départ de Sharon du Likoud et l’élection du syndicaliste Peretz à la tête du Parti travailliste entraînent des bouleversements politiques.

Israël est-il en train de tourner une page de son histoire politique ? Deux événements qui viennent de survenir, le laisseraient penser, bien qu’il soit encore trop tôt pour l’affirmer. En tout cas, le vieux dirigeant pacifiste de Gush Shalom (le Bloc de la paix), Uri Avnery, ne cache pas son intérêt et parle de « séismes ». L’un d’eux « a été l’élection d’ Amir Peretz à la tête du Parti travailliste. L’autre est le départ de Sharon du Likoud pour former un nouveau parti. Soudain, le paysage politique a changé au point d’être méconnaissable », estime-t-il. Certains parlent même d’un glissement à gauche.

Le 10 novembre, Shimon Peres, quatre-vingt-deux ans, qui convoitait la direction du Parti travailliste et donc la candidature au poste de premier ministre, est battu par Amir Peretz, cinquante-trois ans, leader de la puissante confédération syndicale Histadrout.

La surprise est de taille et dépasse le cercle travailliste. Qu’un syndicaliste vise, en bonne position, la tête du gouvernement est en soi une secousse importante. Mais qu’en plus il s’agisse pour la première fois d’un « juif oriental » – comme on dit en Israël pour les séfarades – alors la société israélienne perd ses repères et pourrait retrouver ses esprits.

« Sois notre deuxième Rabin », s’est exclamé Chlomo Artzi, l’un des chanteurs les plus populaires en Israël, en s’adressant à Peretz. Dans le journal Yediot Aharonot, il a même écrit : « Merci Amir, il existe encore un espoir de paix dans ce pays. » Sharon s’est empressé de quitter le Likoud et de créer un nouveau parti, Kadima (En avant), pour ratisser au centre. Preuve que la question sociale est de plus en plus prégnante.

Recentrer la question sociale

Pour se faire élire, Amir Peretz a certainement activé tous les appuis que lui donne sa stature syndicale. Mais il a aussi fait jouer ses origines de juif du Maroc, son vécu à Sderot, ville peu favorisée. Ce qui ne l’a pas empêché d’annoncer la couleur depuis plusieurs mois : « Jusqu’à maintenant, j’ai observé une certaine réserve à propos de l’importance des processus diplomatiques et de leur influence sur l’état de la société et de l’économie, mais quand on s’attaque à la substance même d’une partie des citoyens israéliens au nom d’une idéologie cruelle, et qu’on tente de décrire cette crise comme un coup du destin, je me dois de dire que l’idéologie en matière économique rejoint l’idéologie qui a conduit à l’obstruction au processus de paix. »

Le propos est clair, la question économique et sociale doit retrouver une place centrale dans le débat politique, ce qui pourrait lui permettre, dans le même temps, de capter les voix des séfarades (jusque-là électeurs du Likoud et du Shas), les laissés-pour-compte de la société, après les Arabes israéliens dont Peretz recherche aussi les suffrages. Il pointe du doigt l’une des anomalies de la société israélienne qui consiste à classer les gens à gauche ou à droite non selon leurs opinions politiques, économiques ou sociales mais en fonction de leurs options concernant le conflit avec les Palestiniens. Pourtant, 1,5 million de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et le chômage ne cesse de progresser.

Si certains s’enthousiasment comme Ran Cohen (Meretz), « la gauche a des chances de retourner au pouvoir », d’autres tempèrent les ardeurs. C’est le cas d’Avid Dabush, coordinateur du Forum des associations de chômeurs en Israël, qui reconnaît qu’il y a « un certain espoir avec Peretz », mais qui ajoute aussitôt : « Il y a néanmoins beaucoup de suspicions. Les gens veulent juger sur des actes pas sur des paroles. C’est vrai qu’ils voient de plus en plus le lien entre l’occupation, les colonies et la situation économique. Mais ça n’a pas développé pour autant une conscience politique. » Membre de la direction de la Histadrout, Jihad Akel est aussi modéré. Il se félicite que « la question sociale devienne prioritaire » mais appelle à continuer les luttes et espère que « la question palestinienne ne sera pas écartée sous le prétexte du social ».

Une mini-révolution

Pour Efraim Davidi, du secrétariat du Parti communiste israélien, « l’offensive capitaliste a été telle que les problèmes sociaux, qu’on a toujours voulu cacher, reviennent en force ». Il ajoute : « Nous sommes prêts à coopérer avec un gouvernement qui prône la justice sociale et une paix juste. »

La fête n’a d’ailleurs pas duré longtemps pour Peretz. Après avoir fait retirer les ministres travaillistes du gouvernement Sharon, il a dû faire face au départ de la plupart des députés de son parti ainsi que de Shimon Peres (parti soutenir son ami « Arik »). Avec les sondages qui donnent Sharon gagnant, il modère son discours relatif au conflit israélo-palestinien. Il veut conforter son nouveau pouvoir et renforcer son parti afin de se lancer dans la course électorale. Avec un programme qui, s’il était appliqué, pourrait s’avérer être une mini-révolution en Israël, un programme de paix inscrit dans un contexte social où est dénoncé le gaspillage de l’argent au profit de la guerre, de l’occupation et des colonies, au détriment des couches les plus défavorisées de la société israélienne. Les écueils sont nombreux et autour de lui on fait savoir que « Peretz n’est pas un communiste, il est plutôt comme Blair » !

Il est également fort à parier que la question sécuritaire, cheval de bataille de Sharon, va revenir fortement sur le devant de la scène. La tension qui prévaut depuis plusieurs jours le montre.



Articles Par : Global Research

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