Les heurts en Ukraine signalent une escalade de l’intervention américano-européenne

Les heurts violents entre la police et les manifestants hier 19 février à Kiev marquent une escalade de la campagne de l’opposition pro-occidentale pour faire tomber le président ukrainien Viktor Yanukovitch. L’opposition, soutenue par les gouvernements des États-Unis et de l’Allemagne, cherche à installer un régime d’extrême-droite déterminé à intégrer l’Ukraine dans l’Union européenne et à appliquer ses exigences de mesures d’austérité.

Des combats de rue sanglants ont éclaté quand les manifestants de l’opposition se sont dirigés vers le Parlement, demandant qu’il vote une loi prévue pour réduire les pouvoirs de Yanukovitch. Quand le vote leur a été défavorable, les partisans de l’opposition ont attaqué le siège du Parti des régions au pouvoir. Des heurts ont éclaté entre la police et les manifestants et se sont propagés dans toute la ville.

Ces troubles sont les plus sanglants depuis que les manifestations pro-UE ont commencé il y a trois mois. Les derniers reportages indiquent qu’au moins 19 personnes ont été tuées, parmi la police et les manifestants. Des centaines, peut-être des milliers, de personnes ont été blessées, dont 200 au moins sérieusement.

Les manifestants de l’opposition, dont beaucoup sont affiliés au parti néo-fasciste Svoboda et à d’autres groupes d’extrême-droite, semblaient lourdement armés. L’une des organisations fascisantes impliquées, Secteur droit, appelait tous ceux qui ont des armes à les amener sur la Place de l’Indépendance et à engager le combat avec les autorités.

Les scènes filmées par les médias montrent des manifestants anti-gouvernement, dont certains portaient des casques arborant des symboles fascistes, tirant avec des fusils et de petites armes sur la police, et lançant des cocktails Molotov. Durant l’assaut du siège du Parti des régions, ils ont tué au moins un employé de bureau. Plusieurs gendarmes auraient été faits « prisonniers » avant que les forces du gouvernements ne reprennent le contrôle du bâtiment.

Les dirigeants de l’opposition ont appelé les partisans à continuer le combat. Vitali Klitschko, chef du parti UDAR (Coup de poing), qui a des liens étroits avec l’Etat allemand, a dit de manière démagogique aux manifestants : « Nous ne partirons pas d’ici. C’est un îlot de liberté, nous le défendrons. » Des heurts violents ont continué tout au long de la nuit et tôt le mercredi matin, paralysant la ville.

Les scènes sanglantes à Kiev sont le résultat direct de la campagne menée par les États-Unis et l’Allemagne pour faire tomber Yanukovitch après qu’il a rejeté des propositions pour établir des liens plus étroits avec l’UE et signé un accord avec la Russie acceptant une aide financière. Dans leurs efforts pour retirer l’Ukraine de l’orbite de Moscou et isoler la Russie, Washington et Berlin travaillent ouvertement avec les partis d’extrême-droite.

Victoria Nuland, haute responsable du ministère des Affaires étrangères, a rendu visite à plusieurs reprises aux dirigeants de l’opposition en Ukraine, dont le chef du parti Svoboda, Oleh Tyahnbok. La fuite d’appels téléphoniques entre Nuland et l’ambassadeur américain en Ukraine, Geoffrey Pratt, a révélé l’étendue de la gestion minutieuse par Washington des dirigeants de l’opposition afin d’installer un nouveau régime fantoche. (lire : L’opération américaine de changement de régime révélée par la divulgation d’un appel téléphonique).

Les manifestations et la violence à Kiev font suite à une réunion à Berlin lundi dans laquelle les dirigeants de l’opposition Klitschko et Arseniy Yatsenyuk ont demandé à des hauts responsables allemands, dont la Chancelière Angela Merkel, de leur accorder un soutien plus grand, et notamment de pousser à des sanctions contre le gouvernement ukrainien.

Lundi également, la Russie a accepté d’acheter 2 milliards de dollars d’obligations ukrainiennes, donnant au régime de Yanukovitch une bouffée d’air frais probablement mal accueillie par les cercles de l’opposition, ainsi que par Berlin et Washington.

Dans la foulée des heurts à Kiev, les États-Unis, l’Allemagne, et l’UE ont immédiatement accusé Yanukovitch et fait monter d’un cran la pression pour son départ. Le ministre des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier a déclaré : « Quiconque est responsable de décisions risquant d’entraîner de nouveaux bains de sang dans le centre de Kiev et ailleurs en Ukraine devrait s’attendre à ce que l’Europe reconsidère les réserves qu’elle a pu avoir antérieurement quant à l’imposition de sanctions individuelles. »

D’après une déclaration de la Maison Blanche, le vice-président Joe Biden a contacté le régime ukrainien pour exprimer les « graves inquiétudes » de Washington concernant la violence et « dire clairement que les États-Unis condamnent la violence de n’importe quel camp, mais que le gouvernement porte une responsabilité particulière pour calmer la situation. »

La réponse des États-Unis et de l’Allemagne signalent une intensification de la volonté impérialiste d’installer un régime fantoche à Kiev et de transformer l’Ukraine en un bastion pour de nouvelles provocations et intrigues visant à démembrer la Russie elle-même et à la réduire à une semi-colonie dépendante. La promotion de nationalistes ukrainiens de droite fait partie d’une stratégie plus large d’exploitation des nombreuses divisions ethniques, nationales et religieuses au sein de l’ex-Union soviétique pour s’assurer leur domination sur la région.

La subordination de l’Ukraine est l’une des ambitions géostratégiques de longue date de l’impérialisme allemand, qui remonte à la Première Guerre mondiale. La politique actuelle agressive de l’Allemagne à l’égard de l’Ukraine coïncide avec un renouveau du militarisme allemand. Lors de la récente Conférence sur la sécurité à Munich, de haut responsables allemands ont affirmé que le temps est venu pour Berlin d’abandonner les limites et restrictions d’après-guerre qui lui avaient été imposées concernant l’usage de la force militaire.

Depuis plus de vingt ans, soit depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l »impérialisme américain poursuit sans relâche une stratégie consistant à affaiblir et isoler la Russie. Depuis les guerres en Yougoslavie de 1990, Washington encourage et soutient les prétendues révolutions colorées dans les anciennes républiques soviétiques. Il a envahi l’Afghanistan pour établir une base d’opération en Asie centrale et cherché, par des sanctions et des menaces militaires, à mener un changement de régime en Iran et en Syrie, meilleurs alliés de la Russie au Moyen-Orient.

La capacité de l’impérialisme à intervenir agressivement est la conséquence directe de la dissolution de l’URSS, de la restauration du capitalisme et de l’ouverture des anciennes républiques soviétiques au pillage des corporations transnationales mondiales. En s’opposant à l’intervention impérialiste actuelle en Ukraine, il ne faut accorder aucun soutien politique à Yanukovitch ou au président russe Vladimir Poutine, qui représentent des oligarques avides et corrompus, qui se sont enrichis aux dépens de la classe ouvrière.

L’unique force sociale capable de s’opposer aux intrigues impérialistes, aux menaces militaires et à la course à la guerre, est la classe ouvrière. Il faut commencer par rejeter toutes les formes de nationalisme et mener une lutte politique pour unifier les travailleurs d’Ukraine avec leurs frères et sœurs de classe à travers toute l’Europe, la Russie et internationalement. Cela exige une lutte commune pour abolir le système capitaliste en faillite et établir une économie mondiale planifiée qui réponde aux besoins sociaux urgents de tous.

Olivier Campbell et Peter Symonds

Article original, WSWS, paru le 19 février 2014



Articles Par : Olivier Campbell et Peter Symonds

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