L’acharnement contre Omar Khadr se poursuit

Omar Khadr est condamné, aux État-Unis, à verser 134 millions de dollars en dommages et intérêts dans le cadre d’une poursuite civile, déposée le 24 avril, intentée au nom d’un soldat américain tué et un autre blessé en Afghanistan en 2002. Telle est la nouvelle annoncée ce matin donnant suite à un jugement de la Cour fédérale de l’Utah rendu le 8 juin dernier et ce par défaut, puisqu’Omar Khadr n’avait pas répondu à la poursuite (Journal Le Devoir, le 3 juillet 2015).

Afghanistan.  Guantánamo. Canada

Rappelons brièvement les faits qui ont marqué la vie d’Omar Khadr en Afghanistan, à Guantánamo et au Canada. Omar a été qualifié d’enfant-soldat quand il s’est retrouvé abandonné, à l’âge de 15 ans, au milieu d’un conflit armé en Afghanistan et qu’il aurait effectué (ce qu’il a toujours nié), comme toute personne humaine le fait en légitime défense, des actions pour sauver sa vie. Il a été accusé, en effet, d’avoir causé ou provoqué la mort d’un soldat américain et d’en avoir blessé un autre en 2002 : « «Il a été accusé d’avoir lancé une grenade qui a mortellement blessé le sergent de l’armée américaine Christopher Speer»» (globalresearch.ca). Capturé il s’est retrouvé dans les geôles de Guantánamo en tant que criminel de guerre dans lesquelles il a séjourné, sans aucune aide juridique, entre 2002 et 2012. Durant cette période il a dû subir à répétition, selon son propre témoignage, les sévices et tortures de ses geôliers dans un cadre où  les personnes humaines n’ont plus aucun droit. Son séjour à Guantánamo de si longue durée est très difficile à concevoir quand on saisit bien l’esprit de la Convention mondiale des droits de l’enfant. Kadhr n’a jamais été enrôlé comme enfant-soldat et n’a donc jamais eu ce statut juridique. Il aurait dû être libéré et jugé comme le stipulent les règles internationales concernant les délits ou crimes commis par un enfant.

Dans le cadre d’un plaidoyer incluant son rapatriement au Canada Kadhr avoua sa culpabilité le 25 octobre 2010 pour avoir tué ou tenté de tuer en violation des lois de la guerre, pour avoir conspiré et pour avoir fourni du matériel de support au terrorisme et à l’espionnage (globalresearch.ca). Kadhr, à ce moment-là, a dû avouer sa culpabilité pour voir sa sentence commuée d’une condamnation de prison à vie pour chacun des chefs d’accusation à une peine d’emprisonnement d’une durée de 18 ans. Il ne devra en purger que huit, faisant suite à l’entente entre les avocats de Khadr et ceux des États-Unis stipulant qu’il purgerait la peine la plus courte entre les huit ans de détention et la peine du jury »

« Au Canada, son dossier judiciaire a obtenu une couverture médiatique notable en 2009 notamment pour les violations de droits qu’il aurait subies. Son procès a aussi alimenté une vive controverse en raison du refus catégorique du gouvernement canadien de le rapatrier » (nouvelles: Ici Radio-Canada).

Justice est enfin rendue le 7 mai 2015. Un enième jugement, celui-là de la Cour d’appel de l’Alberta du banc de la reine de l’Alberta, a permis, en effet, à Omar Kadhr de retrouver sa liberté sous libération conditionnelle le 24 avril. Selon les propos de Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Amnistie internationale, « Bienvenu dans un monde ou la justice sera enfin plus forte que les jeux politiques qui se sont construits sur votre personne. Encore une autre juge au Canada qui vous donne raison. En fait, il devient difficile de les compter. Cour suprême du Canada deux fois, Cour d’Appel fédérale, cours fédérales de nombreuses fois, Cour d’appel de l’Alberta et Cour du banc de la reine de l’Alberta » (Le Devoir, 8 mai 2015). La juge a estimé jeudi qu’Ottawa n’avait pas démontré que la libération de M. Khadr constituerait une menace à la sécurité publique ou nuirait aux bonnes relations du Canada avec les autres pays (droit-inc.com).

Une poursuite civile insensée mais courante aux États-Unis

La poursuite qui se matérialise aujourd’hui ne peut être réglée illico étant donné la situation de facto d’Omar Kadhr. Les familles des plaignants pourront, dans les faits, faire appliquer le jugement par un tribunal canadien et le montant final sera déterminé par le juge américain.

Tous sont en droit de se demander comment un ex-détenu sans le sou peut se soumettre à cette exigence. On peut supposer que ceux qui font la poursuite se disent qu’étant donné qu’Omar Kadhr demeure chez son avocat, celui-ci devra trouver au moins les sommes nécessaires au remboursement des frais juridiques de la plaignante. Il semble bien, dans ces circonstances, que seul un règlement hors cours pourrait s’avérer une solution viable, car les recours devant les tribunaux seraient susceptibles de se multiplier dans un continuum sans fin.

Le sort des détenus de Guantanamo : Une situation de limbo ou de no man’s land juridique

« Les procédures judiciaires aux États-Unis liées aux détenus de Guantánamo ont commencé dès 2002, et étaient toujours en cours en 2013. Après une série de décisions judiciaires, notamment de la Cour suprême, ainsi que de lois du Congrès, la situation juridique de ces détenus, qualifiés par l’administration Bush de « combattants ennemis », dépourvus de tout droit et de toute protection traditionnellement accordée par l’état de droit, demeure peu claire. Les détenus de Guantánamo ont été, en effet, déclarés par un décret présidentiel de George W. Bush « combattants ennemis…Ce décret autorisait leur détention sans limite et sans chef d’accusation, la Constitution américaine ne s’appliquant pas selon l’administration Bush à Guantánamo, interdisant ainsi aux détenus de déposer des requêtes d’habeas corpus, fondement de l’État de droit. En outre, le gouvernement américain leur déniait par ce statut toute protection accordée par les Conventions de Genève aux prisonniers de guerre. Ces détenus se trouvaient et se trouvent donc encore dans une situation de limbo ou de no man’s land juridique. Dès sa prise de fonction, début 2009, le président Barack Obama a exigé la suspension des procès en cours »  (wikipedia.org). Que s’est-il passé depuis?

Le jugement de la Cour suprême du Canada de mai 2015. Retour vers un statut légal normalisé d’Omar Kadhr

« La Cour suprême du Canada a tranché que l’ancien prisonnier de Guantanamo Omar Khadr ne devait pas être traité comme un contrevenant adulte, jeudi, rejetant sans perdre de temps l’appel du gouvernement fédéral ».

« Dans un rare jugement rendu sur le banc peu après la fin de l’audience, jeudi, la juge en chef Beverley McLachlin a rejeté l’appel du gouvernement fédéral, affirmant que M. Khadr n’a pas reçu cinq peines concurrentes et que son temps de détention devrait être purgé dans une prison provinciale, et non dans un pénitencier fédéral. Cette peine est en-dessous du minimum d’une peine pour adulte», a déclaré la juge en chef dans la salle de cour après environ 30 minutes de délibérations ».

«Nous sommes d’avis que l’interprétation correcte de la législation pertinente ne permet pas à la peine de huit ans de M. Khadr d’être traitée comme cinq peines distinctes de huit ans à être purgées de façon concurrente ».

« Comparativement à la peine obligatoire pour meurtre prémédité pour un adulte, qui est la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, «huit ans pour meurtre prémédité serait une peine pour jeune contrevenant», a ajouté la juge Andromache Karakastanis. Les juges du plus haut tribunal du pays ont ordonné au gouvernement de payer les frais de la cause de M. Khadr et confirmé le jugement précédent de la Cour d’appel de l’Alberta, qui avait déterminé que sa sentence devait être purgée dans un établissement de détention provincial ».(lapresse.ca)

Conclusion

Omar Kadhr a été rapatrié au Canada et a été libéré sous caution en attendant le dénouement de son procès qui a cours aux États-Unis. Un jugement de la Cour suprême du Canada ordonne qu’Omar Kadhr soit considéré comme un jeune contrevenant et non comme un adulte et qu’il soit dorénavant traité comme tel.  Il est de nouveau, aux États-Unis, accusé au civil devant verser la somme de 134 millions de dollars, une somme astronomique qui ne pourra jamais, théoriquement, être remboursée. Cette condamnation s’avère un élément de plus dans cet acharnement contre cet être humain qui s’est retrouvé, bien malgré lui, au milieu d’une guerre d’invasion infâme perpétrée par les puissances occidentales, il faut le répéter, une guerre qui aurait causé plus de 220 000 morts selon les données d’un rapport intitulé «  Body Count : Casualty Figures after 10 years of the ’War on Terror’» (ippnw.de). Une hécatombe dont les responsables sont restés jusqu’à maintenant impunis et ce rendant légitime et acceptable, aux yeux du public, cette guerre d’invasion perpétrée au mépris de l’esprit de la Charte des Nations Unies et du droit international. Nous avons tous, dans notre conscience, la conviction que cet acharnement contre Omar Kadhr devrait se porter plutôt vers les responsables de cette guerre meurtrière et dévastatrice.

Jules Dufour 

Centre de recherche sur la Mondialisation

Jules Dufour, Ph.D., C.Q., géographe. Professeur émérite. Membre de la Commission mondiale des Aires protégées de  l’Union Internationale pour la conservation de la nature (UICN), Gland, Suisse. Membre, Cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, Paris. Membre. Groupe canadien du PUGWASS, Toronto.

 

 

Références

AP. 2015. Omar Khadr est condamné au civil à verser 134 millions à deux soldats américains. Journal Le Devoir, le 3 juillet 2015, p. A2.

BLANCHFIELD, Mike. 2015. Nouvelle victoire pour Omar Khadr en Cour suprême. La Presse Canadienne. Le 14 mai 2015. En ligne : http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201505/14/01-4869713-nouvelle-victoire-pour-omar-khadr-en-cour-supreme.php

DUFOUR, Jules. 2015. Omar Khadr. Une autre vie détruite par la guerre mondiale contre la terreur. Montréal, Centre de recherche sur la mondialisation (CRM). Le 9 mai 2015. En ligne : http://www.mondialisation.ca/omar-khadr-une-autre-vie-detruite-par-la-guerre-mondiale-contre-la-terreur/5448364

LÉVESQUE, Julie. 2015. Omar Khadr, Child Soldier: “Fact” or “Notion”? Global Research, Le 10 mai 2015. En ligne : http://www.globalresearch.ca/omar-khadr-child-soldier-fact-or-notion/5448325

PERKEL, Colin. 2015. Poursuite civile aux États-Unis contre Omar Khadr. La Presse canadienne. Le 17 mai 2015. En ligne : http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ailleurs-au-pays-et-dans-le-monde/201505/17/01-4870408-poursuite-civile-aux-etats-unis-contre-omar-khadr.php

RADIO-CANADA. 2015. Une poursuite civile de 134 M$ déposée aux États-Unis contre Omar Khadr. Le 17 mai 2015. En ligne : http://ici.radio-canada.ca/regions/alberta/2015/05/17/003-poursuite-civile-etats-unis-omar-khadr.shtml

WELCH, Michael et Michel Chossudovsky. Omar Khadr, Guantanamo, and the “Global War On Terrorism”: Exclusive Interview with Khadr’s Lawyer Dennis Edney. Global Research News Hour Episode 104. Le 16 mai 2015.

WIKIPÉDIA. Procédures judiciaires aux États-Unis liées aux détenus de Guantánamo. Dernière mise à jour : Le 2 juillet 2014. En ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A9dures_judiciaires_aux_%C3%89tats-Unis_li%C3%A9es_aux_d%C3%A9tenus_de_Guant%C3%A1namo

 



Articles Par : Prof. Jules Dufour

A propos :

Jules Dufour, Ph.D., C.Q., géographe et professeur émérite. Chercheur-associé au Centre de recherche sur la Mondialisation, Montréal, Québec, Canada.

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