Le commissaire nuit à la santé

Un commissaire européen intervient par des pressions directes sur un « pays en voie de développement » en soutenant de façon explicite un laboratoire pharmaceutique particulier, et au nom des intérêts de celui-ci demande à un gouvernement souverain de modifier une loi.

Ceci n’était jamais arrivé. Que les multinationales pharmaceutiques disposent d’un très grand pouvoir pour  conditionner, dans le domaine sanitaire, les choix politiques des gouvernements  du monde entier, ce n’est pas une nouveauté. Ce n’est pas une nouveauté non plus que chaque fois que les parlements discutent  de questions inhérentes à la pharmacie, les boîtes aux lettres et les emails des députés soient envahis de dizaines et dizaines de messages provenant  de ces mêmes entreprises. Ici, cependant, nous assistons  à une pression sans précédent.

Les faits : depuis 8 mois, le Parlement européen est engagé dans un bras de fer avec la Commission et le Conseil de l’Union européenne ; l’objectif des parlementaires est de pousser les organismes du gouvernement européen à soutenir les pays pauvres et en voie de développement  dans l’application  des clauses de sauvegarde de l’Accord Trips (sur la propriété intellectuelle) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC/Wto). En bref, l’assemblée de Strasbourg demande que l’Europe permette aux pays pauvres et en état d’épidémie de produire directement  – ou d’acheter à bas prix aux pays producteurs comme le Brésil et l’Inde –  des copies génériques de médicaments encore sous brevet, tout en restant à l’intérieur des règles  rigides établies par l’OMC. Il s’agit de mesures  minimes  pour essayer de réduire la mortalité dans des pays où  le coût élevé des médicaments les rend inaccessibles à la majorité de la population, en causant des millions de morts qui auraient pu être évitées.

Deux lettres d’encouragement

Il s’avère maintenant que pendant que le Parlement discutait ces requêtes avec les fonctionnaires de la Commission européenne, le commissaire européen  au commerce extérieur, Peter Mandelson,  écrivait  au gouvernement thaïlandais  en demandant la révision  d’une loi nationale qui favorisait l’accès aux médicaments anti-HIV et anti-infarctus à des centaines de milliers de malades. En deux lettres expédiées au ministre du commerce thaïlandais, respectivement les 10 juillet et 10 septembre 2007, Mandelson non seulement essayait d’influencer la souveraineté législative de Bangkok mais, au nom de l’Ue, « encourageait le gouvernemental thaïlandais à entreprendre une confrontation directe avec les propriétaires des brevets, en particulier  avec Sanofi-Aventis, sur le Clopidogrel (Plavix) ». Un soutien explicite et direct aux intérêts de la multinationale Sanofi-Aventis et de son médicament de pointe, le Plavix justement, utilisé pour prévenir des attaques cardiaques ou d’autres pathologies coronariennes et qui, rien que pour l’année 2006, avait eu un chiffre d’affaires de 6 milliards de dollars.

En Thaïlande, 350 personnes sur 1000 souffrent du cœur et, étant donné le prix imposé par Sanofi-Aventis de deux dollars la pilule, seuls 20% des patients ont accès aux soins. C’est pour cette raison que le Ministère de la Santé Publique  thaïlandais a décidé  en janvier dernier d’importer d’Inde la version générique (non brevetée) du Plavix, à 3 centimes de dollar la pilule, en ayant recours à une  dérogation (techniquement appelée « licence obligatoire ») prévue par les Trips, les accords sur la propriété intellectuelle prévue par l’OMC. L’économie pour les caisses de l’Etat est estimée à 4 millions et demi de dollars. Sanofi-Aventis avait officiellement menacé d’avoir recours à la justice dans le cas où Bangkok signerait son contrat de fourniture avec l’Inde, et de citer Emcure, l’entreprise indienne productrice de la version générique du Plavix, dans le cas où  elle accepterait  la commande de 2 millions de plaquettes formulée par la Thaïlande. En même temps Sanofi-Aventis a lancé une vaste campagne de lobby pour mettre en question le droit de l’état asiatique à émettre des  licences obligatoires : campagne immédiatement relayée par le commissaire MANDELSON. Aujourd’hui, malgré les multiples demandes  d’éclaircissement de ce comportement, de la part des parlementaires européens et des ONG telle que Oxfam et Médecins sans frontières, aucune justification n’est arrivée de la part du commissaire Mandelson sur sa conduite.

Un business de 600 milliards

 

Le marché pharmaceutique mondial représente un business de 600 milliards de dollars annuels, et il est monopolisé par une douzaine de laboratoires dont les sièges sont aux Etats-Unis et en Europe, enregistrant des marges bénéficieras supérieures à 25% (contre 15 % environ pour les autres biens de consommation), et distribuent à leurs grands managers des salaires moyens d’environ  42 millions de dollars annuels.

La conduite de Mandelson, en plus d’être fortement critiquable sur le plan politique et éthique, est formellement en opposition avec le mandat qui lui a été confié par l’Union Européenne. En effet, les règles de l’Union européenne prévoient que lorsqu’un politique assume le rôle de Commissaire il s’engage  formellement à représenter l’Europe dans son ensemble et à garder sa propre indépendance vis-à-vis de tout intérêt commercial, économique et financier. Toutes les raisons sont réunies pour demander à Mandelson de remettre la démission  de sa charge : pour respecter les normes que l’Union s’est donnée et aussi pour ne pas transformer  les citoyens  européens  en co-responsables  involontaires d’autres milliers de morts dans les pays en voie de développement.

* eurodéputé de la Gauche unie européenne

Edition de mercredi 24 octobre de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/24-Ottobre-2007/art29.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

« Dear minister …»

Le 10 juillet 2007, le commissaire européen au commerce extérieur Peter Mandelson écrit une première fois au ministre du commerce thaïlandais Krirk-frai Jirapaet (et à ses collègues de la santé et des affaires extéirieures) :

« Je suis préoccupé par de récentes indications que le gouvernement thaïlandais veuille adopter une nouvelle approche au sujet de l’accès aux médicaments », écrit Mandelson à propos des « licences obligatoires ». « Cette approche est un motif de préoccupation pour l’Union Européenne, et irait au-delà du système des brevets (…). D’autres moyens devraient être explorés pour augmenter l’accès aux médicaments  essentiels ». (…) « L’Union européenne encourage donc le gouvernement de la Thaïlande à ouvrir un dialogue direct avec les détenteurs des brevets, en particulier avec Sanofi-Aventis sur le Clopidogrel (Plavix) ».

Les ministres du commerce et celui de la santé Mongkol Na Songkhla ont répondu que les licences obligatoires ne sont pas une politique systématique, mais justifient celles émises (qui demeurent). Ainsi le 10 septembre, Mandelson revient à la charge et écrit de nouveau aux trois ministres  thaïlandais : les licences obligatoires  ne doivent être utilisées que dans des cas exceptionnels, et réaffirme son idée : « J’attends (mi aspetto, peut aussi être traduit par je souhaite ? Ndt) que des négociations avec les détenteurs des brevets, en particulier Sanofi-Aventis, apportent des résultats satisfaisants ».

Mais pourquoi le commissaire Mandelson s’est-il fait le porte-parole des intérêts commerciaux de Sanofi-Aventis ?

Edition de mercredi 24 octobre de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/24-Ottobre-2007/art28.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Vittorio D'Agnoletto

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