« Le tumulte et les clameurs s’éteignent… »

« Le tumulte et les clameurs s’éteignent, / Les capitaines et les rois meurent… » a écrit Rudyard Kipling dans son inoubliable poème « In memoriam » (« Recessional »)

Le roi George disparut avant même que le tumulte se soit tu. Son hélicoptère l’emporta de l’autre côté de l’horizon, tout comme son fidèle coursier emmène le cowboy dans le soleil couchant à la fin du film. À ce moment-là, les discours dans le hall de l’Assemblée battaient déjà leur plein.

Voici le résumé de l’ensemble de l’événement. La déclaration finale a annoncé que les Etats-Unis superviseront les négociations, agiront comme arbitre de son application et comme juge tout au long du processus.

Tout dépend d’elle. Si elle le veut – beaucoup de choses peuvent se passer – Si elle ne le veut pas – rien n’arrivera. Cela ne présage rien de bon. Rien n’indique que George Bush interviendra réellement pour parvenir à quelque chose, sauf à de jolies photos. Certains croient que toute cette mise en scène a été organisée pour faire plaisir à la pauvre Condoleezza Rice, après que tous ses efforts comme secrétaire d’Etat ont abouti à rien.

Même si Bush voulait agir, pourrait-il faire quelque chose ? Est-il capable de faire pression sur Israël, face à la vigoureuse opposition du lobby pro-Israël, et particulièrement des chrétiens-évangélistes dont il fait partie ?

Un ami m’a dit que pendant la conférence il avait regardé les reportages télévisés en fermant le son, juste pour observer le langage des corps des principaux acteurs. Il a ainsi remarqué un détail intéressant : Bush et Olmert se touchaient souvent, mais il n’y a eu presque aucun contact physique entre Bush et Mahmoud Abbas. Plus encore : pendant les événements communs, la distance entre Bush et Olmert était inférieure à la distance entre Bush et Abbas. Plusieurs fois, Bush et Olmert ont marché devant ensemble, pendant que Abbas suivait derrière.

Voilà toute l’histoire.

SHERLOCK Holmes dit, dans une de ses affaires, que la solution devait être trouvée dans le « le curieux incident des chiens pendant la nuit. » Quand on lui fit remarquer que les chiens n’avaient rien fait, il expliqua : « C’était cela l’incident curieux ».

Ceux qui veulent comprendre ce qui s’est (ou ne s’est pas) passé à Annapolis trouveront la réponse dans ce fait : les chiens n’ont pas aboyé. Les colons et leurs amis sont restés tranquilles, n’ont pas paniqué, ne se sont pas excités, n’ont pas distribué des affiches d’Olmert en uniforme SS (comme ils l’avaient fait avec Rabin après Oslo). En tout et pour tout, ils se sont contentés de la prière obligatoire au Mur occidental et d’une petite manifestation près de la résidence du Premier ministre.

Cela signifie qu’ils ne se faisaient pas de souci. Ils savaient que rien n’en sortirait, qu’il n’y aurait pas d’accord sur le démantèlement de même un misérable avant-poste de colonie. Et sur ces questions, on peut compter sur les prévisions des dirigeants des colons. S’il y avait eu le plus petit danger que la paix sorte de cette conférence, ils auraient mobilisé leurs partisans en masse.

LE HAMAS, d’autre part, a organisé des manifestations de masse à Gaza et dans les villes de Cisjordanie. Les dirigeants Hamas étaient vraiment très inquiets.

Non pas qu’ils eussent peur que la paix fut conclue lors de cette rencontre. Ils craignaient un autre danger : que le seul véritable objectif de la rencontre soit de préparer le terrain à une invasion israélienne de la bande de Gaza.

Ami Ayalon, ancien amiral qui un jour s’est posé en homme de paix et qui est maintenant membre travailliste du gouvernement, est apparu pendant la conférence à la TV israélienne pour le dire tout à fait ouvertement : il était favorable à la conférence parce qu’elle légitime cette opération.

Son raisonnement était à peu près ceci : pour remplir ses obligations selon la feuille de route, Abbas doit « détruire l’infrastruture terroriste » en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. « Terrorisme » signifie Hamas. Puisque Abbas est incapable de conquérir la bande de Gaza lui-même, l’armée israélienne le fera pour lui.

Certes, ce peut être coûteux. Les quelques derniers mois, beaucoup d’armes ont été envoyées dans Gaza à travers les tunnels creusés sous la frontière avec l’Egypte. Beaucoup de gens des deux côtés y perdront la vie. Mais « Que voulez-vous ? Il n’y a pas d’alternative. »

Il se peut que rétrospectivement, le principal (sinon le seul) résultat d’Annapolis soit la conquête de la bande de Gaza afin de « renforcer Abbas ».

En tout cas, Hamas est inquiet. Et non sans raison.

En prévision d’une telle confrontation, les dirigeants Hamas sont devenus encore plus violents dans leur opposition à la rencontre à laquelle ils n’ont pas été invités. Ils ont dénoncé Abbas comme collaborateur et traître, répété que Hamas ne reconnaîtrait jamais Israël ni n’accepterait d’accord de paix avec lui.

J’IMAGINE une conférence des opposants au processus de paix proposé, une sorte d’anti-Annapolis. Non pas la rencontre d’usage organisée par Mahmoud Ahmadinejad à Téhéran, à laquelle seuls des musulmans seront invités, mais une rencontre commune de tous les extrêmistes des deux côtés. Khaled Mechaal et Ismael Haniye seront assis face à Avigdor Liberman, Effi Eytam et Benny Elon, et discuteront ensemble sur la façon de contrecarrer la « solution des deux Etats ».

Si j’étais invité à animer cette conférence, je commencerais comme ceci : Messieurs (les dames ne seraient pas là bien sûr), commençons par énumérer les points sur lesquels il y a accord, et seulement après traitons les points de désaccord.

Donc : Vous êtes tous d’accord sur le fait que la terre entre la Méditerranée et le Jourdain ne sera qu’un seul Etat (accord général). Vous, Palestiniens, êtes d’accord que les Juifs jouiront de tous les droits en pleine égalité (acquiescement du côté palestinien de la table). Et vous, Israéliens, êtes d’accord que les Arabes soient traités en toute égalité (acquiescement coté israélien de la table). Et, bien sûr, vous êtes d’accord qu’il y aura la pleine liberté de religion pour tous (accord général).

S’il en est ainsi Messieurs, le seul désaccord qui reste concerne le nom – appellera-t-on l’Etat Palestine ou Israël ? Est-ce qu’il vaut la peine de se quereller et de faire couler le sang pour cela ? Mettons-nous d’accord sur un nom neutre, quelque chose comme Isreltine ou Palael.

REVENONS à la Maison blanche : si les trois dirigeants se sont mis là d’accord, dans le secret des délibérations, pour que l’armée israélienne envahisse la bande de Gaza, c’est une très mauvaise nouvelle.

Il aurait été meilleur d’impliquer Hamas – sinon directement, au moins indirectement. L’absence du Hamas a laissé un trou béant dans la conférence. Quel sens cela a-t-il de réunir 40 représentants de tous les coins du monde, et de laisser plus de la moitié du peuple palestinien sans représentation ?

D’autant plus que depuis le boycott du Hamas, l’organisation a été de plus en plus acculée, conduite à s’opposer de façon encore plus véhémente à la rencontre et à inciter la rue palestinienne contre elle

Hamas n’est pas seulement une force armée qui maintenant domine la bande de Gaza. C’est avant tout le mouvement politique qui a gagné la majorité des voix des Palestiniens dans des élections démocratiques – pas seulement dans la bande de Gaza, mais en Cisjordanie aussi. Cela ne changera pas si Israël conquiert demain la bande. Au contraire : une telle manœuvre peut stigmatiser Abbas comme collaborateur dans une guerre contre son propre peuple, et en fait renforcer l’enracinement du Hamas parmi les Palestiniens.

Olmert a dit qu’avant tout « l’infrastructure terroriste » doit être éliminée, et que seulement alors on pourra progresser vers la paix. Ceci déforme totalement la nature d’une « infrastructure terroriste » – c’est regrettable venant d’une personne dont le père (comme le père de Tzipi Livni) était un officier de l’Irgoun « terroriste ». Cela montre aussi que la paix n’est pas la première de ses aspirations – parce que cette déclaration constitue une mine mortelle sur la voie d’un accord. Elle met la charrue avant les bœufs.

La suite logique est de suivre une autre voie : avant tout, nous devons rechercher un accord de paix qui soit acceptable par la majorité des Palestiniens. Cela signifie (a) poser les fondations d’un Etat de Palestine dont les frontières suivront la Ligne verte (avec des échanges limités de territoires) et dont la capitale sera Jérusalem-Est, (b) appeler les Palestiniens à ratifier cet accord par referendum, et (c) appeler l’aile militaire du Hamas à déposer les armes et à s’intégrer dans les forces régulières du nouvel Etat, comme ce qui s’est passé en Israël, et à se joindre au système politique du nouvel Etat.

S’il y a une assurance que c’est la bonne voie, les choses avanceront, il y a encore une chance raisonnable de convaincre le Hamas de ne pas faire obstruction au processus et de permettre à Abbas de le négocier – comme le Hamas l’avait accepté dans le passé.

Pourquoi ? Parce que le Hamas, comme tout mouvement politique sérieux, dépend du soutien populaire. De ce point de vue, avec l’occupation qui empire de jour en jour et toutes les voies de la paix apparemment bloquées, les masses palestiniennes sont convaincues que la méthode de la résistance armée, telle qu’elle est pratiquée par le Hamas, est la seule qui leur offre quelque espoir. Si les masses sont convaincues que la politique d’Abbas porte des fruits et conduit à la fin de l’occupation, le Hamas aussi sera obligé de changer d’orientation.

Malheureusement, la conférence d’Annapolis n’a rien fait pour susciter de tels espoirs. Les Palestiniens, comme les Israéliens, l’ont traitée avec un mélange de méfiance et de dédain. Elle ressemble à un spectacle vide joué par un président américain sur le déclin dont le seul plaisir qui reste est d’être photographié avec les dirigeants du monde. Et si Bush obtient la résolution des Nations unies qu’il veut pour se réfugier derrière – une résolution de plus que personne ne prendra au sérieux – elle ne changera rien.

En particulier, s’il est vrai, comme on le dit dans la presse israélienne, que le gouvernement israélien est en train de planifier une énorme expansion des colonies, et si les chefs militaires déclenchent une nouvelle guerre sanglante, cette fois-ci à Gaza.

ALORS ce spectacle n’a-t-il aucun côté positif ? Sera-t-il oublié demain, comme des dizaines d’autres rencontres dans le passé ont été oubliées, dont seuls les gens ayant une mémoire exceptionnelle se souviennent ?

Je n’en suis pas sûr.

Certes, ce ne fut qu’une cascade de mots. Mais dans la vie des nations, les mots, aussi, ont leur importance.

Presque toute l’humanité était représentée à cette conférence. Chine. Inde. Russie. Europe. Presque tous les gouvernements arabes prétèrent leur soutien. Et dans cette compagnie, il fut solennellement décidé que la paix devait être établie entre Israël et un Etat palestinien indépendant et viable. Il est vrai que les termes n’étaient pas explicites, mais ils planaient sur la conférence. Tous les participants le savaient.

Les représentants du courant dominant israélien ont rejoint – au moins pro forma – ce consensus. Peut-être était-ce pour plaisanter, peut-être seulement comme stratagème, peut-être comme un acte de tromperie. Mais comme nos sages l’ont dit il y a longtemps : ceux qui acceptent la Torah pas seulement pour elle-même finiront par l’accepter pour elle-même. Ce qui signifie : si quelqu’un accepte une idée par simple tactique, il sera obligé de la défendre et finira par être convaincu. D’ailleurs Olmert a déjà déclaré sur le chemin du retour : « Sans la solution des deux Etats, l’Etat d’Israël est fini. »

A ce propos, une compétition entre les membres du gouvernement se développe déjà et c’est un bon signe. Tzipi Livni a installé plus d’une dizaine de comités d’experts, chacun chargé d’une question spécifique nécessaire à la paix, depuis la distribution de l’eau jusqu’à l’allocation des canaux de télévision. (Pour ceux qui ont une bonne mémoire, c’est arrivé 50 ans après que j’eus proposé l’installation d’exactement le même dispositif, que j’ai appelé « Etat-major blanc », en opposition à l' »état-major kaki ».)

Certes, la conférence d’Annapolis ne fut pas plus qu’un petit pas, fait sous contrainte. Mais ce fut un minuscule pas dans la bonne direction.

La conscience d’une bonne partie du peuple ne change qu’au cours d’un long et lent processus, à un rythme presque géologique. Ceci ne peut pas être décelé à l’œil nu. Mais, comme Galilée se le murmurait : « Et pourtant elle tourne ! »

Article en anglais, « The tumult ans the shouting dies… » , Gush Shalom. 1er décembre 2007.

Traduit de l’anglais pour l’AFPS : SW

 

Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom.



Articles Par : Uri Avnery

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