Le Groenland prêt à se sacrifier pour le pétrole ?

 

L’ « Esperanza », l’un des navires de Greenpeace, se trouve le long des côtes groenlandaises où les groupes pétroliers s’amassent pour explorer ce qui, à terme, pourraient bien se révéler être les gisements d’hydrocarbures de demain

L’histoire a comme un air de déjà-vu : la compagnie pétrolière écossaise Cairn Energy se réjouit de la découverte de nouveaux gisements d’hydrocarbures au large des côtes du Groenland. Conséquence immédiate, les défenseurs de l’environnement s’inquiètent de la mise en danger d’un écosystème arctique de plus en plus fragile.

Les vues de Cairn Energy sur les gisements potentiellement gigantesques de l’Arctique ne sont pas une nouveauté, puisque des forages expérimentaux ont lieu près de l’île de Disko, dans la baie de Baffin, depuis le mois de juin avec la bénédiction des officiels groenlandais. Il semblerait que ces essais aient porté leurs fruits puisque le groupe pétrolier a annoncé avoir découvert d’importantes quantités de gaz et escompté que le Groenland devienne l’une des futures places fortes mondiales des hydrocarbures.

Cette annonce, qui s’accompagne pour l’entreprise de résultats semestriels meilleurs que prévu, a malgré tout été sanctionnée par la Bourse de Londres avec une baisse du cours de son action de 4,1%. Les investisseurs attendaient effectivement de Cairn Energy une découverte beaucoup plus importante que ce gisement, pas assez grand pour être économiquement viable. Le chef des opérations Bill Gammell semble pourtant plutôt ravi du cours des évènements : « Cela nous encourage car nous avons établi qu’il y a des hydrocarbures dans un bassin que personne n’avait jusque là foré ».

Le Groenland, terre promise des pétroliers

Les enjeux politiques de cette annonce sont très importants. Les officiels groenlandais ont été les premiers à soutenir les démarches de Cairn Energy, car le pétrole et le gaz pourraient fort probablement constituer le futur du Groenland. Ce territoire danois grand comme quatre fois la France vit encore essentiellement de la pêche, et la situation de sa population (NDLR : 57 000 habitants d’après le dernier recensement en date de 2007) laisse à désirer : taux de suicide élevés, alcoolisme important, chômage persistant… Cela rappelle d’autres situations arctiques, comme l’Alaska qui songe aussi à se tourner du côté du pétrole ou même l’Islande, qui a délaissé ses traditionnelles pêcheries pour devenir un paradis bancaire qui s’est effondré avec la crise.

Les hydrocarbures pourraient bien constituer sa planche de salut et ne manquent en tout cas pas de susciter des espoirs de jours plus doux : « Nous avons toujours cru qu’il y avait du pétrole et du gaz au large de cette île » confirme Kenni Rende, habitant de la capitale groenlandaise Nuuk, située en face de l’île de Disko. Les réserves estimées d’hydrocarbures ont en tout cas de quoi donner le tournis puisqu’avec 50 milliards de barils, elles dépassent celles de la Libye. Plus largement, les 90 milliards de barils de l’ensemble de la zone arctique – estimation de l’US Geological Survey (USGS) – laissent présager un intérêt toujours croissant des groupes étrangers. « Nous attendions que ce genre de nouvelles nous arrive depuis des décennies. J’espère que cela va fournir d’importants revenus au Groenland, comme ça nous pourrons avoir suffisamment de financements pour devenir une nation plus indépendante » confirme M. Rende.

Car l’affaire se joue aussi (et surtout) au-delà des frontières maritimes de l’île, puisque ce territoire autonome continue de songer à se délivrer de la coupe du Danemark. L’histoire y joue un rôle : colonie de la couronne danoise jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, elle a progressivement accru ses liens avec ses plus proches voisins canadien et américain. Le statut du Groenland a ainsi évolué au fur et à mesure que ses liens avec le continent européen se sont distendus ; devenu comté d’outre-mer en 1953, il a acquis l’autonomie interne en 1979 et s’est même désolidarisé de la Communauté Economique Européenne (CEE) en 1985, alors même que le Danemark l’avait rejoint en 1973. De là à penser que la prochaine étape à franchir est celle de l’indépendance, il y a un cap que Washington – notamment – voudrait semble-t-il accélérer.

L’ « Esperanza » de Greenpeace sur le front

La facture écologique de ces plans pourrait se révéler au final très salée. L’Arctique, qui n’est pas protégé comme son alter ego antarctique par un quelconque traité, semble de plus en plus mal en point. Le réchauffement climatique a pour conséquence immédiate de réduire la portée de la banquise, ce qui met en danger l’habitat des habitants originaux de ces lieux, à commencer par les ours blancs. Mais encore plus gravement, c’est l’ensemble du climat mondial qui pourrait en pâtir, à en juger par la montée du niveau des eaux et une modification probable du climat de la planète entière.

C’est fort de cet ensemble d’éléments que Greenpeace a décidé d’affréter l’un de ses bateaux, l’ « Esperanza », à deux kilomètres de la plateforme de prospection pétrolière en question. « Cairn a fait un pas qui le rapproche de la découverte de pétrole au large du Groenland, mais c’est un pas qui nous ramène en arrière dans la lutte contre le changement climatique et qui pose une grave menace à l’environnement arctique fragile » s’indigne Leila Deen, militante à bord de l’ « Esperanza » qui a quitté Londres le 16 août dernier. C’est pourquoi l’association écologiste appelle Cairn Energy, qui « n’a absolument aucune expérience du forage en eaux glacées », à stopper ses opérations. Une initiative qui a visiblement déplu aux officiels danois puisque un navire de guerre de la marine danoise a mis en garde Greenpeace pour l’empêcher d’intervenir sur place.

Histoire de rassurer les observateurs, un porte-parole de Cairn Energy, David Litterick, a précisé que son entreprise « opère au large du Groenland à l’invitation du gouvernement groenlandais (…) qui a établi l’une des règlementations les plus sévères au monde ». Des arguments similaires ont déjà résonné en Alaska mais, pour l’heure, aucune compagnie pétrolière n’a clairement explicité les actions qu’elle pourrait entreprendre en cas de marée noire, sur le modèle de la récente catastrophe du Deepwater Horizon.

D’autres groupes pétroliers, dont de nombreux américains, sont en tout cas sur les rangs pour exploiter ces ressources du grand Nord comme Chevron, Exxon Mobil, Shell et BP qui ne semble même pas échaudé par la marée noire du golfe du Mexique – toujours pas totalement terminée d’ailleurs. Entre l’espoir de Greenpeace qui clame « Go beyond oil ! » (« Allons au-delà du pétrole ! ») sur la proue de l’ « Esperanza » et la résignation des écologistes constatant qu’aucune leçon des précédentes marées noires ne semble avoir été tirées, l’avenir choisira son camp. Henrik Stendal, du Bureau groenlandais des minéraux et du pétrole, a déjà son idée sur la question : il considère que Greenpeace n’est « pas le bienvenu » au Groenland car elle formerait une menace pour la santé économique de la province. « Vous ne pouvez pas vivre uniquement du poisson ».

Crédit photo : Flickr – L2F1



Articles Par : Global Research

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