Le parlement britannique désavoue son premier ministre et laisse tomber les États-Unis : Une défaite majeure pour les promoteurs du Nouvel ordre mondial

La ligne rouge n’était pas du tout celle que l’on pensait

Il n’existe pas beaucoup de précédents aux événements dont le monde a été témoin la semaine dernière.

Le débat demandé par les parlementaires sur l’opportunité pour la Grande-Bretagne de participer à la coalition militaire contre la Syrie en représailles contre l’utilisation prétendue par le gouvernement de Bachar-El-Assad de gaz toxiques pour venir à bout des troupes rebelles à son régime a tourné, à la surprise générale des observateurs, au désavantage du premier ministre Cameron qui s’est retrouvé désavoué par le vote final de la chambre.

Non seulement le parlement de Londres a-t-il infligé un camouflet comme on en voit rarement au premier ministre, mais il s’est trouvé à indiquer aux dirigeants de ce que l’on appelait autrefois « le monde libre » qu’il existait une ligne rouge à ne pas franchir, celle des exigences de la démocratie. Lasse de voir le gouvernement abuser de son mandat et s’engager dans des voies douteuses sinon carrément téméraires et irresponsables, une majorité d’élus de tous les partis est venue lui rappeler qui détenait le véritable pouvoir.

Et non seulement cette décision sonne-t-elle le glas de la carrière politique d’un champion du néo-libéralisme qui a entraîné son pays au bord du précipice à coup de décisions inspirées bien davantage par l’idéologie que par le bon sens, mais elle se trouve à envoyer à ses homologues américain, français et autres un message très clair sur le sort qui les guette s’ils se hasardent à vouloir franchir la ligne rouge de leur mandat démocratique.

Il faut dire que les dirigeants politiques ont développé ces vingt dernières années une fâcheuse tendance à prendre des décisions graves qui engagent l’avenir de l’avenir et/ou la sécurité de leur pays sans se soucier de leur opinion publique ou même en la défiant ouvertement. Un important déficit démocratique s’est ainsi creusé.

Tant que la prospérité était au rendez-vous, les populations bousculées suivaient en grommelant, mais elles suivaient. À partir du moment où la situation économique a commencé à se détériorer et que les populations ont pu établir un lien entre les orientations et les décisions qu’elles n’avaient pas soutenues et la détérioration de leurs conditions de vie, la grogne s’est installée et ne cesse de s’amplifier, ce que c’est implicitement trouvé à reconnaître le parlement britannique.

On voit donc que le véritable enjeu dans cette affaire n’est pas tant la Syrie et la question de savoir si des armes chimiques ont été utilisées, que ce soit par le gouvernement Assad ou le camp adverse, mais bien plutôt le nouveau mode de gouvernance, ce fameux nouvel ordre mondial, que cherchent à mettre en place les élites dirigeantes contre ce que les populations perçoivent être leurs intérêts.

Et c’est infiniment plus grave.

En effet, la question posée est celle de la légitimité du pouvoir avec un grand « P », et c’est sans doute ce qu’a reconnu le président Obama, lui-même ancien professeur de droit constitutionnel, en prenant le monde entier, à commencer par ses propres collaborateurs, par surprise, avec sa décision d’obtenir d’abord l’aval du Congrès avant de lancer toute attaque, même très ciblée et restreinte, contre la Syrie.

Sans doute aussi s’est-il demandé s’il tenait absolument à assumer seul la responsabilité d’une décision qui risquait de mettre le monde à feu et à sang, et à ce que l’histoire retienne que cette décision était celle du premier président noir des États-Unis.

Juridiquement, Obama n’a pas besoin de l’approbation du Congrès, mais le fin juriste qu’il est sait pertinemment que la Constitution américaine n’est pas la seule source du droit applicable dans cette affaire. En vertu du droit international, et plus précisément de la Charte des Nations Unies, nulle opération militaire de la nature envisagée ne peut être lancée contre un pays sans l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies.

C’est d’ailleurs ce que vient de lui rappeler Ban-Ki-Moon qui a attendu beaucoup trop avant de lui rappeler cette règle essentielle.

Et connaissant la docilité habituelle de Ban-Ki-Moon et sa soumission aux intérêts Américains, il faut se demander s’il ne se trouve pas à répondre à une commande qui arrive à point nommé pour calmer les ardeurs les plus bellicistes.

On ne peut en effet d’aucune façon tenir comme précédent suffisant que la coalition formée par les États-Unis ait fait fi de cette exigence pour lancer une offensive contre l’Irak en 2003. D’une part, l’opinion publique internationale était encore sous l’effet de la vague de sympathie que leur avait valu l’attaque terroriste du 11 septembre 2001. D’autre part, les États-Unis étaient alors la seule super-puissance, ni la Russie ni la Chine n’étant en position de lui tenir tête.

Seuls la France et le Canada s’étaient alors opposés à la volonté américaine, et dans le cas du Canada, uniquement parce que le risque d’éclatement politique du pays avait été jugé trop grand, le Québec étant très majoritairement opposé à une telle aventure militaire. Songez-y, à Montréal, en plein hiver, par un froid de – 30 C, 150 000 personnes étaient descendues dans la rue pour manifester sur un enjeu de politique étrangère, du jamais vu.

Même s’il s’est bien gardé d’expliquer les raisons du refus du Canada de se joindre à la coalition qui souhaite attaquer la Syrie, c’est très vraisemblablement la même raison qui a amené le gouvernement Harper à refuser de participer à une telle opération, même si son sentiment pro-américain est plus grand que ne l’était celui du gouvernement Libéral de Jean Chrétien en 2002.

Mais aujourd’hui, pour les États-Unis et leurs alliés, la donne n’est plus celle de 2002. Comme je l’anticipais ici-même sur Vigile le 30 novembre 2011 dans un article intitulé « Et si l’issue devait être la Troisième Guerre Mondiale ? », les États-Unis ne sont plus le seul joueur de poids sur la scène mondiale. La Russie et la Chine sont de nouveau en mesure de faire entendre leur voix.

La parution de cet article allait piquer l’intérêt du journaliste algérien Chérif Abdedaïm, de La Nouvelle République, un quotidien d’Alger. Il communiqua avec moi pour me demander si je serais disposé à répondre à quelques questions par écrit pour le bénéfice de ses lecteurs, ce que j’acceptai de bonne grâce. J’étais alors loin de me douter que mes commentaires allaient faire la une de son journal le 9 janvier 2012 et être repris par une trentaine de sites dans le monde francophone, en plus d’être traduits en italien sur un site de défense des droits .

Dans cet article, j’évoquais le rétablissement des blocs qui existaient avant la chute de l’empire soviétique, soit le bloc occidental constitué des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest, et les bloc des pays de l’Est composé de la Russie, de ses pays satellites, et de la Chine. J’évoquais en outre l’affaiblissement économique des États-Unis et « le danger devant l’imminence de ce déclin que l’Amérique soit tentée par une dernière démonstration de puissance pour infléchir durablement la situation au Moyen-Orient dans le sens de ses intérêts et de ceux d’Israël, dans une sorte de fuite en avant pendant qu’elle dispose encore des moyens d’agir. »

Les bruits de botte au Moyen-Orient l’été dernier allaient m’amener à pousser mes recherches et ma réflexion plus loin dans un autre article intitulé « C’est pour bientôt », lui aussi largement repris par des sites francophones à travers le monde, dans lequel je m’interrogeais sur les raisons qui poussaient la France et le Canada à aligner aussi étroitement leur politique étrangère sur celle des États-Unis et d’Israël.

Si la tempête avait paru se calmer dans les mois suivants, elle allait reprendre de plus belle au cours du printemps avec la multiplication des attaques des rebelles djihadistes d’Al-Qaida contre le régime syrien, soutenus par les États-Unis (cherchez l’erreur), Israël, le Royaume-Uni, la France, la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Émirat du Qatar.

Au cours des dernières semaines, la tension a grimpé de plusieurs crans, et il devenait clair que les Américains, ou plutôt ceux qu’on appelle les « faucons » dans leurs rangs, et leurs alliés, étaient à la recherche d’un prétexte pour déclencher une opération militaire contre la Syrie dans le but de déloger le régime de Bachar-El-Assad.

L’intervention très ferme de la Russie et de la Chine a d’abord amené les États-Unis à réduire substantiellement ses ambitions. Plus question de renverser le régime syrien, au grand dam de l’Arabie Saoudite, de la Turquie et d’Israël, chacun pour leurs raisons différentes. L’opération, si opération il y a, sera restreinte à quelques cibles, question simplement de signifier à Assad le mécontentement des alliés devant son utilisation de l’arme chimique, si tant est qu’il soit effectivement coupable, ce qui n’a pas encore été prouvé.

Et il faut comprendre que depuis l’affaire irakienne et la découverte que la preuve de la participation clandestine de Saddam Hussein à l’attentat du 11 septembre a été fabriquée de toutes pièces pour justifier une attaque contre l’Irak, le fardeau de la preuve pour les Américains est devenu beaucoup plus lourd, d’autant plus que depuis cette date, une kyrielle d’incidents, dont certains très graves, sont venus ternir leur image des Américains comme chefs de file dans la défense de la démocratie, une image soigneusement entretenue depuis la Deuxième Guerre mondiale

Il n’est en effet pas un jour où l’on n’apprenne que les Américains se sont permis clandestinement des écarts importants avec les principes dont ils se faisaient les hérauts urbi et orbi en faisant la leçon à tout le monde.

Encore ces jours-ci, on apprenait à l’occasion du déclassement de documents officiels tenus secrets jusqu’ici qu’ils avaient été les instigateurs du coup d’État qui avait renversé le gouvernement démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953 parce qu’il préconisait l’adoption de politiques qui allaient à l’encontre de leurs intérêts pétroliers pour le remplacer par le gouvernement complaisant de Mohammad Reza Pahlavi qui allait de venir le shah d’Iran.

Et Foreign Policy, la très prestigieuse revue américaine de politique étrangère, nous apprenait pour sa part, en s’appuyant sur des dossiers de la CIA, que les États-Unis avaient été les complices de Saddam Hussein dans l’utilisation d’armes chimiques contre l’Iran .

Et tant les fuites de Wikileaks et de Julian Assange que celles d’Edward Snowden nous ont permis de comprendre que les États-Unis étaient en fait un monstre de duplicité et de tartufferie.

Devant le caractère incertain des preuves que les États-Unis présentent aujourd’hui pour lancer une opération contre la Syrie, les Américains eux-mêmes (ils sont 80 % à demander que le Congrès se prononce ), et leur establishment militaire, tout comme le monde entier, mettent en doute le bien-fondé d’une intervention qui pourrait déclencher une troisième guerre mondiale.

Enfin, aussi horrible cette pensée puisse-t-elle être, il faut même se demander quelle est la part de vérité et de mensonge dans les événements du 11 septembre 2001, tant le mensonge aurait si bien servi les desseins de ceux qui ont profité de la suspension et/ou de la violation des règles démocratiques pour promouvoir leur agenda.

Or quels sont ces intérêts ?

J’ai évoqué plus haut ce fameux projet de gouvernance mondiale dont certaines élites font la promotion active depuis plus de 50 ans. Alors que certains se refusent à y croire, d’autres sont inconscients de la menace qu’il représente. Pourtant, les Américains au premier chef, et de ce fait le monde entier, ont été très clairement mis en garde par l’un de leurs anciens présidents, et non le moindre, le général Dwight D. Eisenhower, le 17 décembre 1961, alors qu’il s’apprêtait à quitter ses fonctions à la tête des États-Unis pour laisser la place au président nouvellement élu, John F. Kennedy.

Général cinq étoiles de l’armée américaine, commandant en chef des forces alliées en Europe durant la Seconde Guerre mondiale, Eisenhower fut également chef d’état-major général des Forces Armées des États-Unis de 1945 à 1948 et commandant suprême des Forces alliées en Europe du 2 avril 1951 au 30 mai 1952, poste qu’il allait quitter pour se lancer en politique sous la bannière du parti républicain. Élu aux présidentielles de novembre 1952, il devient le trente quatrième président des États-Unis d’Amérique le 20 janvier 1953. Il occupera cette fonction jusqu’au 20 janvier 1961.

À quelques jours de son départ, il prononce une allocution totalement inattendue et restée célèbre pour la mise en garde qu’il formule contre le « complexe militaro-industriel » formé des entreprises qui vivent des contrats fabuleux, et déjà très lucratifs à l’époque, du ministère américain de la Défense. Son expérience aux plus hautes fonctions militaires de son pays pendant et après la guerre confère à ses propos une crédibilité et un poids inégalés.

Devant la chaîne presque ininterrompue de conflits et d’interventions militaires auxquels les États-Unis ont été associés depuis lors et la puissance acquise par ce complexe depuis lors, force est de reconnaître que cette mise en garde était pleinement justifiée.

Mais l’expression employée par Eisenhower pour le décrire, si elle correspondait parfaitement à la réalité politique et économique de son époque où les grandes entreprises manufacturières issues de l’effort de guerre dominaient la scène, ne parvient pas à cerner les réalités de ce pouvoir occulte et totalement illégitime dont la composition et l’influence a évolué avec le temps.

C’est véritablement avec le retour du Parti Républicain au pouvoir, en 1968, avec l’élection de Richard M. Nixon, que ce pouvoir va parvenir à s’imposer. Sa difficulté à y parvenir plus tôt nous amène à nous demander s’il ne faudrait pas voir là la cause de l’élimination de John F. Kennedy et de son frère Robert, plutôt que les actes de tireurs à la solde d’une puissance étrangère ou de la mafia, comme certains l’ont prétendu.

Les frères Nelson et David Rockefeller, le premier alors gouverneur de l’état de New York et le second président de la puissante Chase-Manhattan Bank, tous deux ardents promoteurs du Nouvel ordre mondial de leur propre aveu, gagnent en influence en parvenant à placer dans l’administration Nixon en 1968 un de leurs protégés, Henry Kissinger, d’abord au poste stratégique de conseiller à la Sécurité nationale, puis à la tête du Secrétariat d’État.

Il contribuera à l’articulation du contenu intellectuel de ce programme dont la promotion sera assurée par l’entremise d’organisations telles que le Groupe Bilderberg, la Commission Trilatérale, le Council of Foreign Relations et tous leurs satellites, tout ceci dans la discrétion la plus totale, ce qui amènera David Rockefeller à remercier les grands médias en 1991, à l’occasion d’une rencontre annuelle du Groupe Bilderberg tenue à Baden en Allemagne, dans des termes à la fois très surprenants et méprisants pour le commun des mortels :

Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New York Times, au Time Magazine et à toutes les autres publications dont les directeurs ont assisté à nos réunions depuis quarante ans et respecté leur engagement à la discrétion… I

Il aurait été impossible pour nous de développer notre plan de gouvernance mondiale si nous avions été exposés aux feux de la rampe pendant toutes ces années.

Mais le monde est désormais suffisamment évolué pour accepter la mise en place graduelle d’un gouvernement mondial. Une souveraineté supranationale constituée de l’élite intellectuelle et des dirigeants des grandes banques du monde est certainement préférable à la possibilité qu’avaient les peuples de s’auto-gouverner dans les siècles passés. [Ma traduction et mes caractères gras]

Le projet est donc tout aussi clair qu’il est clairement anti-démocratique : dépouiller les nations de leur souveraineté sans leur demander leur avis pour la confier à des élites intellectuelles et bancaires qui sauront mieux que les populations ce qui est bon pour elles. Et n’est-ce pas là toute l’histoire de la « construction » européenne ? À voir les résultats, c’est bien plutôt d’une démolition qu’il s’agit. La volonté ne peut pas être mise en doute. Elle a été clairement annoncée par les dirigeants politiques, comme l’illustre si bien cette vidéo :

Droite ? Gauche ? Aucune différence, même combat ! Le président socialiste François Hollande loge à la même enseigne que l’ancien président Nicolas Sarkozy et annonce lui aussi l’avènement du Nouvel ordre mondial,

Et si ce triste sire de la jarretelle que s’est révélé être Dominique Strauss-Kahn, le favori des sondages avant ses déboires à New York, avait été le candidat de la gauche, le Nouvel ordre mondial sortait encore gagnant car il souscrivait entièrement à ce projet

même s’il allait commettre, en sa qualité de président du FMI, l’erreur fatale de défier ses maîtres en cherchant à remplacer le dollar comme monnaie de réserve pour remettre sur pied le système financier international .

Quant aux prétendues élites intellectuelles, regardez bien le philosophe va-t-en guerre et pousse-au-crime français Bernard-Henri Lévy argumenter que les dirigeants politiques n’ont pas à se soucier de l’opinion publique, la cinquième roue du carrosse à l’entendre, avant de déclencher une opération militaire contre la Syrie qui a le potentiel de déclencher la Troisième Guerre mondiale

Regardez maintenant Jacques Attali, qui a lui aussi de grandes prétentions intellectuelles, ancien collaborateur immédiat de François Mitterand, ancien président de la BERD mise sur pied après l’effondrement de l’Union soviétique pour renflouer l’économie des pays de l’Est, et forcé de quitter ce poste pour avoir autorisé des dépenses pharaoniques dont il était plus souvent qu’autrement le principal bénéficiaire, nous expliquer le plus calmement du monde, comme si la chose allait de soi et avait déjà été décidée, que Jérusalem serait la capitale du Nouvel ordre mondial

Et ce sont ces trois derniers éminents personnages qui, par leurs déclarations intempestives répétées, nous permettent de ranger Israël dans le camp du Nouvel ordre mondial. Leur témoignage est d’autant plus probant qu’ils sont Juifs et qu’ils se sont affichés chacun à plusieurs reprises dans le camp d’Israël. Ils ne peuvent donc d’aucune façon être soupçonnés ou accusés d’antisémitisme, ou de vouloir ternir l’image d’Israël.

Comme je le soulignais au début de ce texte, la crise financière de 2008 est venue jeter du sable dans ce bel engrenage, et il y a maintenant cinq ans que la croissance stagne en Amérique du Nord et en Europe. Le moment des redditions de compte approche, et les populations prennent de plus en plus conscience du déficit démocratique qui s’est créé et de l’absence d’imputabilité qui en résulte.

Ce problème est particulièrement criant aux États-Unis. Les concepts de « l’exceptionalisme américain » et de la « présidence impériale » qui avaient été mis de l’avant par les promoteurs du Nouvel ordre mondial pour donner au président des États-Unis toute la latitude voulue pour imposer la volonté américaine (lire la leur) ne passent plus la rampe. Le fossé est devenu trop grand entre le discours et la réalité. Il y a une dissonance que tout le monde ressent à défaut d’en percevoir encore tous les reliefs.

Et c’est du coeur même du pouvoir que sont venus les premiers signaux du doute et du malaise qui s’installaient. En effet, au delà de la grogne coutumière qui accompagne ce genre d’exercice, les coupures budgétaires dans le budget de la défense ont amené de nombreux intervenants et observateurs à s’interroger sur les exigences de l’intérêt national de façon à pouvoir établir des priorités. Il est vite apparu nécessaire de préciser ce qui était véritablement d’intérêt national et ce qui ne l’était pas, et c’est alors que les incongruités et les contradictions se sont mises à apparaître.

Certains en étaient conscients depuis longtemps. Le secrétaire à la Défense et ancien sénateur Chuck Hagel est de ce nombre, et c’est sans doute la raison pour laquelle Barack Obama l’a choisi pour occuper ce poste. On se souviendra que sa candidature avait été vivement contestée par le lobby néo-conservateur et le lobby pro-israélienpour des propos qui mettaient en doute le bien-fondé de la politique étrangère américaine depuis au moins le 11 septembre 2001.

Mais l’analyse à la fois la plus mystérieuse et la plus éclairante de sa nomination allait être fournie par le célèbre journaliste et essayiste Bob Woodward, le mieux renseigné sur la politique américaine depuis la fameuse affaire du Watergate. Voici ce qu’il écrivait dans un article du Washington Post le 27 janvier dernier intitulé (ma traduction)Pourquoi Obama a choisi Hagel ?

Dans les premiers mois de la présidence d’Obama en 2009, Chuck Hagel, qui venait de terminer deux mandats successifs au sénat, s’est rendu à la Maison-Blanche rendre visite à celui qui était devenu son ami au cours des quatre années où leurs mandats respectifs au sénat s’étaient chevauchés.

Alors, lui demanda le président Obama, que penses-tu de nos enjeux de politique étrangère et de défense ?

Selon le compte-rendu qu’en a fait Hagel par la suite qui est rapporté ici pour la première fois, il aurait répondu : « Nous sommes rendus dans un nouvel ordre mondial. Nous ne le contrôlons pas. Tu dois tout questionner, toutes les hypothèses, tout ce qu’ils – les militaires et les diplomates – te disent. Toute hypothèse qui remonte à plus de 10 ans est dépassée. Tu dois remettre en question notre rôle. Tu dois remettre en question notre posture militaire. Tu dois t’interroger sur notre utilisation de nos forces militaires.

Il aurait rajouté « L’Afghanistan va définir le premier mandat de ta présidence, et peut-être même le second. Il est essentiel de ne pas nous laisser enliser ».

Obama intervenait peu mais écoutait attentivement. À l’époque Hagel voyait en Obama un « solitaire », plutôt enclin à garder ses distances et à garder pour lui ses pensées. Mais les commentaires de Hagel permettent de comprendre pourquoi Obama a choisi son ancien collègue du sénat pour devenir son nouveau secrétaire à la Défense. Les deux partagent les mêmes opinions et les mêmes principes au moment où l’administrat6ion Obama cherche à redéfinir le rôle des États-Unis dans leur transition vers un monde sans super-puissance.

Cette vision du monde s’inspire à la fois du courant des « faucons » et de celui des « colombes ». Elle constitue en partie un désaveu des guerres du président George W. Bush. La guerre en Afghanistan a été mal conduite, et la guerre en Irak n’avait aucune justification. La guerre demeure une option, mais seulement en dernier ressort.

Donc, si l’on s’en tient à cette école, le rôle des États-Unis dans le monde doit être prudemment réduit – non tant par chois, mais tout simplement pour s’ajuster aux nouvelles réalités. Il faut faire preuve du plus grand scepticisme devant l’appareil militaire. Une grande part de nos stratégies de défense et nos prémisses de politique étrangère sont dépassées, et il faut se tenir loin de marécages comme l’Afghanistan

En bout de ligne, les États-Unis doivent mettre fin à ces grandes opérations militaires terrestres en Irak et en Afghanistan — et si possible éviter à l’avenir toute intervention militaire à grande échelle. Même si les discussions sur la nomination de Hagel ont largement porté sur ses attitudes à l’endroit de l’Iran, d’Israël et du budget de la Défense, c’est sans doute son partage de la vision du président qui va se révéler le plus déterminant ».

Il faut aussi préciser que Hagel, issu du Parti Républicain même s’il sert dans une administration Démocrate, est un grand admirateur du général Eisenhower, l’homme qui a prévenu les Américains contre le danger de ce complexe militaro-industriel métamorphosé, comme nous l’avons vu plus haut, en Nouvel ordre mondial.

Au point de distribuer autour de lui, et notamment au président Obama et au vice-président Biden, des douzaines d’exemplaires d’une biographie de son héros intitulée « Eisenhower 1956 », comme le rapporte David Ignatius, un collègue de Bob Woodward au Washington Post dans un article qui remonte lui aussi au début de cette année. Je retiens cette référence au livre au passage :

Il est impossible de lire le livre de Nichols sans penser aux tensions récentes entre les États-Unis et Israël à propos de la menace que représente le programme nucléaire iranien. De la même façon que le leader imprévisible et colérique de l’Égypte Gamal Abdel Nasser incarnait la plus grande menace pour Israël dans les années 1950, c’est le cas aujourd’hui de l’ayatollah Ali Khamenei d’Iran. Ce qu’il faut retenir d’Eisenhower, c’est qu’en même temps qu’il se montrait sympathique aux besoins militaires d’Israël, il était également déterminé à maintenir l’indépendance de la politique étrangère des États-Unis, et d’éviter une guerre dans laquelle l’Union soviétique pourrait s’engager. [Ma traduction et mes caractères gras]

Vous conviendrez avec moi que les similitudes avec la situation actuelle sont assez frappantes. Si l’Union soviétique s’est écroulée au début des années 1990, la Russie qui lui a succédé constitue pour les États-Unis un adversaire militaire redoutable, surtout lorsqu’elle s’allie avec la Chine, comme c’est le cas aujourd’hui sur la question de la Syrie.

En clair, Hagel est donc avant tout un patriote qui n’a de loyauté que pour son pays, et il entretient les plus grandes réserves à l’endroit de ce nouvel ordre mondial que les États-Unis ne contrôlent pas. Le président Obama l’a choisi parce qu’il est également de cet avis. Pas question donc pour lui de se laisser placer dans une situation où la décision de lancer une opération militaire puisse échapper à son contrôle, quitte à la renvoyer devant les instances démocratiquement élues, et quitte à ce que l’autorité et le pouvoir présidentiels s’en trouve réduits.

Dans le cas de la Syrie, les pressions cumulées de certains groupes d’intérêts, d’alliés des États-Unis, et des grands groupes de presse, étaient telles qu’elles risquaient de placer Obama dans la position d’avoir à déclencher un conflit susceptible de dégénérer très rapidement. Il a fait le choix conscient et délibéré de se placer à l’abri de ces pressions en renvoyant la décision au Congrès.

Connaissant comme il les connaît la théorie et la pratique du fonctionnement des institutions politiques des États-Unis, il ne pouvait pas ne pas savoir qu’il aurait les plus grandes difficultés du monde à dégager une majorité pour un projet d’intervention militaire même limité contre la Syrie. Ce n’est donc pas le but qu’il recherchait. Ce qu’il voulait, c’’était d’échapper à l’emprise d’intérêts étrangers à l’intérêt national américain qui le poussaient, et poussaient le monde, à la guerre.

Et la preuve que c’est bien ce qu’il voulait, c’est que chaque jour qui s’est écoulé depuis cette décision a repoussé l’échéance d’une intervention au point de la rendre aujourd’hui très incertaine alors qu’elle apparaissait inévitable et imminente la semaine dernière.

Bien entendu, il fallait maintenir certaines apparences pour empêcher que le retour de manivelle ne soit trop raide, et c’est ce qui nous a valu le théâtre de professions de foi guerrières dont nous avons été témoins depuis une semaine. Les professionnels, eux, ne sont pas dupes, et ils savent que la donne géopolitique dans le monde vient de changer radicalement.

La bonne nouvelle n’est pas tant que les perspectives d’une troisième guerre mondiale aient été repoussées, mais que les décisions spectaculaires du parlement de Londres et du président Obama dans un contexte d’une telle gravité se trouvent à réhabiliter la notion du gouvernement « of the people, by the people and for the people », pour reprendre les mots de la Constitution des États-Unis, une notion en directe opposition avec celle de « souveraineté supranationale constituée de l’élite intellectuelle et des dirigeants des grandes banques du monde », mise de l’avant, comme nous l’avons vu plus haut, par les promoteurs du Nouvel ordre mondial.

En même temps qu’ils annoncent un retour à la démocratie, les développements de la dernière semaine annoncent le retour au premier plan des États-Nations, le cadre nécessaire à l’exercice de la démocratie, comme la chose vient si bien de nous être rappelée.

Richard Le Hir

Cet article a été publié initialement sur la Tribune libre de Vigile.net



Articles Par : Richard Le Hir

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