L’économie de la bulle financière

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Les trois principaux indices des cours boursiers américains ont chuté vendredi 25 juillet, marquant le plus grand déclin des bourses américaines en près de deux mois. Le catalyseur pour les ventes de vendredi fut une série de statistiques faibles sur les ventes et les prévisions de la part de trois compagnies liées aux dépenses des consommateurs : Amazon, le plus grand site de vente en ligne, Wal-Mart, la plus grande chaîne de magasins et Visa, la compagnie de cartes de crédit.

Plus généralement, les secousses sur le marché des actions reflètent une inquiétude croissante au sein de la classe dirigeante sur la valeur des actions, qui a doublé et dans certains cas triplé, depuis leurs records vers le bas de 2009, et sont au bord d’un nouvel effondrement historique.

Indice boursier Standard & Poor’s de 500 grandes sociétés cotées sur les bourses américaines

Le secret de polichinelle de l’économie américaine est que la montée extraordinaire des marchés d’actions est entièrement déconnectée du processus de production. Alors que la croissance économique n’était que de 1,8 pour cent l’an dernier, en-dessous de la moyenne des trois dernières années, la valeur du S&P 500 est monté de plus de 20 pour cent. Dans le premier quart de cette année, alors que l’économie se contractait à un taux de près de trois pour cent, les trois indices américains continuaient de monter.

La montée du marché des actions s’appuie sur deux élément liés : le transfert systématique de richesse depuis la classe ouvrière vers l’élite financière, et la fourniture d’un afflux en somme illimité d’argent frais dans le système financier, dû à la Réserve fédérale.

La bulle du marché des actions a facilité les fusions et acquisitions conçues pour augmenter la valeur des actions des grands groupes par des licenciements massifs et des réductions de coûts, ce qui a encore plus étranglé la croissance économique. Ce genre de fusions-acquisitions a augmenté de 50 pour cent au cours de l’année passée. Un exemple typique fut l’annonce par Microsoft ce mois-ci du licenciement de 18 000 employés au niveau mondial après son rachat de la division mobiles de Nokia pour 7 milliards de dollars.

Les profits des entreprises représentaient l’année dernière une part plus importante du PIB qu’aucune autre année depuis la fin des années 1940. Pour donner une idée de la fièvre spéculatrice qui s’est une fois de plus emparée des entreprises américaines : les compagnies ne se servent pas de ces profits pour investir, mais pour faire monter les salaires des dirigeants, augmenter les dividendes, et racheter leurs propres actions. Les rachats d’actions ont atteint leur deuxième niveau le plus élevé dans le premier trimestre de cette année, seul le deuxième trimestre de 2007 avait vu mieux, juste avant l’effondrement financier.

Le fait que cette reprise du marché des actions soit nettement instable a généré des murmures d’inquiétudes dans certains milieux. Au début du mois, l’agence de notation Fitch a prévenu d’une « anxiété incroyable parmi les investisseurs sur le fait que la valeur des actions reflète qu’il y a trop d’argent cherchant à acquérir trop peu d’avoirs générateurs de revenus. » L’agence de notation a ajouté, « les investisseurs sentent qu’ils ont peu de choix à part investir dans la première chose venue sur le marché, en dépit de la baisse continuelle du rendement des actions et des intérêts des emprunts. »

Un commentateur a prévenu ce mois-ci dans le New York Times d’une « bulle tous azimuts » dans laquelle « il y a très peu d’actifs qui soient clairement bon marché. » Ces mises en garde font écho aux inquiétudes soulevées par la Banque des règlements internationaux qui a conclu à la fin du mois dernier qu’« il [était] difficile de ne pas être déconcerté par la déconnection entre la vitalité du marché et l’évolution économique qui le sous-tend. »

La mise en garde la plus catégorique est venue de John P. Hussman, un ex-professeur de l’Université du Michigan devenu gérant de fonds d’investissements et qui a publié un mémo cette semaine intitulé, « Oui, c’est une bulle spéculative. [Yes, This Is An Equity Bubble] » Il a conclu, « ne vous y trompez pas – c’est une bulle boursière, et une très avancée. D’après les données historiques les plus fiables, elle est bien au-delà de 1972 et de 1987, au-delà de 1929 et de 2007, et elle n’est plus maintenant qu’à près de 15% en-dessous du pic de 2000. » a-t-il conclu, « la réserve fédérale peut certainement retarder l’effondrement de cette bulle, mais seulement en rendant son résultat final bien pire encore. »

Les profits des entreprises et la valeur des actions qui s’envolent ont accompagné un énorme déclin des conditions sociales de la grande majorité de la population américaine. D’après une étude récente, la valeur nette, ajustée de l’inflation, d’un ménage américain typique a décliné de 36 pour cent entre 2003 et 2014. Le revenu médian des ménages aux États-Unis s’est effondré de 8,3 pour cent entre 2007 et 2012, et le nombre de gens qui ont recours aux coupons alimentaires a augmenté de 70 pour cent depuis 2008.

L’énorme régression sociale de la société américaine peut se résumer par une statistique : un enfant sur quatre aux États-Unis vit en-dessous du seuil officiel de pauvreté, et un sur cinq court le risque de souffrir de la faim.

L’effondrement de 2008 a failli faire s’effondrer tout le système financier mondial et a déclenché une récession mondiale, sans reprise. La Fed a depuis six ans baissé ses taux d’intérêt pratiquement à zéro, permettant aux banques d’avoir de l’argent gratuit. Par l’intermédiaire de divers programmes d’achats des actifs, la Fed a triplé le volume de son bilan depuis 2008. Cette politique a été imitée au plan international, couplée avec des mesures d’austérité de plus en plus brutales dirigées contre la classe ouvrière.

Ce jeu ne peut pas se poursuivre indéfiniment. Au bout du compte, la valeur des avoirs financiers doit s’écraser. Les conséquences du crash à venir seront encore plus dramatiques que celles de l’effondrement financier de 2008.

L’élite dirigeante américaine a atteint une impasse historique. Elle trébuche de crise en crise, tentant d’éteindre les incendies en jetant de l’huile sur le feu. Cette approche pragmatique, myope et parasitaire de la crise de l’économie américaine exprime la physionomie de fond de l’élite financière. C’est une couche sociale qui a amassé sa richesse non par une activité productive, mais par le pillage de la société: pillage des fonds de pensions, baisse de salaires, fermeture des industries et licenciement des travailleurs.

La crise socioéconomique interne du capitalisme américain est un facteur important de la politique étrangère américaine, de l’exceptionnel aveuglement avec lequel la classe dirigeante et ses représentants dans l’élite politique et médiatique attisent les conflits dans le monde entier.

Face à un désastre économique et politique à l’intérieur, l’élite dirigeante américaine cherche dans la guerre un moyen désespéré de consolider sa position dans l’économie mondiale et de défléchir la colère sociale à l’intérieur du pays vers les guerres et les interventions étrangères. Chaque étape de la crise économique a été accompagnée par un paroxysme encore plus grand de la violence impérialiste.

La politique de la classe dirigeante américaine est, d’une manière profonde, de la folie. C’est une folie conditionnée par la société, une folie qui exprime un système économique en faillite et un ordre social au bord de la révolution.

Andre Damon

Article original, WSWS, paru le 28 juillet 2014



Articles Par : Andre Damon

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