Le Liban et l’’agenda (pas tellement) caché de la Belgique et de l’Europe

Dans le Sud-Liban, les Casques bleus belges accomplissent sans aucun doute des tâches humanitaires utiles, mais leur engagement doit également être considéré dans le cadre de la mise en place d’une puissante force militaire européenne. Voilà à quoi s’emploie activement le Premier ministre Verhofstadt depuis des années et il entend que le prochain gouvernement fasse aussi de même : « Une armée de l’UE va devenir le bras européen de l’Otan », déclare-t-il en pleine campagne électorale. « La Belgique peut et doit tirer avec les autres à la charrette, pour cela . » Et le Liban est un cas test, pour cette politique.

Depuis septembre-octobre 2006, la Belgique au Sud-Liban une équipe d’un peu moins de 400 militaires qui fait partie de l’Unifil, la force de paix de l’ONU. Outre l’aide médicale et la reconstruction, les Belges s’occupent surtout du déminage et du déblayage des sous-munitions. Une bonne chose en soi. Une chose encore meilleure, c’est que le ministre de la Défense Flahaut ose dire des bombes à sous-munitions qu’elles sont « l‘arme des lâches et des traîtres  », et qu’il estime que « l’idée que le ‘polleur’ soit le ‘payeur’ – comme le demande la pétition  de Médecine pour le Tiers Monde – mérite réflexion  ».

Mais, en fait, c’est également un aveu de culpabilité. Le repentir vient après la faute. Car le gouvernement belge a-t-il protesté au moment où Israël a largués ses bombes à sous-munitions ? A-t-il jamais pris des sanctions contre Israël, qui foule aux pieds toutes les résolutions possibles de l’ONU ? Est-ce que le PS et le SP.a ont critiqué ou condamné leur parti frère, le parti travailliste israélien qui a à sa tête le ministre israélien de Défense, Amir Peretz ? Non, en aucun cas. Selon le ministre belge des Affaires étrangères De Gucht, la guerre contre le Liban était en effet « une action justifiée d’Israël, qui a le droit de se défendre  ».

Sur les plans économique, politique et militaire, notre gouvernement est traditionnellement du côté d’Israël. La Belgique ne met pas de bâtons dans les roues de Tel-Aviv et collabore même militairement avec les Israéliens. En 2005, la Belgique a accordé pour 14,2 millions d’euros de licences d’exportation d’armes en direction d’Israël. Le chef d’état-major belge, le général August Van Daele, ne voit aucun problème à participer à des séminaires en compagnie d’officiers israéliens. Et dans le cadre de l’Otan aussi, on collabore avec Israël, entre autres lors de patrouilles communes en Méditerranée .

Du mauvais côté de la frontière ?

Du 18 au 24 août dernier, juste après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, une mission de Médecine pour le Tiers Monde se trouvait au Liban. À l’instar de ses hôtes libanais, le chef de la délégation, Danny Claes, est très critique au sujet du rôle des Belges et des Européens au Liban : « La veille du départ, c’est la consternation générale. Qui prend la parole à la TV libanaise ? Notre propre ministre des Affaires étrangères, Karel De Gucht. Avec un messahe de l’Union européenne, dit-il sans sourciller. Il est ici pour dire que l’Europe va envoyer des troupes au Liban dans le but… de fermer la frontière avec la Syrie. Et il attend de l’armée libanaise qu’elle rende la chose possible. L’homme dit cela à un moment où Israël bloque toujours l’aéroport et les ports du Liban, mène chaque jour encore des raids aériens au-dessus du territoire libanais et lâche encore des paras pour commettre des attentats. Quelques jours plus tard, De Gucht est rappelé par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. Brusquement, l’intention n’est plus de bloquer la frontière avec la Syrie, et encore moins de désarmer le Hezbollah. »

Il apparaît que la France et l’Italie ont exercé des pressions en vue de trouver une formulation acceptable pour le Liban de la Résolution 1701, qui règle le cessez-le-feu et l’envoi de troupes de l’ONU. Mais la discussion sur le rôle précis des troupes de l’ONU va continuer à traîner. Le fait que ces troupes ne sont cantonnées qu’au Sud-Liban est déjà remarquable en soi. Avec les Libanais, le sénateur Pierre Galand se demande « pourquoi une force internationale d’interposition sur le territoire du pays victime d’une agression, alors qu’il faudrait une telle force du côté israélien de la frontière pour empêcher de nouvelles agressions  ».

Pour une défense européenne forte…

L’importante contribution européenne à la mission de paix de l’Unifil au Sud-Liban est moins innocente et humanitaire qu’il ne paraît. L’Allemagne, la France et l’Italie y jouent les tout premiers rôles. L’Allemagne ? Elle a encore vendu des armes à Israël pendant la guerre et, tous les deux ans, elle livre un sous-marin nucléaire à l’État juif, le dernier juste avant la guerre contre le Liban. La France ? C’est le pays qui, avec Israël et les États-Unis, a fait le plus pour communautariser le Liban et le diviser selon ses différentes confessions. Via l’Unifil, la France voit l’occasion de rétablir son influence dans son ancienne colonie. L’Italie ? Tout comme la France, elle a d’importants intérêts économiques au Liban ainsi qu’un accord de collaboration militaire avec Israël. La mission de pais de l’Unifil ne risque-t-elle pas de se muer en tutelle camouflée sur le Liban, dans le même temps qu’Israël reste totalement hors de portée ?

Aussi toute l’opération Unifil, ainsi que la contribution européenne et belge à l’opération, ont-elles des objectifs qui sont beaucoup moins humanitaires. Le Premier ministre Verhofstadt était on ne peut plus clair à ce propos, à la Chambre : « Je suis depuis longtemps déjà partisan de développer une propre identité de défense européenne, non pas indépendamment de l’Otan mais en tant que pilier de l’Otan. (…) Cette opération [la force de paix de l’ONU au Liban, NdlR] est une étape importante pour développer, dans le cadre de l’alliance atlantique dans son ensemble, cette identité défensive européenne et ce pilier européen de défense  ? » De même, le ministre de la Défense Flahaut est « pour la construction d’une Europe de la défense », et d’ajouter que « cette Europe de la défense sera construite sur le terrain  ». Il s’exprime en faveur d’une « puissance européenne diplomatique avec un soutien militaire, avec une capacité d’intervention militaire  ».

Il ne reste qu’une question, celle de savoir si le Liban et les autres pays et peuples du Moyen-Orient se trouveront mieux d’une force d’intervention militaire européenne puissante.


Bert De Belder
est le coordinateur de Médecine pour le Tiers Monde, l’une des asbl partenaires d’Intal.



Articles Par : Bert De Belder

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