Les États-Unis mènent-ils une contre-offensive en Amérique latine ?

Washington se heurte aux résistances et aux nouvelles réalités

En mai 2013, le président Obama prévenait : « L’Amérique latine représente une opportunité incroyable pour les États-Unis. » Durant son premier mandat, les États-Unis, trop occupés en Irak, an Afghanistan, en Libye, relâchèrent un peu la pression sur une arrière-cour qui commençait à leur échapper. L’influence de Washington en Amérique latine a désormais reculé au point de susciter aujourd’hui une contre-offensive impérialiste multiforme. L’empire est désormais en difficulté et son hégémonie contestée comme jamais dans l’histoire ; il n’a pas renoncé pour autant à récupérer le terrain perdu dans une région où plusieurs gouvernements se réclament de politiques post-néolibérales, voire anticapitalistes.

Le cœur de cible de la contre-offensive nord-américaine demeure le Venezuela bolivarien, qu’il faut faire tomber par une stratégie à la chilienne, d’usure et de déstabilisation, de guerre économique, de coup d’État rampant. Cette stratégie, ajoutée aux freins que constituent la corruption, la bureaucratie, l’insécurité, marque des points, perturbe une économie encore trop dépendante de la rente pétrolière et des importations.

Le patronat, le secteur privé, la bourgeoisie parasitaire contrôlent encore environ 70 % de l’économie ; ils provoquent des pénuries de produits de base, des sabotages économiques, des hausses de prix injustifiées… Ils les attribuent ensuite sans vergogne et avec tout leur mépris de classe au président Maduro, ce «  vulgaire chauffeur de bus  », cet «  ouvrier incompétent  ».

Or, précisément, cet ouvrier très politique et compétent, devenu président, a pris le taureau par les cornes et gouverne collectivement, au plus près du peuple. Sa pratique révolutionnaire de gouvernement de rue, la construction d’un État communal, la mise en place de communes (sortes de gouvernements locaux) qui transfèrent le pouvoir aux citoyens et activent le processus de construction, par la voie démocratique, d’un socialisme du XXIe siècle. L’État a pris des mesures enfin concrètes pour faire face à l’inflation chronique, à la spéculation, à la corruption endémique, à l’insécurité (ancienne). Une nouvelle instance du pouvoir populaire, les comités de défense populaire de l’économie, implique les citoyens dans la riposte à la guerre économique par le contrôle ouvrier, l’autogestion…

Le chavisme, pluriel, et son énorme parti (encore fragile), le Psuv, surmontent peu à peu le traumatisme de la mort de Chavez (leader au charisme exceptionnel, à la haute stature politique). Ils sortent orphelins du deuil collectif, convalescents, mais renouvelés et conquérants. Les élections municipales du 8 décembre constitueront un test politique de la plus haute importance.

La stratégie états-unienne de reconquête passe également par la riposte à l’intégration continentale en marche, qui, de fait, traverse un moment difficile. Washington met en place une sorte d’étau, une immense zone de libre-échange, un grand marché de consommateurs : l’alliance du Pacifique, l’accord d’association trans-pacifique (TPP), un clone du projet transatlantique États-Unis – Union européenne. Cet ensemble – Chili, Mexique, Colombie, Pérou, Canada, Malaisie, Vietnam, Nouvelle-Zélande, etc. – vise à torpiller l’Alba, l’Unasur, la Celac, à soumettre la région à une nouvelle donne économique, politique et géostratégique très libérale. Le repositionnement impérialiste permettra en outre d’«  accorder la priorité aux bénéfices des multinationales  » (déclaration du président équatorien Correa, à Paris, le 8 novembre 2013).

Ce retour de Washington dans la région butte sur les nouveaux rapports de forces, sur un élan populaire émancipateur, toujours dynamique. Au Chili, Michelle Bachelet va être élue avec le soutien des communistes. Au Honduras – victime, en juin 2009, d’un coup d’État pro-américain contre le président progressiste Zelaya –, les manipulations après le vote du 24 novembre prouvent que Barack Obama, la droite hondurienne, les paramilitaires, les forces répressives, l’oligarchie veulent empêcher à tout prix la victoire de la candidate du nouveau parti Liberté et Refondation, qui était en tête dans les sondages et s’est proclamé vainqueur sur la base des premiers résultats sortis des urnes. Ce parti, fédérateur, se revendique courageusement du socialisme. Sa candidate, Xiomara Castro, est précisément l’épouse du président Zelaya, renversé par le coup d’État. Insupportable pour Washington, la CIA et le Pentagone ! Selon le régime illégitime en place, J.-O. Fernandez, richissime homme d’affaires, partisan du coup d’État, serait en tête. Le peuple hondurien ne l’entend pas de cette oreille.

Au Brésil, la présidente Dilma Rousseff fulmine contre l’espionnage électronique de la NSA dont elle a été victime, ainsi que la puissante compagnie pétrolière nationale Petrobras. Lors de l’Assemblée générale de l’ONU, le 16 octobre 2013, à la tribune, elle a accusé Washington de violer la souveraineté nationale des pays. Elle a même annulé, événement majeur, un voyage officiel à l’invitation du président Obama.

Le repositionnement des États-Unis en Amérique latine accentue les polarisations sociales, politiques ; il menace la stabilité d’un continent qui reste envié pour sa croissance, ses politiques de redistribution, d’inclusion sociale, de souveraineté nationale, son recul de la pauvreté, sa déconstruction des rapports de domination, la primauté du politique, la recherche de chemins post-capitalistes, l’ouverture de chantiers socialistes du XXIe siècle, d’utopies en actes. «  L’arrière-cour des États-Unis, répètent avec pertinence les militants latino-américains, c’est aujourd’hui vous, l’Europe. »

Jean Ortiz



Articles Par : Jean Ortiz

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