Le « Grand dessein » des néocons américains : il explique les gaffes et les incohérences apparentes de Barack Obama en politique étrangère

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« Je crois dans l’« exceptionnalisme » américain  de tout mon être. Mais ce qui nous rend exceptionnels, ce n’est pas tant notre capacité à faire fi des normes internationales et à bafouer la primauté du droit; c’est plutôt notre volonté de les affirmer à travers nos actions. »

Président Barack Obama

Le 29 mai 2014, discours de graduation à l’académie militaire de West Point

« La guerre est la plus tragique et la plus stupide folie de l’humanité; le fait de l’encourager ou de la provoquer délibérément est un crime honteux contre toute l’humanité. »

Président Dwight Eisenhower

Discours de graduation à l’académie militaire de West Point en 1947

« Politiquement parlant, le nationalisme tribal insiste toujours pour affirmer que son propre peuple est entouré par « un monde d’ennemis », et que c’est une situation de « un contre tous », et qu’il existe une différence fondamentale entre ce peuple et tous les autres. Il prétend que sa population est unique, particulière, incompatible avec tous les autres, et il nie même la possibilité théorique qu’il puisse exister une humanité commune à tous bien avant qu’il s’en serve pour détruire l’humanité de l’homme. »

Hannah Arendt (1906-1975)

Les origines du totalitarisme, 1951

« Un empire est un despotisme, et un empereur est un despote, soumis à aucune loi ou limitation mais seulement à sa propre volonté ; il s’agit d’une forme de tyrannie qui surpasse celle d’une monarchie absolue. En effet, bien que la volonté d’un monarque absolu fasse loi, il faut encore que ses dictats soient approuvés par un parlement. Même cette formalité n’est pas requise dans le cas d’un empire. »

John Adams (1735-1826)

Deuxième président américain

 

Suis-je seul à éprouver un certain malaise, en écoutant les discours de Barack Obama, et à avoir la sensation que nous avons devant nous un acteur qui joue le rôle d’un président américain et qui lit attentivement le script qu’on lui a remis ? De plus en plus, en effet, on a la nette impression que Barack Obama adopte la posture d’un George W. Bush mais cette fois-ci, démocrate. Ceux qui rédigent ses discours semblent avoir la même mentalité belliciste que ceux qui écrivaient les discours de George W. Bush ou ceux de Dick Cheney, douze ans auparavant.

Ce n’est sans doute pas un hasard car des néocons influents occupent aujourd’hui des postes clés dans l’administration de Barack Obama comme c’était le cas sous George W. Bush, alors qu’ils firent tout en leur pouvoir pour que les États-Unis se lancent dans une guerre illégale contre l’Irak, tout comme ils ont aussi essayé de pousser les États-Unis vers une confrontation militaire avec l’Iran et comme ils tentent aujourd’hui de provoquer un conflit militaire avec la Russie. C’est toute une énigme que de comprendre comment les néocons américains peuvent aussi facilement infiltrer les administrations américaines, tant républicaines que démocrates, et jouer le rôle de fomenteurs de troubles !

Nous connaissons bien le  « Grand Dessein » des néo-conservateurs américains. Il vise essentiellement à utiliser la puissance militaire américaine pour imposer un remodelage géopolitique du Moyen-Orient, en fonction des intérêts d’Israël et de ses alliés. Et, les néocons ont eu la gentillesse de le publier. En effet, il s’agit d’un plan qui a été élaboré et présenté dans de nombreux rapports, à commencer par le fameux rapport « Clean Break » de 1996 et ceux du Projet Pour Un Nouveau Siècle Américain

(PNAC), une organisation créée en 1997, et dont les  fondateurs sont devenus des membres éminents dans le gouvernement de Bush-Cheney. Personne ne peut comprendre la politique étrangère étatsunienne sans avoir lu ces rapports.

Les néocons américains se présentent aujourd’hui sous deux nouvelles enseignes, soit celle l’Initiative en Politique Étrangère (Foreign Policy Initiative) et celle de la Fondation pour la Défense des Démocraties (Foundation for the Defense of Democracies).

Fait important, les néocons ont réussi depuis quelques années, et cela malgré l’échec retentissant de leur politique de guerre contre l’Irak, à devenir très influents au sein de l’administration du président Barack Obama, en particulier au Département d’État, où ils étaient les protégés de l’ancienne Secrétaire Hillary Clinton. Ce sont ces néocons et leurs alliés politiques qui constituent la principale force intellectuelle derrière la politique étrangère des États-Unis, laquelle se traduit par les politiques américaines désastreuses et incohérentes tant au Moyen-Orient qu’en Europe de l’Est, comme celles que l’on observe depuis une quinzaine d’années.

À sa face même, il s’agit d’un projet qui a très peu à voir avec les intérêts fondamentaux des Américains ordinaires, et tout à voir avec ceux de certaines entités étrangères et intérieures, à commencer par l’État d’Israël en raison de sa grande influence sur la politique intérieure des États-Unis et par l’État sunnite de l’Arabie saoudite en raison de son rôle crucial dans la fixation du prix international du pétrole.

C’est aussi un projet qui s’intègre très bien avec les intérêts du complexe militaro-industriel américain, lequel doit pouvoir compter sur un environnement de « guerres préventives » dans un contexte d’une guerre permanente afin de justifier les énormes budgets annuels de la défense.

Le projet néocon repose sur le vieux principe de « diviser pour régner » (ou en latin, « divide ut Regnes » ou« divide et impera »). Cela nécessite parfois de créer un chaos politique là où la stabilité règne. En effet, c’est en créant le désordre que les néo-conservateurs veulent atteindre leurs objectifs. Au Moyen-Orient, ils le font en attisant les flammes du vieux conflit sectaire entre les musulmans sunnites et chiites, de manière à provoquer la chute de gouvernements hostiles et à forcer même la désintégration de pays entiers, de manière à mieux les contrôler, et cela, quelque soit les coûts humains énormes qui en résultent pour les populations locales.

À titre d’exemple, il peut sembler absurde pour le gouvernement Obama d’armer et de soutenir des groupes de rebelles islamistes fanatiques en Syrie contre le gouvernement d’Assad, pour ensuite les combattre avec des drones et des Marines lorsque qu’ils s’aventurent en Irak. Cependant, cette politique bizarre semble tout à fait rationnelle aux yeux des néo-conservateurs, si elle incite les sunnites et les chiites à s’entre-tuer et si le pays de l’Irak est morcelé en plusieurs parties. C’est pourquoi j’emploie l’expression « incohérence apparente » dans le titre de ce texte, car ce qui de toute évidence est incohérent d’un point de vue américain, ne l’est nullement d’un point de vue néocon.

En Europe, les néocons ont convaincu un président Obama plutôt naïf de relancer la vieille Guerre Froide avec la Russie, afin de profiter de la faiblesse relative de ce dernier pays. De telles tensions provoquées artificiellement permettront aux États-Unis de consolider leur influence sur l’Union européenne (UE) et faciliteront la transformation d’une OTAN élargie et recentrée en tant qu’alliance militaire offensive sous contrôle américain, de manière à court-circuiter au besoin les Nations Unies, et à justifier l’interventionnisme militaire américain à l’étranger.

Cependant, c’est parce que la stratégie néo-conservatrice entre souvent en conflit avec des intérêts américains économiques et politiques fondamentaux, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, que le projet néo-conservateur de provoquer des guerres successives au Moyen-Orient et en Europe de l’Est fait paraître la politique étrangère d’Obama si incohérente et si contradictoire. Élaborons quelque peu sur ce dernier point.

1 – En premier lieu, considérons les situations chaotiques qui règnent présentement en Syrie, en Libye et en Irak. Grâce à l’action de milices islamiques bien armées et soutenues de l’extérieur, ces pays sont ravagés par la guerre civile, ce qui peut facilement mener à leur désintégration politique et à leur déchéance économique.

Mais à qui profite un tel désordre dans cette partie du monde riche en pétrole ? Certainement pas aux travailleurs et aux consommateurs américains obligés de payer à la pompe des prix gonflés pour l’essence et des impôts élevés pour financer toutes ces guerres. Les intérêts économiques des grandes compagnies pétrolières américaines actives dans la région peuvent aussi être menacés.

Cependant, pour les néocons américains, un tel chaos permanent est de nature à les réjouir car cela est de nature à servir certains intérêts géopolitiques, en particulier ceux d’Israël dont l’avantage géopolitique avoué est d’affaiblir les États islamiques voisins et même de les briser en de plus petites entités. Il en va de même de l’Arabie Saoudite sunnite qui profite de prix plus élevés pour son pétrole et qui voit d’un bon œil l’affaiblissement des États chiites concurrents au Moyen-Orient (Iran, Irak et leur allié la Syrie).

En effet, des prix gonflés pour le pétrole sont l’une des causes de la stagnation économique relative qui prévaut présentement aux États-Unis et en Europe, tandis que la possibilité que des milices islamiques peuvent attaquer et prendre le contrôle des champs de pétrole dans ces pays va à l’encontre des intérêts des compagnies pétrolières américaines.

Cela explique en partie pourquoi le gouvernement Obama doit composer avec des demandes contradictoires, formulées par différents intérêts politiques et économiques, et cela devient de plus en plus difficile de les satisfaire toutes, même si c’est un penchant marqué chez le président Obama de se prêter à un tel exercice.

De là, l’apparente incohérence et contradiction dans sa politique étrangère.

Parfois Barack Obama agit comme s’il faisait sienne la stratégie machiavélique des néocons américains de déstabiliser la plupart pays musulmans du Moyen-Orient au profit d’Israël et de l’Arabie saoudite. On n’a qu’à considérer tout le soutien financier et militaire que le gouvernement américain a apporté à des organisations terroristes en vue de provoquer des « changements de régime » en Iraq, en Syrie, et comme il l’a aussi fait en Libye.

Rappelons qu’en septembre dernier, le président américain Barack Obama s’était rallié à la recommandation de ses conseillers néocons et avait accepté de bombarder le pays de la Syrie, dont le gouvernement Assad était considéré trop proche de l’Iran chiite, avant de se rendre compte que toute la cabale des justifications pour une telle opération, tout à fait illégale, était une opération sous fausse bannière, autrement dit, un coup monté.

Parfois, aussi, les coûts économiques d’une telle instabilité politique toute provoquée sont considérés trop élevés et un timide Obama, au grand dam de ses conseillers néocons, hésite à appliquer pleinement le plan machiavélique de ces derniers. Le président Obama devient alors la cible des médias néocons aux États-Unis qui le présentent alors comme étant faible, « coupé de la réalité », inexpérimenté et hésitant, ce qui bien sûr contribue à son impopularité croissante.

2 – Deuxièmement, considérons maintenant la nouvelle guerre froide que les néo-conservateurs ont réussi à raviver en Europe. Il est quand même fascinant de voir les néocons tenter de revenir un quart de siècle en arrière et de reprendre leur campagne contre la Russie avec leur politique d’encerclement géopolitique et militaire de ce dernier pays, en l’entourant de missiles et en poussant ses voisins vers la confrontation. Tel est le résultat de l’investissement qu’ont fait les États-Unis pour appliquer la politique néoconne de «changement de régime» en Ukraine, renversant par la force un gouvernement légitimement élu et cela, à quelques mois d’une élection générale. La démocratie s’estompe quand les intérêts géopolitiques entrent en jeu.

À qui donc profitent ces tensions renouvelées et ce chaos orchestré ? Certainement pas à l’américain ordinaire ou l’européen ordinaire. Tous ces troubles ne peuvent que nuire à la santé économique de l’Amérique et de l’Europe. Les grands profiteurs sont plutôt les bâtisseurs d’empire et les trafiquants d’armes, et tous ceux qui aiment pêcher en eaux troubles.

Conclusion

On peut regretter que le président Barack Obama n’ait point été en mesure de formuler sa propre politique étrangère américaine, avec cohérence et crédibilité, à partir de principes clairs et avec des objectifs clairs, et qu’il ait dû s’en remettre aux mêmes néocons discrédités de l’époque Bush-Cheney pour des avis. Par conséquent, il s’est lui-même placé et son gouvernement à la merci d’influences diverses et contradictoires, lesquelles le poussent tantôt dans un sens, tantôt dans une autre direction. C’est ce qu’on appelle un manque de vision et un manque de leadership.

Il n’est peut être pas trop tard pour que le président Barack Obama reprenne les choses en mains, au cours de ce second mandat, et cesse d’émuler George W. Bush et Dick Cheney et leur vision hégémonique ruineuse. La dernière chose dont le monde a besoin aujourd’hui, c’est bien d’une troisième guerre mondiale.

Pour cela, cependant, il lui faudrait expulser tous les néo-conservateurs qui se sont hissés à des positions de pouvoir et de prise de décision dans son gouvernement. S’il n’a pas le courage de le faire, il risque de laisser la marque d’un des pires présidents américains, sur un pied d’égalité en cela avec George W. Bush.

Rodrigue Tremblay

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Rodrigue Tremblay :  Économiste et humaniste, auteur du livre « Le Code pour une éthique globale » et du livre « Le nouvel empire américain ».

 

N.B. : On peut consulter le blogue du professeur Tremblay pour des articles en plusieurs langues à cette adresse:

http://www.thenewamericanempire.com/blog.htm

 

On peut aussi contacter l’auteur à l’adresse suivante : [email protected].



Articles Par : Prof Rodrigue Tremblay

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