Les Islandais refusent de payer la dette !

Ce choix sera t-il respecté ?

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Le 6 mars  2010, les Islandais se sont rendus aux urnes pour se prononcer pour ou contre la loi « Icesave ». Cette loi prévoyait la nationalisation de dettes privées et l’imposition de mesures économiques antisociales afin de trouver les fonds pour rembourser ces dettes. Avec une participation qui dépasse les 60%, le Non a remporté sans surprise une écrasante victoire : environ 93% des suffrages exprimés. Cela constitue surtout une victoire importante contre le néolibéralisme. Ce sera aussi une victoire pour la démocratie si, contrairement à ce qui s’est passé en France et en Irlande récemment, le choix des Islandais est respecté.

Petit pays de 320 000 habitants sans armée, l’Islande a subi de plein fouet la crise financière actuelle. Des milliers de ménages ont perdu leur travail ou ont été expulsés de leurs logements. Dans le même temps, l’Etat a déboursé des centaines de millions d’euros[1] pour nationaliser les trois principales banques islandaises (Kaupthing, Landbanski et Glitnir), totalement privatisées en 2003, et les sauver de la faillite. Le peuple islandais s’est alors senti floué et s’est mobilisé massivement pour tenter de faire payer le coût de cette crise aux responsables : les banques et les fonds spéculatifs. Cette pression a donné des résultats : le gouvernement a démissionné fin 2008 et, en août 2009, le Parlement a adopté une résolution pour conditionner le remboursement de cette dette aux « capacités de paiement » du pays[2]. Mais les intérêts en jeu sont énormes. Le FMI et l’Union européenne ont pesé de tout leur poids pour renverser cette orientation. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2009, le Parlement a changé de position et voté la loi « Icesave », qui visait à confirmer la nationalisation de ces dettes privées et à organiser, via des mesures d’austérité (gel des salaires, diminution des dépenses publiques…), le remboursement intégral (3,9 milliards d’euros) des montants avancés par les Etats britanniques et hollandais pour indemniser leurs « citoyens lésés » par la faillite de la banque en ligne islandaise Icesave en octobre 2008[3], dont l’Etat avait garanti les dépôts.

Dans un contexte de crise sociale, mais surtout de conscientisation politique élevée, la population islandaise ne l’a pas entendu de cette oreille : des organisations ont lancé une pétition contre cette loi et, en quelques semaines, plus de 25% de l’électorat islandais l’avaient signée ! Face à cette protestation populaire, le Président fut contraint d’appliquer l’article 26 de la Constitution qui stipule qu’en cas de refus du Président de promulguer une loi, elle doit être soumise à une consultation populaire. Malgré différentes pressions et menaces (pression médiatique très forte en faveur du oui, refus de discuter de l’intégration de l’Islande dans l’Union européenne, blocage de l’aide internationale), les Islandais ont donc largement dit non à cette loi néolibérale. Mais il faut être très vigilant à ce que ce choix soit respecté. Rappelons-nous ce qui s’est passé à propos du Traité de Lisbonne : alors que les Français avaient dit Non au Traité constitutionnel européen, le gouvernement français a tout de même fait approuver le Traité de Lisbonne qui l’a remplacé en passant par la voie parlementaire, tandis qu’après un premier vote négatif en Irlande, le gouvernement irlandais a imposé un nouveau référendum afin de parvenir au Oui. On le voit, dès que le résultat initial n’est pas jugé satisfaisant, les dirigeants s’arrangent souvent pour contourner la volonté du peuple. Difficile de faire de même en Islande tant le refus est massif. Pourtant, la question n’est malheureusement pas incongrue : on parle déjà d’un vote inutile, puisque les Islandais se seraient prononcés sur une loi obsolète, une autre proposition étant déjà sur la table. Un nouveau vote sur une nouvelle proposition s’annonce-t-il ? A moins que le Président accepte cette fois de promulguer la loi… La partie n’est pas encore gagnée.

Pourtant, si le gouvernement islandais en avait la volonté, il pourrait refuser la logique néolibérale tout en garantissant la justice sociale. Toute une série de mesures concrètes et alternatives à la logique capitaliste pourraient être mises en place rapidement en vue de sauver les emplois et de faire payer le coût du sauvetage financier aux responsables : nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire, interdiction de nationaliser les dettes privées (comme le prévoit l’article 290 de la Constitution de l’Equateur), moratoire immédiat sur le remboursement de la dette, mise en place d’un audit intégral de la dette islandaise en vue de répudier toutes les dettes odieuses ou marquées d’irrégularités (tout comme l’a fait l’Equateur en 2007), impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes afin de développer des emplois publics socialement utiles et respectueux de la nature… Ces mesures sont parfaitement réalisables et tout à fait légitimes, afin que le poids de cette crise ne repose pas en bout de course sur la population islandaise qui en est la victime. Tant d’autres gouvernements dans le monde devraient d’ailleurs considérer ces mesures comme une obligation d’un point de vue international, puisque la majorité d’entre eux ont ratifié la Déclaration sur le droit au développement de 1986 qui stipule dans son article 2 : « Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. »

L’histoire nous a appris que des mesures progressistes allant à l’encontre des intérêts du grand capital ne se concrétisent que si le peuple se mobilise largement. Il est donc essentiel de soutenir le peuple islandais dans la mise en pratique de ses droits démocratiques et dans ce qui n’est sans doute que le début d’une plus longue bataille.

Notes

 [1 ] A titre d’exemple, l’Etat islandais a déboursé 600 millions d’euros pour s’adjuger 75 % du capital de Glitnir, le 29 septembre 2009, avant d’en prendre l’entier contrôle quelques jours plus tard.

[2] Cette résolution affirmait que le gouvernement consacrerait au maximum 6% de la croissance de son PIB au titre du remboursement de la dette, et que si la croissance économique n’est pas au rendez-vous, l’Islande ne paierait rien. Pour plus d’infos, lire Olivier Bonfond, « Islande – si la dette ne peut pas être payée elle ne le sera pas », http://www.cadtm.org/Islande-Si-la-dette-ne-peut-pas  

[3] Voir Jérôme Duval et Olivier Bonfond, « Les Islandais n’ont pas dit leur dernier mot »,  http://www.cadtm.org/Les-Islandais-n-ont-pas-dit-leur

Olivier Bonfond, Jérôme Duval et Damien Millet sont membres du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, http://www.cadtm.org)



Articles Par : Olivier Bonfond et Damien Millet

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