L’élection de Trump, doigt d’honneur au mythe américain

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Chez nous, la caste politico-médiatique a toujours adoré l’Amérique. Adepte de l’américanisation du monde, elle s’est abandonnée avec délice à son pouvoir d’enchantement. Elle en singe les coutumes et les travers avec une fidélité à toute épreuve. Pour elle, l’Amérique, c’est « New York, New York », Manhattan et la statue de la Liberté. Ce Nouveau Monde est le paradis de la libre entreprise, une nation bénie du Créateur où le génie humain fait reculer les frontières du possible. Qu’elle soit toujours plus puissante, plus rayonnante, et l’humanité ne pourra que bénéficier de sa lumière.

Comme disait O’Sullivan au XIXème siècle, « les Etats-Unis ont pour destinée de démontrer au genre humain l’excellence des principes divins ». Tout ce que l’Amérique fait pour sa propre gloire ne peut que rejaillir en une pluie de bienfaits sur le reste de l’humanité. Chez nos politiciens professionnels, magnats de la presse et faiseurs d’opinion, l’allégeance à Washington est devenue une seconde nature. C’est le ticket d’entrée exigé pour l’admission dans la caste supérieure. Inconsciemment ou non, elle a toujours adhéré à cette formule d’un héros de Melville : « Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’égoïsme national est de la philanthropie sans limite : car nous ne pouvons faire du bien aux Américains sans faire l’aumône au monde ».

Mais ce mythe auquel la caste dirigeante voulait croire parce qu’il lui donnait bonne conscience s’est subitement évanoui le 8 novembre. Pour incarner une Amérique forte, généreuse, et nous irradiant de ses bienfaits, l’oligarchie a commis l’impair de choisir Hillary Clinton. Terrible erreur de casting. S’aveuglant sur sa propre puissance, elle a opté pour le sous-produit le plus frelaté du système politique américain. Elle vomissait Trump parce qu’il était machiste et grossier, mais elle a encensé Clinton malgré les relents nauséabonds d’une corruption sans limite. Elle reprochait à Donald de parler gras, mais elle a préféré oublier le mari d’Hillary dont la castration chimique eût été une mesure de salubrité publique. Plus sérieusement, elle accusait Trump de racisme, mais la jouissance jubilatoire de Clinton devant le cadavre de Kadhafi valait bien toutes les saillies démagogiques du candidat républicain.

Les bonnes consciences de tous bords qui ont soutenu Clinton n’ont pas voulu le voir, mais la réalité est têtue. On ne fera admettre à aucun esprit sensé qu’il est plus grave de vouloir mettre fin à l’immigration illégale aux USA que de répandre le chaos au Moyen-Orient par terrorisme interposé. Il est odieux de vouloir fermer provisoirement l’entrée du territoire américain aux musulmans étrangers, comme l’a annoncé Donald Trump. Mais il est abject de recevoir dix millions de dollars d’une monarchie dégénérée dont on sait (en le cachant au peuple américain) qu’elle finance le terrorisme. C’est pourtant ce qu’a fait Hillary Clinton, amie de François Hollande et coqueluche des médias.

Avec Clinton, l’Amérique de Washington et Lafayette s’est vautrée dans la fosse à purin. Qu’ont fait les élites politico-médiatiques européennes ? Elles ont fait comme si de rien n’était en se bouchant les narines. Le résultat ne s’est pas fait attendre. L’outsider Donald Trump a ravi la mise le 8 novembre. Mais avec lui, c’est une autre Amérique qui est sortie du chapeau. Adieu le jazz, le musée Guggenheim et les sunlights de Broadway. Bonjour les pedzouilles du Kentucky, la NRA et les matchs de catch ! En prenant d’assaut la Maison blanche, Trump a fait un gigantesque doigt d’honneur au mythe américain. Et c’est une Amérique insoupçonnée qui a subitement jailli à la face enfarinée de tous les gogos de droite et de gauche qui se pâmaient devant un modèle qui sentait déjà le moisi.

Du coup, l’idylle est bel et bien terminée. La caste n’aime plus l’Amérique ! Comme une maîtresse frivole, elle repousse ce prétendant dont elle découvre qu’il aime une musique de plouc et qu’il a l’haleine chargée à la bière vendue en promotion à la supérette du coin. L’Amérique, une « nation exceptionnelle » ? Tu parles ! Des bouseux qui votent pour un démagogue, la voilà la nouvelle Amérique. BHL a même dit que « le peuple américain s’était suicidé ». C’est lui, pourtant, qui avait l’air d’un mort-vivant. Sur sa face hâlée de mauvais acteur, on lisait le désarroi d’un cocu qui aimerait mettre une torgnole à son rival mais qui sait qu’il en est incapable, même en rêve. Ce soir-là, il était le symbole de la caste dont le rêve absurde d’une Amérique virginale vient de se fracasser sur le mur du pays profond.

Bruno Guigue

Bruno Guigue, est un ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de la Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.

 



Articles Par : Bruno Guigue

A propos :

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ecole nationale d’administration, Bruno Guigue est un ex-haut fonctionnaire français. Chercheur en philosophie politique et analyste politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident », « Faut-il brûler Lénine ? » et « Les Raisons de l’esclavage », publiés chez L’Harmattan. Chroniqueur de politique internationale, il a publié des centaines d’articles diffusés en huit langues par plusieurs dizaines de sites d’information indépendants.

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