Le Parlement européen supprime un appel à la protection d’Edward Snowden

Sous une pression intense du gouvernement Obama et des gouvernements nationaux en Europe, une commission du Parlement européen a supprimé une mesure qui demandait l’asile et la protection pour le lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden s’il pouvait quitter son abri temporaire en Russie pour une destination au sein de l’Union européenne.

Non seulement la commission a rejeté un amendement mercredi qui aurait appelé les membres de l’UE à offrir leur protection à Snowden contre la persécution qu’il subit de la part des autorités américaines, elle a aussi supprimé toute mention de son nom d’un rapport de 60 pages qui s’appuie entièrement sur les documents secrets qu’il a rendu public. Ces documents ont exposé une opération d’espionnage massive contre des centaines de millions de gens en Europe, aux États-Unis et partout ailleurs. Ce rapport devrait être soumis au Parlement réuni au complet le mois prochain.

Un amendement proposant de demander aux autorités américaines d’abandonner les tentatives de poursuivre Snowden en vertu de la Loi sur l’espionnage de 1917 a également été rejeté.

Ce vote a eu lieu mercredi après-midi à la commission du Parlement européen sur les libertés fondamentales, qui a approuvé un rapport préliminaire sur la surveillance de masse préparé par Claude Moraes, le chef en second du groupe des députés travaillistes britanniques au Parlement européen. Ce rapport est passé avec 33 votes pour, 7 contre et 17 abstentions.

L’amendement proposé en défense de Snowden demandait aux Etats membres de l’UE « d’abandonner les accusations pénales, s’il y en a, contre Edward Snowden et de lui offrir une protection contre les poursuites, les extraditions ou les détournements par des tiers, en reconnaissance de son statut de lanceur d’alerte et de défenseur international des droits de l’Homme. »

Une autre résolution, également refusée, appelait Washington à « accorder l’amnistie à Edward Snowden pour engager un processus qui reconçoive la trajectoire des agences de renseignements. »

Les Verts européens, qui avaient rédigé la proposition d’amendement demandant la protection de Snowden, ont condamnés la validation de ce rapport expurgé, pointant que sans les actions de Snowden, il n’y aurait aucune des révélations sur la surveillance de masse illégale, qui sont la base du document.

« Les députés européens de centre-droit et socialistes ont voté pour abandonner Edward Snowden en rejetant un amendement qui demandait qu’on lui accorde une protection dans l’UE, » a dit le porte-parole des verts Jan Philipp Albrecht après le vote. « Les courageuses révélations d’Edward Snowden ont fourni la base de cette enquête, et ne pas reconnaître cette contribution vitale en appelant à sa protection est une preuve de lâcheté, née d’un désir de ne pas offenser les États-Unis. »

La réaction du groupe de la Gauche unie européenne au Parlement européen, qui comprend des organisations comme Die Linke (parti La gauche) en Allemagne, le Front de gauche français, et SYRIZA en Grèce, ainsi que divers partis staliniens, a été bien plus discrète.

« Nous accueillons favorablement l’adoption de ce rapport parce que pour la première fois le Parlement admet effectivement que cet espionnage et cette surveillance ont réellement eu lieu, au lieu de simplement les supposer, » a indiqué la présidente du groupe, Gabi Zimmer de Die Linke.

« Cependant, il est à regretter, » a-t-elle poursuivi, « il n’y a eu aucune discussion sur les abus des lois anti-terroristes qui sont fondées sur de fausses estimations, rien sur la proposition d’un asile à Snowden, aucune demande de mettre fin au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), et aucune véritable révision de l’architecture générale de la sécurité aujourd’hui, avec le flou sur la distinction entre sécurité interne et externe, entre la police et les services de renseignements. »

La mention de Snowden comme une simple réflexion après-coup dans la foulée de diverses autres regrets sur une résolution qu’ils applaudissent dans l’ensemble reflète le cynisme politique de ces gens, qui n’ont mené aucune véritable campagne pour défendre le lanceur d’alerte de la NSA. Ces groupes, qui représentent des couches privilégiées au sein des classes moyennes européennes, s’adaptent aux partis sociaux-démocrates droitiers comme le SPD en Allemagne, le Parti socialiste en France, et le Parti travailliste britannique, qui ont fourni les votes nécessaires pour que les partis conservateurs de l’Union européenne bloquent toute référence à Snowden.

Après avoir battu l’amendement sur Snowden, la commission a adopté une alternative inoffensive proposée par le groupe des « socialistes et démocrates » où figurent le SPD et le Parti travailliste, qui demande simplement à l’UE d’« examiner de manière exhaustive la possibilité d’accorder une protection internationale aux lanceurs d’alerte contre les persécutions. »

Le rapport demande la suspension de l’accord SWIFT entre l’UE et Washington, qui permet le transfert aux américains des informations de transferts bancaires internationaux pour des buts prétendument antiterroristes. Les documents fournis par Snowden ont rendu clair le fait que la NSA mène un espionnage de grande ampleur sur les transactions bancaires et les services de cartes de crédit en Europe. Ce document défend également la suspension du pacte de « havre sûr » qui permet aux compagnies américaines de s’auto-certifier sur leur respect des règles européennes de protection de la vie privée.

Moraes, l’auteur du rapport, a clairement dit que l’objectif des factions les plus fortes au Parlement européen était de faire quelques gestes sans engagement en faveur des droits démocratiques afin de surmonter les révélations dévastatrices de l’espionnage illégal qui est mené en Europe et internationalement.

« Ce avec quoi nous nous retrouvons c’est une condamnation du rassemblement systématique, généralisé, des données personnelles, » a dit Moraes. « Nous voulons tracer une limite entre les données qui sont utiles pour la sécurité et les données qui ne sont d’aucune utilité pour cet objectif. »

Le vote sur ce rapport intervient dans le contexte des accords passés pour permettre à Snowden de témoigner devant la commission des droits démocratiques du Parlement européen au début du mois prochain. Snowden, qui vit en asile en Russie, a accepté de répondre à des questions avec un enregistrement vidéo, mais a refusé pour des raisons de sécurité d’être présent sur place ou d’utiliser un conférence vidéo interactive. Un certain nombre d’agents de l’armée et des services de renseignements américains ont été cités le mois dernier préconisant d’assassiner Snowden.

Le gouvernement américain s’est fortement opposé à l’apparition de l’ex-agent de la NSA devant la commission, une position exprimée très clairement par une délégation du Congrès américain qui s’était rendue en visite au Parlement européen en décembre dernier et avait brandi la menace de représailles si Snowden était autorisé à parler. Le membre du Congrès Mike Rogers, le président républicain de la Commission sur les services de renseignements de la Chambre des députés, avait déclaré à Bruxelles qu’il n’était « pas digne » du Parlement européen de parler à un « félon », et avait dit, menaçant, qu’un développement de ce genre risquerait de signifier la fin des négociations sur l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe.

Si la pression américaine était considérable, le rejet de l’amendement qui demandait de protéger Snowden n’est pas seulement une question de forces extérieures, mais le résultat de décisions prises au sein des principaux gouvernements et partis politiques européens. Comme leurs homologues à Washington, ces gouvernements et ces partis défendent les intérêts d’une étroite oligarchie financière et patronale. Ils n’ont aucune raison de défendre les droits démocratiques et sont complices des opérations d’espionnage totalitaires de la NSA.

Ce point a été exprimé en toute candeur l’année dernière par le sénateur américain Chris Murphy (démocrate du Connecticut), qui préside la sous-commission du Sénat aux affaires étrangères en charge des affaires européennes. Ses remarques prononcées à Bruxelles visaient à empêcher à l’avance toute aide à Snowden et tout rapport du Parlement européen critiquant les opérations d’espionnage américaines. Murphy a insisté sur l’idée que toute divergence avec un Etat européen devait être aplanie de manière bilatérale, sans passer par l’UE. Après tout, a-t-il insisté, l’interception générale des communications par téléphone, courriel et internet était menée « en grande partie en coordination avec les services de renseignements de vos propres pays. »

Bill Van Auken

Article original, WSWS, paru le 13 février 2014



Articles Par : Bill Van Auken

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