Le défilé de Trump et la menace d’une dictature militaire

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L’ordre donné par le président Donald Trump aux hauts gradés du Pentagone de préparer un défilé militaire sur la Pennsylvania Avenue à Washington est un événement politique qui devrait être abordé avec un profond sérieux.

Le Washington Post a rapporté que la demande pour le défilé avait été transmise par Trump à de hauts responsables militaires, y compris son secrétaire à la défense, le général des Marines récemment retraité James « Mad Dog (chien enragé) » Mattis, et le général Joseph Dunford, le président des chefs d’États-majors interarmées, lors d’une réunion du 18 janvier dans la « citerne », la salle de réunion secrète des chefs des États-majors au Pentagone.

« Cela se fait au plus haut niveau de l’armée », a déclaré au Washington Postun responsable militaire s’exprimant sous couvert d’anonymat. Les dates possibles pour le défilé comprennent le « Memorial Day » (jour commémoratif de la guerre), le 4 juillet (jour de la célébration de l’Indépendance) et la journée des anciens combattants.

Certains médias ont attribué la volonté de Trump à de la jalousie après un défilé militaire auquel il a assisté en France avec le président français Emmanuel Macron, en observant les troupes françaises défiler sur l’Avenue des Champs-Élysées avec des chars et d’autres véhicules militaires en juillet dernier.

Bien qu’il y ait eu des articles critiques et ironiques publiés dans les médias bourgeois sur le défilé prévu, on peut compter sur tous les grands journaux et réseaux de diffusion pour devenir des « Pompom Girls » quand les troupes et les chars défileront sur Pennsylvania Avenue.

Il y a beaucoup plus qu’un caprice impressionniste du président américain à l’œuvre ici. Le défilé français a simplement fourni un prétexte à Trump pour exprimer un agenda militariste qu’il a tenu depuis bien avant de prendre ses fonctions, basé sur des opinions fascistes héritées de son père, un ancien membre du KKK, et nourries durant son passage dans une école militaire privée.

Dans un entretien accordé au Washington Post avant son inauguration en janvier 2017, Trump a déclaré :

« Nous allons montrer aux gens que nous construisons notre armée […] Cette armée peut venir défiler Pennsylvania Avenue. Cette armée peut survoler New York et Washington, DC, pour des défilés. Ce que je veux dire est que nous allons montrer notre armée. »

Les documents obtenus plusieurs mois après l’entrée en fonctions de Trump ont montré que les membres les plus importants du Comité inaugural présidentiel de Trump ont approché le Pentagone demandant une liste et des photographies de chars, de lanceurs de missiles et d’autres véhicules militaires qui pourraient être déployées lors du défilé inaugural. Le Pentagone à cette époque était extrêmement réticent à organiser un tel déploiement, et les assistants de Trump ont abandonné la proposition.

Au lieu de cela, la cérémonie de prise de fonctions a inclus l’épisode étrange et troublant de 10 officiers de l’armée, en représentant les différentes branches, marchant derrière le nouveau président et se tenant brièvement en formation alors qu’il prononçait son discours, et se dispersant quelques instants après qu’un autre officier se soit approché en chuchotant un ordre. Ni le Pentagone ni la Maison-Blanche Trump n’ont jamais expliqué cet incident qui semblait être une tentative avortée de fournir une toile de fond militariste à la diatribe fasciste de Trump.

Si le désir de longue date de Trump de voir des chars rouler sur l’artère principale reliant le Capitol Hill et la Maison-Blanche et de recevoir le salut en tant que commandant en chef des légions américaines en uniforme est maintenant sur le point de s’accomplir, c’est à cause des changements profonds de la société américaine et de l’appareil d’État capitaliste.

Le dernier grand défilé militaire aux États-Unis a été organisé sous l’administration du président George H.W. Bush il y a plus d’un quart de siècle, Bush a célébré la première guerre américaine unilatérale et criminelle contre l’Irak. Décrite par les autorités américaines elles-mêmes comme un « combat très inégal », la guerre a vu l’armée américaine massacrer des dizaines de milliers de soldats irakiens sans défense, principalement par des frappes aériennes implacables, tout en subissant à peine plus de 100 morts au combat elles-mêmes. Les bombes et les missiles ont dévasté une grande partie de l’infrastructure de base du pays. Ceci, combiné à des sanctions sévères, a conduit à la mort de centaines de milliers d’Irakiens, des enfants pour la plupart.

Ce défilé était destiné à célébrer le supposé « moment unipolaire » de Washington et le fait que Bush avait annoncé que, à la suite de l’effusion de sang en Irak, les États-Unis avaient finalement « éradiqué le syndrome du Vietnam ». La guerre du Golfe ne représentait qu’un point nodal dans la crise de plus en plus profonde de l’impérialisme américain et mondial, et dans l’effondrement accéléré de l’ordre de l’après-Seconde Guerre mondiale.

Le défilé a été un épisode honteux qui a suscité peu d’enthousiasme et n’a rien fait pour entamer l’hostilité au militarisme et la prévalence du sentiment antiguerre dans une grande partie de la population.

Que célébrera le défilé de Trump ? Les forces militaires américaines sont engagées dans des combats dans de vastes régions du monde, les avions de combat américains bombardant simultanément au moins sept pays différents, sans qu’aucun chemin vers la « victoire » ne soit perceptible, quel que soit le pays.

Les fonctionnaires de l’administration affirment que le spectacle sur Pennsylvania Avenue est organisé pour montrer « l’amour et le respect » pour les troupes. Ce mensonge très usé est utilisé par toutes les classes dirigeantes capitalistes pour cacher son indifférence et son mépris pour ceux qu’il emploie comme de la « chair à canon » dans la poursuite de la conquête impérialiste et des intérêts mondiaux des profits.

Le défilé représentera une célébration du militarisme et de la militarisation complète du gouvernement américain, l’administration actuelle étant dominée par une cabale de généraux retraités et actifs, dont Mattis, chef d’état-major de la Maison-Blanche, le général John Kelly (à la retraite) et le conseiller à la sécurité nationale, le général H. R. McMaster.

Il sera présenté comme une manifestation de la force et de l’intimidation contre tous les ennemis réels et potentiels, étrangers et nationaux, de ce régime quasi-militaire. Il donnera un peu plus de crédibilité aux menaces rhétoriques de Trump, qui a dénoncé ceux qui ne se sont pas levés pour applaudir son discours sur l’état de l’Union comme « antiaméricains » et « traîtres ».

Le défilé sera organisé alors que le haut commandement américain réorientera l’armée américaine, qui a passé les deux dernières décennies à la « guerre globale contre le terrorisme », vers la préparation d’un conflit entre « grandes puissances », à savoir un affrontement militaire avec la Russie et la Chine, puissances nucléaires. C’est le scénario décrit dans la série de documents sur la stratégie nationale, la défense et la doctrine nucléaire publiés ces dernières semaines.

Ce changement stratégique est lié à renforcement massif de l’armée américaine, qui dépense déjà plus en armes que les huit puissances suivantes.

Il y a plus d’un demi-siècle, dans son discours de fin de mandat, le président Dwight Eisenhower mettait en garde contre la menace extrêmement sérieuse que représentait la montée d’un « complexe militaro-industriel » pour la démocratie américaine. La période qui a suivi, a vu la croissance ininterrompue de ce pouvoir combiné du Pentagone et d’une oligarchie des entreprises et des institutions financières au-delà de tout ce que « Ike » (Eisenhower), mort depuis longtemps, aurait pu imaginer.

Ce processus trouve son expression maladive non seulement dans la personne de Donald Trump, mais dans les changements dans les formes de domination. Les derniers vestiges de la démocratie sont de plus en plus incompatibles avec un ordre social dominé par une poignée de ploutocrates qui ont amassé des quantités stupéfiantes de richesses au détriment de la classe ouvrière, la grande majorité de la population.

De nouvelles formes de domination apparaissent, avec les contours d’un régime quasi-militaire devenu visible. Cela est devenu évident dans le processus budgétaire en cours, dans lequel le Congrès prépare un projet d’ensemble bipartisan qui prévoit une augmentation des dépenses militaires de 160 milliards de dollars sur deux ans, laissant 700 000 jeunes sans-papiers menacés d’expulsion et préparant le terrain pour des coupures massives dans des programmes sociaux afin de payer pour l’expansion militaire.

Le secrétaire de Trump à la défense, le général Mattis, a pris le podium à la conférence de presse de la Maison-Blanche mercredi pour célébrer cet accord, dont il a joué le rôle prédominant dans la rédaction. Il a témoigné à maintes reprises devant le Congrès, apparaissant non pas comme un suppliant cherchant des fonds, mais comme un chef militaire donnant aux civils leurs ordres de marche et indiquant que tout échec à fournir un financement sans entrave au Pentagone serait un coup de poignard pour les troupes nationales.

L’opposition du Parti démocrate à Trump a un caractère entièrement frauduleux et joue un rôle de diversion. Dans la mesure où ils se sont opposés à son administration, cela s’est fait depuis la droite, fondé sur des demandes d’une attitude plus belliqueuse envers la Russie. Pendant ce temps, eux et les prétendus médias libéraux, menés par le New York Times, ont promu le groupe de généraux qui dirige la Maison-Blanche comme « les adultes dans la salle » censés contenir Trump.

Il y a toujours eu des divisions fractionnelles au sein du commandement militaire américain entre une couche plus ou moins apolitique qui accepte le principe constitutionnel du contrôle civil et un élément, représenté par les généraux Douglas McArthur et Curtis Lemay dans les années 1950, qui seraient prêts, sous les bonnes circonstances, à mener un coup d’État militaire.

Des décennies de guerre continue, des effectifs « entièrement constitués de volontaires » et la déconnexion croissante de l’armée en tant que caste, séparée de la population civile, ont donné naissance à une couche de plus en plus politisée et de droite au sommet de la hiérarchie en uniforme. Il y a tout lieu de croire que des éléments comme Kelly, violemment anti-immigrants, Mattis et McMaster, sont tout aussi réactionnaires que Trump lui-même, voire plus.

Alliés à Wall Street et à la CIA, ces éléments évoluent vers un régime militaire de fait, avec un gouvernement civil de plus en plus réduit au rôle de façade politique.

Il n’est pas si farfelu de soulever la question : s’ils déploient les troupes dans les rues de Washington, comment savoir si elles rentreront à leurs casernes ensuite ? Ou cette démonstration s’avérera-t-elle être la première étape de l’occupation militaire permanente de la capitale américaine ?

Bill Van Auken

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 8 février 2018)



Articles Par : Bill Van Auken

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