Le président brésilien contraint d’annuler son ordre d’envoyer l’armée contre les manifestants

Le président du Brésil, Michel Temer, a été contraint d’annuler une ordonnance qu’il avait prise la veille pour faire engager l’armée dans les rues et de lui donner le pouvoir de procéder à des arrestations pendant une semaine.

La mesure a été prise afin de réprimer une manifestation mercredi dans la capitale, Brasilia, organisée par les syndicats et des mouvements sociaux contre les « réformes » des retraites et du droit du travail qui attaquent les droits sociaux de base et exiger la destitution de Temer et de nouvelles élections.

L’appel à l’armée avait, cependant, l’air d’un acte désespéré de la part d’un président qui est confronté à de multiples accusations de corruption et est considéré comme illégitime par la majorité de la population brésilienne.

Les sondages d’opinion les plus récents indiquent que Temer a 95 pour cent de la population contre lui, avec 85 pour cent favorisant la convocation immédiate de nouvelles élections. Il était au départ vice-président et fut installé au palais présidentiel en août 2016 par la mise en accusation de son prédécesseur, Dilma Rousseff présidente issue du Parti des travailleurs (PT), sur des accusations à tort d’irrégularités budgétaires.

Mercredi, la manifestation à Brasilia a attiré des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de cette capitale isolée à l’intérieur du pays. La manifestation était pacifique en grande partie jusqu’à ce qu’un groupe de membres masqués du Black Bloc, un groupe souvent infiltré par des agents provocateurs, a attaqué la police, et s’est livré au vandalisme sur les édifices des ministères, mettant le feu au ministère de l’agriculture.

La police a réagi avec une force écrasante et disproportionnée contre les manifestants dans leur ensemble, libérant des quantités massives de gaz lacrymogène, tirant des grenades étourdissantes et des balles en caoutchouc, envoyant des policiers montés avec des bâtons anti-émeutes dans la foule et, à un certain moment, tirant à balles réelles sur les manifestants.

Quelque 50 personnes ont été blessées au cours de la répression. Parmi les personnes les plus gravement blessées, il y avait un vendeur ambulant qui ne faisait même pas partie de la manifestation, mais qui a été blessé par balle au visage.

L’ordre appelant des troupes armées à protéger la capitale est intervenu alors que la manifestation avait déjà été largement dispersée. La confusion et la panique apparente autour de la décision ont soulevé de sérieuses inquiétudes selon lesquelles Temer recourrait à l’usage de l’armée pour sortir son gouvernement des crises et faire taire l’opposition des masses.

Le fait de mettre les troupes dans les rues dans les conditions actuelles de crise extrême a des implications politiques historiques au Brésil, un pays qui a été gouverné pendant plus de deux décennies par une dictature militaire à la suite du coup d’État soutenu par les États-Unis en 1964.

La publication du décret en application de la loi brésilienne sur la « garantie du droit et de l’ordre » a brièvement vu des troupes se déployer autour des ministères et ailleurs dans la capitale. Les soldats de l’armée avaient déjà été stationnés pendant quelque temps à l’extérieur de Planalto, le palais présidentiel du pays.

Selon la Loi, l’armée ne doit être appelée que pour des périodes limitées lorsque les forces de police régulières sont incapables de faire face à une menace supposée sur l’ordre social et les institutions gouvernementales.

Ni le gouverneur du district fédéral de Brasilia ni le commandement de l’armée, apparemment, ne croyaient que c’était le cas mercredi.

Le gouverneur de Brasilia, Rodrigo Rollemberg, s’est plaint qu’il n’ait pas été consulté, comme l’exige la loi, avant que les troupes ne soient appelées, condamnant la décision comme une « mesure extrême » non justifiée par la situation dans la capitale.

Le général Eduardo da Costa Villas Bôas, commandant de l’armée brésilienne, a fait une déclaration mercredi après la publication de l’ordonnance, en assurant à la population que les militaires agiraient conformément à la Constitution. « Notre démocratie n’est pas en danger », a-t-il déclaré. Qu’une telle assurance a été jugée nécessaire a souligné la profondeur de la crise politique actuelle.

Villas Bôas a fait état de son désaccord avec la prémisse du décret, en disant aux médias : « Je crois que la police devrait toujours avoir la capacité de maintenir l’ordre ». Il a déclaré que l’armée resterait en état d’alerte « au cas où quelque chose échapperait à tout contrôle. »

Le commandant de l’armée a ensuite reconnu que l’atmosphère à la fois dans le palais présidentiel et dans le commandement militaire était une atmosphère de « choc » et de « grande insécurité » à la suite des récentes révélations impliquant Temer dans des affaires de corruption et d’entrave à la justice.

La Cour suprême du Brésil a autorisé l’ouverture d’une enquête criminelle contre Temer après qu’il a été enregistré par le PDG du conglomérat alimentaire géant du pays JBS, Joesley Batista. Dans l’enregistrement, il exprime son approbation pour des paiements afin acheter le silence d’Eduardo Cunha, ancien président de la Chambre basse du Congrès. Il y est également mentionné que Batista et son entreprise payaient les procureurs et les juges pour faire échouer les enquêtes sur son entreprise. Le document a été remis aux procureurs dans le cadre d’une composition pénale.

Tandis que Temer a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne démissionnerait pas et qu’il faudrait se débarrasser de lui par la destitution, ses alliés politiques les plus proches du Congrès sont en train de déserter en demandant qu’il démissionne.

« Les partis politiques alliés au gouvernement de Michel Temer sont arrivés à la conclusion que le président a perdu sa capacité à rester au pouvoir », a déclaré jeudi l’influent quotidien Folha de S.P. L’article rapporte que le PSDB (Parti brésilien de la social-démocratie), de droite, mène le mouvement contre Temer et a communiqué son attitude au président brésilien. Le dirigeant de la PSDB et son candidat à la présidence, qui termina second mais très proche de Rousseff lors de l’élection présidentielle de 2014, a été dépouillé de son siège au Sénat et a dû rendre son passeport alors que les procureurs se préparaient à ordonner son emprisonnement sur des accusations de corruption connexes.

Selon Folha, les partis bourgeois qui avaient soutenu Temer lors de la chute de Rousseff comptent maintenant sur le Tribunal fédéral supérieur électoral du Brésil (TSE) qui rendra une décision au début du mois prochain invalidant les élections en 2014 du Président Rousseff et du vice-président Temer au motif que la campagne avait été financée illégalement.

Une telle décision conduirait à des élections indirectes par le Congrès, dont la préoccupation principale des membres est de préserver leurs propres peaux, des dizaines de membres du Congrès et un tiers du Sénat sont sous enquête dans le cadre d’un scandale de corruption à plusieurs milliards de dollars, qui n’arrête pas de s’étendre, et qui est centré sur des pots-de-vin dans le cadre de contrats avec le conglomérat d’énergie géant Petrobras.

L’appel à des élections directes exigerait que le Congrès adopte une modification constitutionnelle, qui est actuellement considérée comme improbable. Folha a rapporté que le Parti des travailleurs, qui exige publiquement des élections directes, mettant en avant l’ancien président Lula da Silva – et qui fait également l’objet d’un procès pour des accusations de corruption – comme favori probable, est en coulisses en train de négocier avec d’autres partis bourgeois sur un candidat de compromis pour remplacer Temer en procédant à un vote au Congrès.

Le principal journal financier du pays, Valor, a publié jeudi une entrevue avec le principal économiste Yoshiaki Nakano, doyen de l’École d’économie de Sao Paulo à la Fondation Getulio Vargas, dans laquelle il a soutenu que la « démission de Temer est le scénario le plus favorable pour l’économie ».

La préoccupation des grandes entreprises brésiliennes est que le scandale de corruption a paralysé la capacité de Temer à imposer des attaques contre les droits fondamentaux et le niveau de vie des travailleurs brésiliens, en premier lieu, dans les prétendues lois sur la retraite et de réforme du droit du travail qui sont maintenant bloquées au Congrès.

C’était afin de mettre en œuvre de telles mesures, qui augmentent les attaques déjà entamées sous les gouvernements PT de Lula et Rousseff, que Temer a été amené au pouvoir. L’objectif est de faire peser le fardeau total de la pire crise économique du pays dans un siècle directement sur le dos de la classe ouvrière brésilienne.

Cependant, le gouvernement du pays et tous les partis bourgeois, y compris le PT, sont devenus si désespérés que l’imposition d’un tel programme devient de plus en plus difficile en dehors d’un retour aux méthodes dictatoriales.

Bill Van Auken

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 26 mai 2017



Articles Par : Bill Van Auken

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