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L’agenda libyen dévoilé: Les courriels de Hillary Clinton vus plus en détail
Par Ellen Brown
Mondialisation.ca, 30 mars 2016
Web of Debt 13 mars 2016
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https://www.mondialisation.ca/lagenda-libyen-devoile-les-courriels-de-hillary-clinton-vus-plus-en-detail/5517436

Des critiques se sont demandés depuis longtemps pourquoi une intervention violente était nécessaire en Libye. Les courriels de Hillary Clinton, qui ont été rendus publics récemment, confirment qu’il s’agissait moins de protéger le peuple contre un dictateur, mais plutôt d’argent, de banques et d’empêcher une souveraineté économique africaine.

La courte visite à la Libye, en octobre 2011, de Hillary Clinton, sécrétaire d’État à l’époque, était décrite par les média comme « un tour de victoire ». « Nous venions, nous voyions et il est mort!« , elle chantait dans un interview de CBS [1] lorsqu’elle apprenait la capture et le meurtre brutal du chef libyen Muammar el-Qaddafi.

Mais le tour de victoire était prémature, écrivent Scott Shane et Jo Becker dans le New York Times [2]. La Libye était mise en veilleuse par le Département d’État, « comme le pays se désintégrait en chaos, menant à une guerre civile, qui déstabilisait la région, alimentant la crise des réfugiés en Europe et permettant l’État Islamique d’établir une base libyenne que les États-Unis essaient de contenir maintenant. »

L’intervention de l’UE-OTAN était soi-disant entreprise pour des raisons humanitaires, après des rapports d’atrocités de masse. Cependant, des organisations de droits de l’homme mettaient ces affirmations en doute [3] apès avoir constaté un manque de preuves [4]. Aujourd’hui, par contre, des atrocités vérifiables ont lieu. Comme Dan Kovalik écrivait dans le Huffington Post [5], « la situation humanitaire en Libye est un désastre, comme des milliers de détenus [incluant des enfants] dépérissent dans des prisons sans traitement judiciaire approprié, » et des « enlèvements et tueries ciblées se propagent. »

Obama et Sarkozy en Libye

Obama et Sarkozy en Libye

Avant 2011, la Libye avait atteint une indépendance économique, avec sa propre eau, sa propre production alimentaire, son propre pétrole et sa propre banque d’état. Sous Qaddafi elle avait évolué d’un des pays les plus pauvres au pays le plus riche d’Afrique. L’éducation et le traitement médical étaient gratuits [6]; avoir une maison était considéré comme un droit de l’homme; et les Libyens participaient dans un système de démocratie locale originale. [7] Le pays pouvait se vanter d’avoir le plus grand système d’irrigation au monde, le projet de « Grand Fleuve fabriqué par l’Homme » [8], qui portait de l’eau des déserts jusqu’aux villes et aux régions côtières; et Qaddafi avait entrepris de répandre son modèle sur l’Afrique entière.

Mais cela était avant que les puissances de l’UE-OTAN bombardent le système d’irrigation et démolissent le pays. Aujourd’hui la situation est tellement grave que le président Obama a demandé à ses conseillers de préparer des options, y compris un nouveau front militaire en Libye [10], et selon ce qui est rapporté, le Département de Défense se tient prêt avec « le spectre complet de toutes les opérations militaires requises ».

Le tour de victoire du sécrétaire d’État était, en effet, prématuré, si nous parlons du but officiel, à savoir une intervention humanitaire. Mais ses courriels, rendus publics récemment, révèlent un autre agenda derrière la guerre libyenne, et cet agenda-là avait été réalisé, il semble.

Mission accomplie?

Des 3.000 courriels du serveur de courriels privé de Hillary Clinton, rendus publics fin décembre 2015, près d’un tiers venait de son confidant intime Sydney Blumenthal, l’aide des Clinton, qui est devenu notoirement connu lorsqu’il a témoigné contre Monika Lewinsky. Dans un de ses courriels [11], daté du 2 avril 2011, on peut lire:

Le gouvernement de Qaddafi détient 143 tonnes d’or et un montant similaire en argent…. Cet or avait été accumulé avant la rébellion actuelle et était destiné à être utilisé pour établir une monnaie pan-africaine basée sur le Dinar d’or libyen. Ce projet visait à offrir aux pays francophones africains, une alternative au franc français (CFA)

Sur la source de cette information, le courriel dit:

Selon des gens bien informés cette quantité d’or et d’argent représente plus de 7 milliards de dollars. Des fonctionnaires des services secrets français ont découvert ce projet peu après le début de la rébellion actuelle et cela a été un de facteurs qui ont influencés la décision du président Nicolas Sarkozy d’engager la France dans l’attaque sur la Libye. Selon ces personnes les plans de Sarkozy’s sont motivés par les motifs suivants:

  1. Un souhait d’obtenir une plus grande partie de la production de pétrole libyenne,
  2. Augmenter l’influence française en Afrique du Nord,
  3. Améliorer sa situation politique interne,
  4. Offrir une opportunité aux militaires français de réaffirmer leur rôle dans le monde,
  5. Répondre aux soucis de ses conseillers sur les projets à long terme de Qaddafi, pour remplacer la France comme pouvoir principal en Afrique francophone

Remarquablement absent est toute mention sur des soucis humanitaires. Les objectifs sont l’argent, le pouvoir et le pétrole.

D’autres confirmations explosives dans les courriels récemment rendus publics sont détaillées par le journaliste d’investigation Robert Parry. [12] Elles comprennent des admissions de crimes de guerre, d’entraîneurs d’opérations spéciales à l’intérieur de la Libye presque dès le début des protestations, et d’Al Quaeda intégré dans l’opposition soutenue par les États-Unis. Des thèmes-clef de propagande pour l’intervention violente sont reconnus n’être que des rumeurs. Parry suggère qu’ils pourraient bien émaner de Blumenthal lui-même. Ils comprennent l’accusation bizarre que Qaddafi avait une « politique de viols » comprenant la distribution de Viagra à ces troupes, une accusation que l’ambassadice des Nations Unies, Susan Rice, utilisait ultérieurement dans une présentation de l’ONU. Parry demande rhétoriquement:

Pensez-vous qu’il serait plus facile pour l’Administration d’Obama d’obtenir du support américain pour ce « changement de régime », s’il explique comment les Français veulent voler les richesses de la Libye et maintenir leur influence française néo-coloniale sur l’Afrique – ou est-ce que les Américains réagiraient mieux à des thèmes de propagande sur Gaddafi distribuant du Viagra à ses troupes pour qu’ils puissent mieux violer des femmes, pendant que ses tireurs d’éilite ciblent des enfants innocents? Bingo!

Renverser le schéma des finances globales

La tentative menaçante de Qaddafi pour établir une monnaie africaine indépendante n’était pas prise à la légère par les intérêts occidentaux. En 2011, Sarkozy aurait appelé le chef libyen une menace pour la sécurité financière mondiale. [13] Comment ce petit pays de six millions d’habitants pouvait poser une menace pareille? D’abord quelques informations d’arrière plan.

Ce sont les banques, et non pas les gouvernements, qui créent la plus grande partie de l’argent dans les économies occidentales, comme la Banque d’Angleterre confirmait récemment. [14] Cela se fait depuis des siècles par un processus appelé prêter avec une « réserve fractionnelle ». A l’origine, ces réserves étaient de l’or. En 1933 le président Franklin Rooseveldt remplaçait l’or domestiquement par des réserves créées par la banque centrale, mais l’or restait la monnaie de réserve internationale.

En 1944 le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale étaient crées à Bretton Woods, à New Hampshire, pour unifier ce système créé par les banques mondialement. Une règle du FMI disait qu’aucun argent en papier ne pouvait avoir de support d’or. Un approvisionnnement en argent, créé de façon privée comme une dette à intérêts, exige un approvisionnement en débiteurs continuel. Et durant la demie-siècle suivante la plupart des pays en développement se retrouvaient endettés envers le FMI [15]. Ces prêts venaient avec des conditions attachées, comprenant des politiques de « réformes structurelles » avec des mesures d’austérité et la privatisation des biens publics.

Après 1944 le dollar des EU était négocié de façon interchangeable avec de l’or comme monnaie de réserve. Et lorsque les États-Unis n’étaient plus capables de maintenir le soutien d’or de leur dollar, ils concluaient un accord avec l’OPEC pour soutenir le dollar avec du pétrole, créant le « pétro-dollar ». Le pétrole ne serait vendu qu’en dollars, qui seraient déposés dans des banques de Wall Street et dans d’autres banques internationales.

En 2001, mécontent de la valeur diminuante des dollars que l’OPEC recevait pour son pétrole, Saddam Hussein d’Irak rompait l’accord et vendait du pétrole en euros. Un changement de régime suivait rapidement, accompagné de la destruction massive du pays.

En Libye, Qaddafi rompait l’accord également, mais il faisait plus que vendre son pétrole dans une autre monnaie.

Comme le bloggueur Denise Rhyne [16] détaille ces développements:

Depuis des décennies la Libye et d’autres pays africains avaient tenté de créer un étalon d’or pan-africain. Qaddafi de Libye et d’autres chefs d’état africains avaient voulu une ‘monnaie dure’, indépendante et pan-africaine.

Sous la direction de Qaddafi des nations africaines s’étaient réunies au moins deux fois pour une union monétaire. Les pays ont parlé de la possibilité d’utiliser de dinar libyen et le dirham d’argent comme la seule monnaie pour acheter du pétrole africain.

Jusqu’à l’invasion récente des EU/OTAN le dinar d’or était émis par la banque centrale libyenne (CBL). La Banque Libyenne appartenait pour 100 pourcent à l’État et était indépendante. Les étrangers devaient passer par la CBL pour pouvoir commercer avec la Libye. La banque centrale se servait des 143,8 tonnes d’or pour émettre le dinar libyen.

Qaddafi (président de l’Union Africaine en 2009) concevait et finançait un plan pour unir les États souverains d’Afrique avec une monnaie d’or unique (les États-Unis d’Afrique). En 2004, un parlement pan-african (53 nations) établissait des plans pour la Communauté Économique Africaine – avec une monnaie d’or unique en 2023.

Les nations africaines produisant du pétrole se préparaient à abandonner le pétro-dollar et à demander de l’or pour le pétrole et le gas.

Montrer ce qui est possible

Qaddafi avait fait plus que d’organiser un coup monétaire africain. Il avait démontré qu’une indépendance financière pouvait être réalisée. Son plus grand projet d’infrastructure, le ‘Grand Fleuve fabriqué par l’Homme’, transformait les régions arides en un panier de pain pour la Libye et le projet de 33 billions de dollars avait été financé sans intérêt, et sans dette extérieure, par la propre banque de l’État libyen.

Cela pouvait expliquer pourquoi cette pièce d’infrastructure critique était démolie en 2011. L’OTAN ne bombardait pas que la conduite d’eau [17] mais annihilait le projet complètement en bombardant aussi l’usine qui fabriquait les tuyaux nécessaires pour la réparer. Mutiler un système d’irrigation civile qui sert à 70 pourcent de la population ne ressemble guère à une intervention humanitaire. C’est plutôt comme le professeur canadien Maximilian Forte le décrit dans son livre basé sur des recherches poussées « Slouching Towards Sirte: NATO’s War on Libya and Africa (Titubant vers Sirte: la guerre de l’OTAN contre la Libye et l’Afrique) » :[18]

Le but de l’intervention militaire des États-Unis était de stopper une évolution émergeante vers l’indépendance et le réseau de collaboration à l’intérieur de l’Afrique, qui aurait facilité une auto-suffisance africaine accrue. Une telle indépendance est en conflit avec les ambitions géo-stratégiques et les ambitions de politique économique de pouvoirs hors du continent européen, à savoir celles des États-Unis. »

Mystère résolu

Les courriels de Hillary Clinton jettent aussi la lumière sur un autre énigme remarqué par les commentateurs de la première heure. Pourquoi, en moins de quelques semaines de combat, les rebels montaient leur propre banque centrale?

Robert Wenzel [19] écrivait dans The Economic Policy Journal en 2011:

Cela fait supposer qu’on ait à faire avec quelque chose de plus qu’une bande de rebels courant en tous sens et qu’il y ait ici des influences assez sophistiquées. Je n’ai jamais entendu parler d’une banque centrale, qui dans l’espace de quelques semaines émerge d’une révolte populaire.

C’était tout très suspicieux, mais comme Alex Newman concluait  [20] dans un article en novembre 2011:

Si sauver les banques centrales et le système monétaire mondial corrompu était véritablement parmi les raisons pour destituer Gaddafi, …. ça nous ne pourrons jamais le savoir avec certitude – au moins pas publiquement.

Là l’histoire se serait terminée – suspicieuse mais non-vérifiée comme tant d’histoires de fraude et de corruption – s’il n’y avait pas eu les courriels de Hillary Clinton rendus publics après une enquête du FBI. Ils ajoutent un poids subtantiel aux suspicions de Newman: L’intervention violente n’était pas primairement pour la sécurité du peuple. C’était pour la sécurité du système mondial des banques, de l’argent et du pétrole.

Ellen Brown

 Article original en anglais :

Hillary Clinton Emails

Money, Power and Oil. Exposing the Libyan Agenda: A Closer Look at Hillary’s Emails

Traduit par Rudo de Ruijter et publié avec la permission d’Ellen Brown. Site de courtfool.info

Sources et références:

[1] CBS video interview: http://www.cbsnews.com/videos/clinton-on-qaddafi-we-came-we-saw-he-died/

[2] Scott Shane et Jo Becker dans le New York Times:http://www.nytimes.com/2016/02/28/us/politics/libya-isis-hillary-clinton.html?_r=0

[3] Les organisations de droits de l’homme doutent des rapports d’atrocités massives: http://www.independent.co.uk/news/world/africa/amnesty-questions-claim-that-gaddafi-ordered-rape-as-weapon-of-war-2302037.html

[4] Manque de preuves: http://www.counterpunch.org/2011/08/31/the-top-ten-myths-in-the-war-against-libya/

[5] Dan Kovalik dans le Huffington Post:http://www.huffingtonpost.com/dan-kovalik/clinton-emails-on-libya-e_b_9054182.html

[6] L’éducation et les soins médicaux étaient gratuits:http://www.counterpunch.org/2015/10/20/libya-from-africas-wealthiest-democracy-under-gaddafi-to-terrorist-haven-after-us-intervention/

[7] Un système original de démocratie locale: https://en.wikipedia.org/wiki/General_People’s_Committee

[8] Le Projet du Grand Fleuve fabriqué par l’homme:http://www.mathaba.net/news/?x=632945

[9] Les États-Unis et l’OTAN bombardent le système d’irrigation: http://www.truth-out.org/news/item/30999-war-crime-nato-deliberately-destroyed-libya-s-water-infrastructure

[10] L’option d’Obama pour un nouveau front militaire en Libye:http://www.counterpunch.org/2016/02/05/obama-readies-to-fight-in-libya-again/

[11] Courriel du 2 avril 2011, à Clinton de la part de son confidant intime Sidney Blumenthal: http://www.zerohedge.com/news/2016-01-09/clinton-email-hints-oil-gold-were-behind-regime-change-libya

[12] Robert Parry: Ce que Hillary savait sur la Libye:http://www.commondreams.org/views/2016/01/13/what-hillary-knew-about-libya

[13] Sarkozy: Qaddafi est une menace pour les finances globales:http://www.thenewamerican.com/economy/markets/item/4630-gadhafi-s-gold-money-plan-would-have-devastated-dollar

[14] Bank of England: L’argent est créé par les banques commerciales:http://www.bankofengland.co.uk/publications/Documents/quarterlybulletin/2014/qb14q1prereleasemoneycreation.pdf

[15] Les pays en développement attrapés dans des dettes envers le FMI:http://www.globalexchange.org/resources/wbimf/oppose  

[16] Denise Rhyne: L’étalon d’or pan-africain de Gaddafi: http://www.youshouldbuygold.com/2011/10/end-of-african-gold-standard-the-oil-gold-relationship/

[17] L’OTAN bombarde l’infrastructure d’eau libyenne: http://www.truth-out.org/news/item/30999-war-crime-nato-deliberately-destroyed-libya-s-water-infrastructure 

[18] Maximilian Forte: https://ceasefiremagazine.co.uk/review-slouching-sirte-natos-war-libya-africa-maximilian-forte/

[19] Robert Wenzel, dans The Economic Policy Journal http://www.economicpolicyjournal.com/2011/03/libyan-rebels-form-central-bank.html

[20] La conclusion d’Alex Newman: http://www.thenewamerican.com/economy/markets/item/4630-gadhafis-gold-money-plan-would-have-devastated-dollar

 

Ellen Brown est un procureur et l’auteur de douze livres, parmi lesquels le succès de vente Web of Debt (Étoile de dettes). Son dernier livre, The Public Bank Solution (La soultion d’une banque publique) explore historiquement et globalement des modèles de banque publique réussis. Son blog avec plus de 300 articles se trouve à EllenBrown.com  Ecoutez “It’s Our Money with Ellen Brown” sur PRN.FM.

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