Le Pape Benoît XVI : comme un Bilan

Région :

Le Pape Benoît XVI n’aura pas marqué l’Histoire d’une façon aussi particulière que son prédécesseur, le Pape Jean-Paul II. Ce dernier restera connu pour sa volonté d’ouverture, de service de l’humanité et de dialogue avec les spiritualités et les religions du monde. Quand le Cardinal Ratzinger est élu Pape, il y a huit ans, on sait déjà qu’il va réaffirmer la centralité du dogme, des principes et des règles de l’Eglise catholique. On le connaît théologiquement rigoureux, strict sur le dogme et la pratique, et sans concession vis-à-vis des autres traditions chrétiennes et des religions. L’Eglise est la vérité et doit le réaffirmer avec plus de clarté et de courage. C’est avec le souci de cette réaffirmation qu’il semble avoir conçu sa fonction papale.

Il faut reconnaître au Pape, qui aujourd’hui renonce, une impressionnante connaissance théologique, une intelligence méditative réelle et sincère. Il est fondamentalement catholique, profondément convaincu, avec un souci permanent de cohérence. Les premières années de son pontificat révéleront d’ailleurs les défauts de ses qualités au gré des relations avec le monde de la communication et des médias. Benoît XVI pense de l’intérieur, s’exprime en théologien féru de textes et de traditions, et quelques-uns de ses propos publics seront marqués du double sceau de la cohérence catholique et de la maladresse médiatique. Il passera lui-même du temps, ainsi que ses conseillers et représentants, à redire, réexpliquer, contextualiser un propos, une formule, un discours. Il ne fut pas un Pape des médias, mais bien un Pape de l’Ecriture, fidèle aux normes à rappeler, bien davantage qu’interpellé par les défis contemporains à relever.

Sa scrupuleuse cohérence l’a mené à affirmer des positions qui ont choqué à l’intérieur même de la famille chrétienne. Pour lui, au fond, la Vérité, et le seul vrai Salut, ne pouvaient être envisagés hors de l’Eglise catholique. Le dialogue avec les protestants, les orthodoxes, ou autres Églises chrétiennes était certes nécessaire et positif mais il ne devait pas faire oublier cette vérité. De fait, le dialogue avec les traditions monothéistes juive et musulmane, et au-delà avec l’hindouisme et le bouddhisme, était abordé avec la même cohérence : ces spiritualités et ces religions peuvent bien receler une part de vérité, elles ne sont en aucun cas des voies pour le salut des âmes. Le dialogue peut donc avoir pour objectif de discuter de principes éthiques communs, des pratiques respectives, ou des réalités sociales mais il ne peut être question de relativiser le fondement de vérité que seule l’Eglise catholique possède et incarne. Une position somme toute cohérente en amont, et logiquement – et dogmatiquement – exclusiviste en aval. Le Pape a ainsi incarné la cohérence fermée, et troublante, de l’esprit dogmatique : le dialogue interreligieux en devenait naturellement biaisé, dénaturé, presque inutile sinon sous l’angle de la compétition missionnaire ou de la comparaison des bonnes ou mauvaises pratiques.

C’est à la lumière de ces dernières préoccupations qu’il faut comprendre son propos à l’université de Ratisbonne en 2006. Sa relecture de l’histoire de l’Europe est nourrie par ses craintes quant à l’époque contemporaine. Deux menaces hantent le Vieux continent selon lui : la sécularisation qui marginalise la religion – en tant que foi, règles et espérance – et l’installation des musulmans dont le nombre, la pratique et la visibilité grandissants apparaissent comme un défi majeur pour l’Eglise catholique. C’est avec force – et quelques maladresses et inexactitudes historiques – que le Pape Benoît XVI va affirmer que les racines de l’Europe sont grecques et chrétiennes. Cette volonté de relire le passé, de réduire les racines de l’Europe à la tradition rationaliste hellène et à la foi chrétienne, ont pour but de réaffirmer l’identité de l’Europe : celle-ci ne peut-être définie sans le mariage centenaire de la raison grecque et de la foi chrétienne et les autres traditions, et particulièrement l’islam, sont des éléments exogènes à cette identité. L’Europe peut bien désormais compter des millions de citoyens musulmans, ceux-ci restent étrangers à l’identité profonde de l’Europe qu’il faut aujourd’hui rappeler, défendre, protéger. La vérité historique est pourtant bien autre et l’islam, comme le judaïsme, ont participé à la formation de l’âme européenne par leurs penseurs, leurs philosophes, leurs architectes, leurs écrivains, leurs artistes et leurs commerçants. L’islam est historiquement et actuellement une religion européenne et le propos du Pape est à décrypter à travers le prisme de la crainte de la présence musulmane et animée par un souci de réaffirmation missionnaire au coeur de l’Europe même.

C’est à travers ce même prisme que Benoît XVI s’engageait dans le dialogue interreligieux. Lors de nos différentes rencontres, dont la dernière à Rome en 2009, il ne fut jamais vraiment possible d’engager un dialogue sur les fondements théologiques et les principes : les débats, très vite, s’orientaient vers les pratiques respectives, le traitement des minorités chrétiennes en Orient. On pouvait certes parfois mettre en avant les valeurs communes, mais l’axe du dialogue était souvent la comparaison, la réciprocité, voire la compétition sur le terrain. Il faut certes engager ce débat sur le traitement des minorités chrétiennes en Orient car des discriminations existent et les musulmans doivent y répondre avec clarté, mais cela ne doit pas être le prétexte à éviter le débat théologique de fond ou plus largement la contextualisation historique et politique. Car enfin si les droits des musulmans sont parfois mieux respectés dans l’Occident sécularisé ce n’est certainement pas grâce au seul christianisme et s’ils sont parfois discriminés dans les sociétés majoritairement musulmanes ce n’est évidemment pas exclusivement à cause de certaines interprétations de l’islam. On ne peut faire fi des contextes historiques et politiques qui vont bien au-delà du strict dialogue interreligieux. Confiner le dialogue – avec les autres religions en général et avec l’islam en particulier, à ces postures missionnaires (face à la menace de l’islam en Occident) et systématiquement critiques (en pointant du doigt les contradictions dans les sociétés majoritairement musulmanes) ne peut qu’en dénaturer la substance et n’avoir que peu d’impact sur une meilleure connaissance mutuelle et un vivre ensemble fructueux, proactif, respectueux et harmonieux.

Il faut regarder la réalité en face, l’Eglise a désormais un réel problème avec la jeunesse. Les dernières années du Pape Jean-Paul II et la renonciation, à 85 ans, de Benoît XVI se révèlent être comme des symboles de l’époque : l’Eglise apparaît frileuse, sur la défensive, loin du monde, arcqueboutée sur des principes que des millions entendent et que très peu appliquent. Les églises d’Europe et d’Occident se vident et les fidèles sont de plus en plus âgés. Il faut espérer que le prochain Pape aura cet atout de la jeunesse d’esprit mariant le sérieux et la compétence théologiques avec la compréhension des défis majeurs de l’époque au sein de l’Eglise comme au cœur des sociétés contemporaines. Offrir un message catholique plus serein, plus ouvert aux autres traditions, qui, s’il s’affirme naturellement comme « la vérité » des fidèles, ne néglige jamais le dialogue, le respect mutuel et l’affirmation déterminée d’un Occident désormais pluriel et inclusif au nom même du message catholique. La reconnaissance de la diversité interne (les autres traditions chrétiennes) et externe (les autres spiritualités et religions) doit s’ajouter à l’ouverture de vrais débats internes sur les règles et les pratiques. Les questions du célibat des prêtres, de l’exclusion des femmes de la hiérarchie cléricale, de la reconnaissance du divorce, de l’usage possible des moyens contraceptifs, ou encore des réponses éthiques de l’Eglise catholique aux défis scientifiques et technologiques contemporains, sont autant d’interrogations qui devraient être la priorité du nouveau Pape : non pas contre les principes catholiques mais avec la double exigence de la fidélité aux principes, de la relecture critique des textes et de la responsabilisation face à l’état de la planète.

Toutes les traditions religieuses et spirituelles ont besoin de ce travail critique et autocritique : il nécessite l’apport d’un Pape, de prêtres et de responsables religieux (rabbins et ulama) compétents, sereins et courageux qui refusent la posture défensive et savent que leur rôle premier est de questionner les intelligences et les cœurs sur le sens de la vie et de la mort, la dignité des êtres dans leur diversité et l’affirmation de valeurs et de finalités supérieures (et universelles car partagées) auxquelles aucune société ne peut déroger. L’Eglise attend ce message et ce pastorat, comme d’ailleurs toutes les spiritualités et les religions à travers le monde.

Tariq Ramadan



Articles Par : Tariq Ramadan

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]