La tournée d’Obama vise à renforcer le « pivot vers l’Asie »

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Dans ce qui est la première étape d’une tournée en Asie, qui le mènera aussi en Corée du Sud, en Malaisie et aux Philippines, le président Barack Obama arrivera demain au Japon dans un contexte de confrontation avec la Russie à propos de l’Ukraine. L’objectif principal d’Obama est d’afficher son intention de poursuivre le « pivot vers l’Asie » qui cherche à assurer l’hégémonie américaine partout dans la région.

En octobre dernier, Obama avait annulé son voyage en Asie, y compris sa participation à deux sommets clé de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), pour cause de fermeture du gouvernement à Washington. Sa décision d’entreprendre la tournée actuelle en dépit de l’escalade de la crise en Ukraine a pour but de rassurer les alliés américains que les Etats-Unis restent attachés à leur offensive diplomatique et renforcement militaire en Asie contre la Chine.

Le voyage d’Obama fait suite à ceux du vice-président Joe Biden en décembre, du secrétaire d’Etat John Kerry en février et du secrétaire à la Défense Chuck Hagel du début du mois, et qui ont tous délibérément intensifié les tensions régionales avec la Chine. Le voyage de Biden avait coïncidé avec une réaction provocatrice de Washington à l’égard de la déclaration de Beijing sur une Zone de défense d’identification aérienne (SDIA) en Mer de Chine du Sud – sans prévenir le Pentagone avait expédié dans la zone des bombardiers B-52 à capacité d’armement nucléaire.

Lors du voyage au Japon, puis en Chine, du secrétaire à la Défense Hagel, ce dernier avait établi un parallèle direct entre l’annexion de la Crimée par la Russie après le coup d’Etat mené par les fascistes à Kiev et manigancé par les Etats-Unis, et les conflits territoriaux en Mer de Chine méridionale et orientale avec ses voisins, dont le Japon et les Philippines. Bien que les Etats-Unis affirment être neutres dans ces différends maritimes, Hagel a cependant accusé Beijing de tenter de « violer [de force] l’intégrité territoriale ». Aux côtés de son homologue chinois, Hagel a réaffirmé que les Etats-Unis étaient « pleinement attachés » à leurs alliances militaires avec le Japon et les Philippines, autrement dit, qu’ils mèneraient une guerre contre la Chine si des combats survenaient.

Obama atterrira à Tokyo pour la première réception d’Etat en grande pompe réservée à un président américain depuis la visite de Clinton il y a plus de dix ans. Durant trois jours, Obama et le premier ministre japonais Shinzo Abe déclareront sans aucun doute leur engagement total au traité de sécurité qui existe entre les deux pays. Le gouvernement Obama incite depuis 2009 le Japon à adopter une attitude plus agressive dans le conflit avec la Chine concernant les îles Senkaku/Diaoyu, à développer son armée et assouplir les restrictions constitutionnelles et juridiques imposées aux opérations de ses forces armées.

Alors que les Etats-Unis cherchent à réaffirmer leur position dominante en région Inde-Pacifique, particulièrement par rapport à la Chine, des tensions ont commencé à apparaître au sein de l’alliance avec le Japon. Les deux pays sont enlisés dans une crise économique grandissante et tentent chacun de s’en sortir aux dépens de leurs rivaux. A ce stade, le gouvernement droitier d’Abe continue de soutenir le « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis mais exploite cette opportunité pour remilitariser et monter sa propre offensive diplomatique en Asie du Sud-Est pour poursuivre les intérêts stratégiques et économiques japonais qui ne coïncident pas toujours avec le programme américain.

Depuis sa prise de fonction en décembre 2012, Abe a pour la première fois depuis dix ans augmenté le budget de l’armée, mis en place un conseil de sécurité nationale de type américain, réorienté la stratégie militaire sur la chaîne des îles située au Sud du pays en face de la côte chinoise, et a commencé à raviver les traditions réactionnaires du militarisme japonais. En à peine plus d’un an, Abe s’est personnellement rendu dans les 10 pays membres de l’ASEAN et donné un coup de pouce aux relations de sécurité entretenues avec eux, notamment avec les Philippines.

Le Financial Times faisait remarquer hier: « Cela a été une année ardue pour les relations américano-japonaises, le fondement de la sécurité de l’Asie et pour l’essor économique long d’un demi-siècle de la région. Les irritants vont de pourparlers commerciaux bloqués à l’habitude de hauts dirigeants japonais de raviver l’histoire militaire du pays. »

Obama devrait inscrire en bonne place à l’ordre du jour les 12 pays concernés par le partenariat transatlantique (Trans-Pacific Partnership, TPP) en vue de pourparlers avec Abe. Un accord de TPP, que Washington considère être un moyen de revaloriser la suprématie économique américaine en Asie, était censé être finalisé d’ici la fin de l’année mais il s’est embourbé en raison notamment de désaccords entre les Etats-Unis et le Japon au sujet des secteurs agricole et automobile.

Un article de l’ancien conseiller américain à la sécurité nationale, Tom Donilon, paru dans la rubrique « éditorial et opinion » du Washington Post, a souligné le rôle central joué par le TPP en tant que « le plus important accord commercial en cours de négociation actuellement. » Il ferait valoir les exigences américaines à tous les niveaux, en allant du commerce à l’investissement jusqu’aux droits de propriété intellectuelle et au droit des sociétés. « Un accord consoliderait la direction des Etats-Unis en Asie et, de concert avec les négociations concernant un accord de libre-échange en Europe, placerait les Etats-Unis au centre d’un grand projet : celui de rédiger les règles qui gouverneront l’économie mondiale pour le siècle prochain, » a déclaré Donilon.

La veille de la visite d’Obama, Abe a de nouveau exacerbé les tensions régionales concernant les questions historiques en envoyant lundi une offrande religieuse au sanctuaire Yasukuni qui rend hommage aux soldats japonais tombés au combat. Aujourd’hui, l’influent ministre du gouvernement japonais, Yoshitaka Shindo, a encore davantage alimenté le débat en menant un groupe de 147 législateurs visiter ce même tristement célèbre sanctuaire. En décembre, Abe avait provoqué les protestations de la Chine et de la Corée du Sud en se rendant personnellement au sanctuaire Yasukuni qui est un symbole du militarisme japonais. Sa visite avait donné le feu vert à une campagne grandissante dans les médias et menée par des figures tel Naoki Hyakuta, qu’Abe a nommé au conseil d’administration du groupe public de radio-télévision NHK, dans le but de blanchir les atrocités commises par l’armée japonaise, tel le massacre de Nanjing.

Le Département d’Etat américain a prudemment exprimé sa « déception » au sujet de la visite d’Abe au sanctuaire Yasukuni. Le gouvernement Obama s’inquiète en partie à l’idée que les relations entre ses deux alliés d’Asie du Nord-Est, le Japon et la Corée du Sud, soient effectivement rompues. La présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye, qui a accédé au pouvoir en février de l’année dernière, a refusé de rencontrer Abe en avançant la suggestion que le Japon revoie ses excuses pour le traitement des « femmes de réconfort », y compris les nombreuses Coréennes du Sud qui furent contraintes de travailler dans des bordels militaires durant les années 1930 et 1940. Le mois dernier, Obama avait dû intervenir comme médiateur en réunissant pour la première fois Abe et Park en marge d’un sommet international sur la sécurité nucléaire à La Haye.

Plus fondamentalement, toutefois, les tensions entre les Etats-Unis et le Japon reflètent un fossé grandissant entre les intérêts des deux puissances impérialistes. Le Financial Times écrit : « Ce qui sous-tend ces frictions est la question de savoir à quel point les deux pays sont engagés dans un partenariat qui ressemble aux vestiges d’une époque révolue, forgé après la guerre du Pacifique alors que les Etats-Unis étaient la puissance régionale incontestée. »

Bien qu’Abe ne soit pas sur le point de rompre avec Washington, il a décrit son programme comme « échappant au régime d’après-guerre » – à savoir, un ordre d’après-guerre dans lequel le Japon comptait militairement sur les Etats-Unis en Asie et était prêt à jouer le rôle de subalterne loyal. Le « régime d’après-guerre » n’avait été établi qu’après une guerre totale entre les Etats-Unis et le Japon pour la domination de l’Asie, notamment la Chine, et au cours de laquelle des millions de personnes étaient mortes.

A Tokyo, le but d’Obama est de garantir la poursuite de l’hégémonie des Etats-Unis dans tous les domaines, de l’agenda économique du TPP aux intérêts de l’impérialisme américain en Asie, en passant par l’ordonnancement du réarmement japonais.

Peter Symonds

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Article original, WSWS, paru le 22 avril 2014



Articles Par : Peter Symonds

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