Les excuses de Kerry : les démocrates tremblent devant Bush et l’armée

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John Kerry est coupable de la plus fatale des fautes que peut commettre le politicien bourgeois américain : par inadvertance, il a dit la vérité. Et pire encore, en quittant momentanément le pays des mensonges traditionnels, il s’est trouvé à attaquer l’armée, la plus puissante institution de l’Amérique contemporaine que, plus que toute autre, on ne peut critiquer.

La remarque maintenant célèbre de Kerry, faite lors d’un rassemblement à un collège de la ville de Pasadena dans le sud de la Californie, ressemble beaucoup à la vérité dite par erreur par le gouverneur du Michigan en 1967, George Romney, dans les préparatifs de sa campagne pour la nomination présidentielle des républicains. Romney a décrit une visite du Viêt-Nam imposée par le Pentagone comme un « lavage de cerveau », une remarque qui, parce qu’elle était si exacte, a mis fin à sa carrière politique.

Il est maintenant bien établi que les commentaires de Kerry étaient en fait une tentative laborieuse de faire une farce aux dépens du président Bush. Selon le script préparé par ses adjoints politiques, le candidat démocrate aux élections de 2004 pour la présidence américaine devait dire aux étudiants : « Je ne peux exagérer l’importance d’une excellente éducation. Savez-vous où vous aboutissez si vous n’étudiez pas, si vous n’êtes pas malin, si vous êtes intellectuellement paresseux ? Vous finissez par nous coincer dans une guerre en Irak. Demandez-le au président Bush. »

Au lieu de ceci, il a mutilé son texte, oubliant le mot « nous » et la référence à Bush. Le commentaire qu’a fait Kerry suggérait plutôt que les soldats en Irak étaient recrutés parmi les personnes qui ne réussissaient pas bien à l’école : « Il faut profiter au maximum des études, bien étudier, faire ses devoirs, faire un effort pour être malin, pour bien se débrouiller. Sinon, vous vous retrouvez coincés en Irak. »

Il s’en est suivi une offensive tous azimuts des porte-parole des républicains, de la Maison-Blanche jusqu’au plus insignifiant, et de la plupart des médias américains. L’attaché de presse de la Maison-Blanche Tony Snow a répondu à 31 questions sur le commentaire de Kerry lors de sa conférence de presse de mercredi et Bush autant que Cheney se sont précipité pour dénoncer Kerry devant des intervieweurs gagnés à leur cause. Bush a été interviewé sur le Rush Limbaugh Show mercredi et a endossé l’affirmation de l’animateur de droite selon laquelle Kerry considérait les soldats américains « essentiellement comme des rustres sans éducation ».

Le sénateur républicain John McCain était à l’émission de la chaîne ABC Good Morning America pour demander une excuse de Kerry et pour défendre la réputation prétendument souillée des soldats américains. « Ils ne sont pas là-bas parce qu’ils sont nuls à l’école. Ils y sont parce qu’ils aiment notre pays » a déclaré McCain.

Kerry a au début de l’affaire répondu à de telles diatribes en déclarant qu’il ne se ferait pas faire un deuxième « bateau Swift », en référence à sa réponse passive aux tactiques de calomnies des républicains durant les semaines décisives de la campagne électorale de 2004. « Ils tentent de changer de sujet, a-t-il déclaré à une conférence de presse. C’est leur campagne de calomnies et de peur. C’est l’affaire du bateau Swift qui recommence. »

Toutefois, 24 heures plus tard, Kerry avait déjà changé de position. Il s’est excusé verbalement à l’émission de radio de Don Imus mercredi, et il a ensuite fait une excuse par écrit qui déclarait : « En tant que vétéran de guerre, je veux dire clairement à ceux en uniforme et leurs êtres chers : ma blague mal racontée au rassemblement n’était pas reliée aux soldats et n’a jamais cherché à l’être. Je regrette sincèrement que mes paroles aient été mal interprétées et qu’elles aient pu insinuer des choses négatives au sujet de ceux en uniforme et je m’excuse personnellement à tout militaire, parent ou Américain qui aurait été offensé ».

Kerry a fait ces excuses parce qu’il a été renié par presque tous ses confrères démocrates, particulièrement ceux sont dans une chaude lutte pour le Sénat et la Chambre des représentants. Trois candidats démocrates à la Chambre ont annulé en leur nom les présentations de Kerry, et Kerry a par la suite annulé toutes ses activités de campagne et est retourné chez lui.

Le membre du Congrès Harold Ford, le candidat démocrate au siège libre du Sénat américain au Tennessee, a déclaré : « Peu importe son intention, le sénateur Kerry a eu tort de dire ce qu’il a dit », ajoutant, « Il doit s’excuser auprès de nos troupes. »

Le sénateur Hillary Clinton, déjà favorite pour la nomination présidentielle démocrate de 2008, s’adressant aux Vétérans des guerres étrangères, a joint les critiques du candidat démocrate 2004. « Ce qu’a dit le sénateur Kerry était inapproprié », a-t-elle affirmé.

Larry Grant, un candidat démocrate au Congrès en Idaho, a affirmé que Kerry « n’aurait même pas dû essayer de faire une blague sur le sujet ». Scott Kleeb, un candidat démocrate au Nebraska, a déclaré, « Beaucoup d’entre nous s’inquiètent sérieusement de la situation actuelle en Irak, mais personne ne devrait douter de l’intelligence et du dévouement de nos troupes. La remarque du sénateur Kerry était irrespectueuse et insultante ».

Aucun de ces sermons moralisateurs sur « l’honneur » des troupes n’a touché à la question des véritables circonstances dans lesquelles les jeunes, majoritairement de la classe ouvrière, ayant un accès plus limité à l’éducation supérieure et aux emplois à salaire élevé, s’engagent dans l’armée. Les unes après les autres, les études ont montré que la campagne et les petites villes américaines, ainsi que les quartiers pauvres des centres-villes, fournissent une part disproportionnée des soldats de l’armée américaine.

Alors que grimpe le bilan des victimes en Irak et en Afghanistan, et que les guerres de l’administration Bush sont devenues profondément impopulaires, l’infanterie et les marines, qui essuient le gros des combats, ont de plus en plus de difficulté à rencontrer leurs objectifs de recrutement.

L’infanterie a annoncé le mois dernier qu’elle avait rencontré ses objectifs de recrutement pour l’année fiscale 2006, qui s’est terminée le 30 septembre, mais ceci n’a été possible que par un assouplissement considérable des critères de recrutement. L’armée a fait passer l’âge maximum d’enrôlement de 35 à 42 ans et a décidé de doubler la proportion des candidats ayant obtenu de faibles résultats à son examen d’aptitude normalisé qu’elle pouvait acceptés, proportion qui passe de 2 pour cent à 4 pour cent. L’armée a aussi accepté d’écarter certaines disqualifications en lien à des dossiers criminels qui auraient empêché l’enrôlement dans les années précédentes.

Pour arriver à atteindre les objectifs de recrutement, des sommes sont offertes aux nouvelles recrues, avec des bonus importants versés à ceux qui acceptent des assignations dangereuses — par exemple, 40 000 $ pour les soldats enrôlés pour conduire des camions en Irak. Les deux tiers des nouvelles recrues de l’armée recevront une forme ou une autre de bonus, ce qui constitue, selon un compte rendu de la presse, « la mesure incitative la plus importante pour les recrues ».

L’armée a également grandement augmenté le nombre de ses recruteurs — comme ceux dont les efforts de recrutement des minorités à Flint au Michigan ont été enregistrés sur pellicule dans Fahrenheit 9/11, le film de Moore. Le nombre de recruteurs a bondi de 5500 à 6500, alors que le nombre de recrues demeure le même, une indication de l’effort beaucoup plus grand nécessaire pour pousser les jeunes à s’enrôler.

Les tactiques employées par les recruteurs ont été exposées dans un rapport publié en août par le Government Accountability Office [l’organisme américain chargé de surveiller les agissements de l’administration] qui rapporte que le nombre de fautes commises par les recruteurs a augmenté de 50 pour cent en 2005, atteignant 6600 cas, comparativement à 4400 en 2005. Le nombre de cas jugés fondés après enquête a augmenté légèrement plus, passant de 400 à 630, alors que les violations criminelles commises par des recruteurs ont plus que doublées, passant de 33 à 68. Ces violations incluent la coercition, le harcèlement sexuel, la falsification de documents et la non-divulgation d’informations qui autrement disqualifieraient une recrue. Plus de 80 recruteurs ont été réprimandés pour mauvaise conduite sexuelle envers des recrues potentielles.

Dans un effort visant à intensifier la pression sur les recrues dans certaines régions, le Pentagone a donné à contrat le recrutement à des compagnies privées, au lieu de laisser cette tâche au personnel en uniforme. Ces recruteurs civils ne sont guère mieux que des chasseurs de prime. Payés près de 6000 $ par tête, ils sont allés chercher plus de 15 000 nouvelles recrues cette année, ce qui leur a procuré une somme approchant les 100 millions en dollars sanglants.

Depuis le début de l’invasion et de l’occupation en Irak, le Pentagone a plusieurs fois sonné l’alarme sur les difficultés de recrutement et des dangers que l’armée américaine ne soit pas assez grande pour pouvoir atteindre les objectifs ambitieux de la politique étrangère de l’administration Bush.

Il ne fait aucun doute que Kerry est bien au courant de ces préoccupations, qui ont été exprimées particulièrement par ces officiers militaires à la retraite qui ont endossé sa campagne de 2004 ou qui se présentent comme candidat démocrate en 2006. Il est bien possible que le fait qu’il soit très conscient de cette question, ait contribué à son lapsus à Pasadena.

Les démocrates sont incapables de reconnaître ce qui est compris par n’importe quel observateur politique honnête, soit que beaucoup de ceux qui s’enrôlent dans l’armée américaine, pour être transformé en force d’occupation oppressive en Irak et en Afghanistan, sont eux mêmes victimes d’injustice, d’oppression et de pauvreté dans la société américaine.

L’abjecte prostration de ses collègues démocrates devant les hurlements d’outrage feint à propos de « l’insulte » de Kerry aux troupes est un événement politique significatif. Il démontre l’engagement du Parti démocrate, quelque soit les différends mineurs qui existent sur des questions tactiques, au programme de guerre et d’agression de l’administration Bush — un engagement qui va rapidement et clairement se manifester si les démocrates devaient gagner le contrôle de l’une ou des deux chambres du Congrès dans les élections de mi-mandat qui se tiennent la semaine prochaine.

Article original paru le 3 novembre 2006.

WSWS



Articles Par : Patrick Martin

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