La version israélienne de l’apartheid

Des passagers expulsent des Palestiniens d’un avion

Deux passagers palestiniens, du vol Aegean Airlines, ont été débarqués car leur présence suscitait « l’anxiété d’autres passagers israéliens ».

Un petit épisode du conflit israélo-palestinien s’est déroulé la semaine dernière sur le tarmac d’un aéroport grec.

Quelques instants avant le départ d’un vol de l’Aegean Airlines, trois passagers israéliens ont pris en main leur sécurité et ont exigé que deux de leurs co-passagers, appartenant à la minorité des Palestiniens d’Israël, soient débarqués de l’avion.

Après quelque 90 minutes de confrontation, des dizaines d’autres juifs israéliens s’étaient joints à la protestation, refusant d’aller occuper leurs sièges.

Parabole de l’insondable indulgence de l’Europe envers Israël, l’équipage de la compagnie grecque a cédé à la pression et a persuadé les deux Palestiniens de quitter l’avion.

L’absence d’indignation de la part des autorités israéliennes ne surprendra personne.

Peu de temps avant l’incident d’Athènes, Israël avait interdit un roman hébreu, « Borderlife » dans l’enseignement scolaire parce que l’œuvre met en scène une relation amoureuse entre un juif israélien et une Palestinienne. Le Ministre de l’Education a dit craindre que le livre ne sape « l’identité ethnique nationale » des élèves juifs et n’encourage « le croisement entre races » [miscegenation].

Comme l’a observé un chroniqueur israélien : « Décourager « l’assimilation » fait partie intégrante de l’État juif ». Une séparation stricte fonctionne dans les secteurs-clé de l’existence, depuis le lieu de résidence jusqu’à la carte scolaire. Par conséquent les mariages entre juifs israéliens et citoyens palestiniens, un cinquième de la population, restent rares. Dès lors il est difficile de ne pas percevoir le paradoxe dans les commentaires du premier ministre Benjamin Netanyahou après que trois Israéliens eurent été abattus par Nashat Melhem à Tel Aviv le jour du Nouvel-An.

Des attaques de ce genre par un citoyen palestinien contre des juifs israéliens sont peu communes et elles ont entraîné une condamnation immédiate de la part de la direction palestinienne. Cela n’a pas empêché Netanyahou de saisir l’occasion de cataloguer comme « criminels » les 1.000.600 Palestiniens du pays. Dans la droite ligne de sa fameuse déclaration le soir des élections, quand il avait averti que les électeurs palestiniens mettaient en péril le résultat en « venant voter en hordes nombreuses », Netanyajou avait promis des fonds policiers extraordinaires pour réprimer la « minorité qui ne respecte pas les lois ».

« Je n’accepterai pas deux états à l’intérieur d’Israël. Quiconque veut être israélien doit être israélien en tous points » avait-il dit. Mais en réalité il y a toujours eu deux classes d’Israéliens, de par la conception même [d’Israël].

Les recherches pour retrouver Malhem se sont achevées vendredi dernier quand il a été abattu par la police. Entre-temps, sa famille proche avait été arrêtée au titre de complicité ou avait subi des interrogatoires interminables. Sans doute pour faire pression sur Melhem, les policiers ont dit à sa mère qu’ils démoliraient la maison familiale s’il ne se rendait pas – seuls les Palestiniens, pas les juifs subissent des démolitions de leurs maisons.

Auparavant, quand la police soupçonnait Melhem de se cacher à Tel Aviv, des policiers braquant leurs armes avaient fait une descente sur les logements de dizaines d’étudiants palestiniens, sans avoir de mandats de perquisition.

Le week-end Netanyahou a promis moyennant conditions d’augmenter les misérables budgets alloués à la minorité palestinienne, pour en finir avec leur « non-respect des lois » – comme si les lacunes du maintien de l’ordre dans ces communautés étaient de leur responsabilité et n’étaient pas imputables au gouvernement.

L’interminable hystérie de ce week-end a contrasté avec un autre crime terrible, celui-ci commis par des juifs israéliens. Fin juillet une bande de colons extrémistes a mis le feu à une maison palestinienne dans le village cisjordanien de Douma. Trois membres de la famille Dawabsheh ont été brûlés vifs, y compris un bébé de 18 mois.

Pendant des semaines, comme toujours après des violences commises par des colons, l’enquête n’a fait aucun progrès. Ensuite, en septembre, le Ministre de la Défense Moshe Yaalon a admis que les coupables avaient été identifiés mais que la police ne procéderait à aucune arrestation, pour éviter d’exposer ses informateurs.

C’est seulement après le tollé ainsi provoqué, et après que des parlementaires arabes eurent menacé de déposer une requête auprès de la Cour suprême, que les rouages policiers se sont enfin mis en branle. Le procureur général a approuvé le tout premier usage de la torture – technique d’interrogatoire basique pour les Palestiniens en Israël et dans les Territoires – sur des suspects israéliens. Depuis, d’éminents commentateurs et ministres de gouvernement israéliens se sont rongé les sangs à propos des mauvais traitements infligés à ces détenus juifs.

Bezalel Smotrich, un député, a rejeté publiquement la qualification de terroristes pour les assassins des Dawabsheh. Interpellé au parlement pour qu’il désavoue les remarques de Smotrich, Netanyahou a quitté la tribune en gardant le silence.

Personne, cela va de soi, n’avait suggéré d’arrêter les parents des suspects – l’un d’eux était le rabbin de la colonie – ni de démolir leurs maisons. Pas de descentes dans les séminaires de la colonie, pas plus que d’étudiants interrogés sous la menace d’une arme.

Les budgets alloués aux colonies ont été augmentés, les colons recevant beaucoup plus d’argent du gouvernement que les Israéliens à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël. Leur long parcours de violence et de « non respect des lois » n’a en rien entamé leur financement.

A présent les experts judiciaires préviennent que les tribunaux libéreront sans doute les principaux suspects des assassinats de Douma parce que leurs aveux ont été extorqués. Et les communautés dont sont originaires les colons ne manifestent aucun repentir. La vidéo d’un mariage montrait récemment les invités célébrant la mort des Dawabsheh – avec un fêtard poignardant plusieurs fois une photo du bébé.

Si colons et citoyens palestiniens partagent des lacunes dans le maintien de l’ordre, les raisons en sont extrêmement différentes.

Priver les citoyens palestiniens de forces de police – excepté pour réprimer la contestation – a laissé leurs communautés faibles et pressurées par le crime et les armes. Pendant des années, Netanyahou a ignoré les dirigeants palestiniens qui demandaient plus de contrôle sur les armes à feu – jusqu’à maintenant, quand l’une de ces armes a visé des juifs.

Les colons eux aussi ont été peu encadrés par les forces de l’ordre, aussi longtemps que leur violence visait des Palestiniens, soit dans les Territoires occupés soit en Israël. Après plus d’une décennie de violences des colons – les attaques « price-tags » — très peu d’enquêtes ont été menées.

En vérité la plupart des juifs israéliens ont longtemps soutenu deux Israël : l’un pour eux-mêmes et l’autre pour la minorité palestinienne, avec en sus des ghettos encore plus défavorisés pour les Palestiniens sous occupation.

Les habitants de l’un restent hostiles et abusifs à l’égard de ceux de l’autre Israël, qui refusent d’accepter les privilèges juifs comme relevant de l’ordre naturel des choses – exactement comme la foule qui a prétendu mordicus que leurs concitoyens n’avaient pas le droit de partager un avion.

Jonathan Cook

Article original : Welcome to Israel’s version of apartheid, 12 janvier 2016

Traduction Marie Meert pour Info-Palestine.eu

Photo de Jonathan Cook.



Articles Par : Jonathan Cook

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