Les manœuvres maléfiques des rentiers du Golfe

L'Algérie prise au piège

«Les Français ne le savent pas, mais nous sommes en guerre contre les Etats Unis, une guerre féroce, une guerre invisible, une guerre sans morts »

 Propos attribués à François Mitterrand

 

Un royaume du mal qui répand la terreur, l’Arabie Saoudite puisqu’il faut l’appeler par son nom est en train de déstabiliser plusieurs pays rien que par la seule force maléfique de la manne pétrolière. Cette paraphrase de la fable des animaux malades de la peste est là pour donner une idée de la capacité de nuisance des potentats installés dans les temps morts mais qui par leur sacerdoce du mal risquent d’emporter les destins de pays vulnérables. On ne sait toujours pas si elle le fait sur instruction ou si c’est sa volonté délibérée. A l’instar de la diplomatie, la chute programmée  des prix du pétrole, s’apparente à « une guerre par d’autres moyens»

Le scénario saoudien

Comme l’écrit Catherine Gouëset: «Le prix du pétrole a baissé de 25% en quatre mois. Certains pays exportateurs accusent l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial, de manipuler les cours du brut. Avec l’assentiment des Etats-Unis, ou pas. Le baril de Brent est tombé à 82,60 dollars le baril, la semaine dernière, avant de remonter légèrement. Son niveau le plus faible depuis fin novembre 2010.La brusque baisse des cours du brut ces derniers mois après trois années de stabilité est-elle due aux seuls équilibres du marché? Peut-être pas. Certes, le ralentissement de l’économie mondiale, en particulier en Chine, «l’atelier du monde», contribue à freiner la demande. Certes, avec l’essor de leur production de pétrole de schiste, les Etats-Unis n’ont plus besoin d’importer l’or noir. Certes, le pétrole libyen et irakien a recommencé à couler abondamment, malgré le désordre au Moyen-Orient. Mais, le prix du pétrole qui s’est stabilisé autour de 110 dollars le baril au début de l’été a perdu 25% en l’espace de quatre mois. Il a atteint son plus bas niveau depuis 2010.

Les pays touchés

A des degrés divers, plusieurs pays vont souffrir du manque à gagner. Comme l’Opep est paralysée par les pays du Golfe qui détiennent plus de la moitié de la production (plus de 15 millions de barils/jour) elle ne se réunira pas. Ali al Naima a été clair, il va laisser filer les prix à la baisse. L’Iran, la Russie et le Venezuela premiers affectés. La monarchie saoudienne, dont la production représente un tiers de celle de l’Opep, dispose de suffisamment de réserves pour se permettre de supporter une baisse des prix pendant plusieurs mois, voire de nombreuses années. Plusieurs des pays rivaux du Royaume – ou ceux en conflit plus ou moins larvé avec les Etats-Unis – seraient en revanche durement affectés par une chute durable des cours en dessous de 90 dollars le baril. Les budgets de l’Iran, de la Russie, ou du Venezuela ont en effet été calculés sur la base d’un baril à plus de 100 dollars. Au point que plusieurs observateurs voient dans la position saoudienne une action concertée avec la Maison-Blanche pour les affaiblir. «Cette baisse des prix sert les intérêts stratégiques des États-Unis et de l’Arabie Saoudite», assure Thomas Friedman dans le New York Times L’éditorialiste subodore dans cette politique une «guerre par d’autres moyens» à l’encontre de Moscou et de Téhéran. Les recettes d’exportation de pétrole représentent environ 60% des recettes publiques de l’Iran et plus de la moitié de celles de la Russie. (1)

Les accusations de Moscou…

La Pravda avait d’ailleurs anticipé cette baisse, en pleine crise ukrainienne au printemps dernier: «Obama veut que l’Arabie Saoudite détruise l’économie russe», titrait le journal au mois d’avril, s’appuyant sur le passé pour justifier sa lecture des événements. L’action conjointe de l’Arabie Saoudite et des Etats-Unis dans les années 1980 serait même à l’origine de la fin de l’Urss: «En 1985, le Royaume a quintuplé sa production, de 2 à 10 millions de barils par jour, et provoqué une chute du prix du baril de 32 à 10 dollars. Acculé, Moscou a augmenté ses exportations, accélérant la dégringolade du baril jusqu’à 6 dollars. L’Arabie Saoudite a compensé la perte en multipliant sa production par cinq. Mais l’économie russe n’y a pas résisté et s’est effondrée.»

Pénalisé par les sanctions occidentales liées à son programme nucléaire, l’Iran dénonce également la politique de Riyadh, qui «tout en prétendant diriger l’Opep, agit pour les intérêts du G20», selon les termes de l’ancien ministre du Pétrole Masoud Mirkazemi. Même suspicion au Venezuela, dont l’économie est en difficulté: «La baisse des cours n’est pas liée aux fondamentaux du marché mais à une manipulation destinée à nuire aux économies des principaux pays producteurs de pétrole», a déclaré le ministre des Affaires étrangères Rafael Ramirez. L’Arabie Saoudite profite aussi de l’occasion pour faire pression sur les Etats-Unis, où la rentabilité de l’exploitation du pétrole de schiste sera mise à mal en dessous du seuil de 90 dollars le baril, selon plusieurs observateurs. Une façon de faire payer l’inquiétude qu’inspirent au royaume les négociations sur le nucléaire entre la Maison-Blanche et la République islamique. et sa hantise d’un rabibochage entre les deux ennemis de 35 ans. (1)

La Russie tente-t-elle de faire plonger les marchés financiers américains?

Dans cette guerre par d’autres moyens que la confrontation, on accuse la Russie probablement de concert avec la Chine, de riposter aux sanctions et à la manipulation du prix du pétrole en essayant de perturber les marchés monétaires anglo-sionistes et de faire plonger les marchés boursiers américains. Si la stratégie fonctionne, le déclin économique aux USA et en Europe sera semblable à celui qui a suivi l’effondrement du marché immobilier américain en 2008. (…) Si la volatilité persiste, en particulier sur les marchés boursiers américains, elle risque fort d’entraîner un krach majeur lorsque les investisseurs institutionnels se débarrasseront de leurs actions, ce qui entraînera un exode de la population en général quand la peur et la panique s’installeront.(2)

La chute anormale des prix du pétrole ne peut s’expliquer uniquement par le marasme économique mondial et la faible demande. Une publication parue le 15 octobre a attiré mon attention. Il est question là aussi d’une manoeuvre de l’Arabie Saoudite pour faire plier les Etats-Unis en rendant le pétrole de schiste non rentable si le prix du baril chute.
Nous lisons: «Les Saoudiens font chuter le prix du pétrole pour augmenter leur influence sur la politique des États-Unis au Moyen-Orient (..) Le Royaume saoudien, est prêt à accepter des prix du pétrole en dessous de 90 $ le baril, et peut-être de descendre jusqu’à 80 $, pendant un ou deux ans, selon les personnes qui ont été mises au courant de conversations récentes. De facto, le chef de file de l’Opep a la «puissance de feu financière «pour supporter des prix aussi bas que 70 $ pendant deux ans sans éprouver de difficultés économiques, selon Energy Aspects Ltd, un consultant à Londres. Cette stratégie permettra aux dictateurs du Golfe non seulement de conserver leur part de marché, mais les Saoudiens et d’autres vont utiliser cette stratégie pour ralentir, voire arrêter, les ouvertures américaines vers l’Iran et faire pression sur les États-Unis pour permettre un changement de régime en Syrie «(3).

Jusqu’où le pétrole peut-il baisser?

Selon la presse chinoise, l’administration américaine et les Saoudiens comptent réduire les cours pétroliers jusqu’à 50-60 dollars le baril pour faire pression sur la Russie et l’Iran, écrit lundi 20 octobre le quotidien Nezavissimaïa gazeta. Le président russe Vladimir Poutine pense que le baril ne sera pas inférieur à 80 dollars. Alors que les experts indépendants s’abstiennent de prédire la profondeur de la chute des tarifs pétroliers.(4)

Un ancien haut fonctionnaire de la Maison-Blanche a noté que même une baisse de cours jusqu’à 80 dollars le baril ne provoquerait que des pertes mineures pour l’Arabie Saoudite. Et si le tarif du pétrole brut aux USA tombait jusqu’à 85 dollars, les compagnies américaines qui produisent également de l’huile de schiste pourront quand même faire du bénéfice. Le quotidien chinois Renmin Ribao rappelle que la moitié des revenus de la Russie proviennent des ventes d’hydrocarbures, et si le prix du baril chutait réellement jusqu’à 60 dollars le baril, l’économie russe se retrouverait dans une position difficile.(4)

Les conséquences de la baisse du pétrole sont majoritairement positives pour l’Europe. Le prix de l’énergie baissant, les coûts de production en Europe vont baisser. En théorie, la chute des cours devraient bénéficier au consommateur européen. 80$ représentent le seuil en deçà duquel le pétrole de schiste n’est plus rentable. Les USA n’y ont pas intérêt. 80$ sont déjà en dessous du seuil a minima des business plans des compagnies pétrolières (88$ pour Total).

Tirer les prix du pétrole vers le bas pourrait se retourner contre l’Arabie Saoudite Selon une interview de Pepe Escobar, réalisée par Russia today,: «Bien des gens sont affectés. Il y a plus ou moins vingt pays qui ont besoin du pétrole pour boucler au moins 50% de leur budget. L’Opep n’est pas une organisation moraliste. La façon d’agir de l’Arabie Saoudite soulève bien des interrogations. En fait, sa stratégie est malhabile. Elle veut aussi plus ou moins contraindre le gaz de schiste produit aux USA à sortir du marché et aussi forcer la main de l’Iran vis-à-vis de ce qui se passe au Moyen-Orient, le fameux antagonisme irano-saoudien. Mais cela ne fonctionnera pas à long terme, car même l’Arabie Saoudite aura des problèmes, si le prix du baril de pétrole, oscille entre 70 $ et 80 $ au premier trimestre de 2015, comme prévu. Elle sera donc en difficulté aussi, et sa stratégie va finir par se retourner contre elle à long terme. (…) Lorsqu’on consulte le plus récent tableau, dressé à partir d’indices provenant de sources comme The Economist, le Wall Street Journal, Bloomberg et Reuters, ce prix est de 120 $ le baril pour le Venezuela et l’Équateur, qui vont se retrouver dans un sale pétrin. Dans le cas de l’Irak, ce prix oscille entre 106 $ et 116 $, ce qui met aussi ce pays dans le pétrin. D’après les indices publiés, le seuil de rentabilité de l’Iran varierait de 130 $ à 140 $ le baril. C’est trop, car le pétrole ne compte que pour 20% des revenus de l’Iran et n’est donc pas un élément essentiel.»(5)

«Quant à la Russie, nous savons qu’elle pourrait être affectée, car son budget de l’année 2015 prévoit un prix autour de 100 $ le baril. Ainsi, selon les meilleures projections dont nous disposons, si le prix du baril de pétrole oscille entre 70 $ et 80 $ et même entre 65 $ et 70 $ au cours des prochaines années, tous ces pays vont souffrir. Il faut donc s’attendre à des contre-mesures par de nombreux membres de l’OPEP.» (5)

Cependant, parmi les pays touchés il faut savoir que la Russie souffrira moins du fait qu’elle a d’immenses réserves, de plus, elle est tournée vers le marché asiatique et le deal avec la Chine: un accord intergouvernemental, indispensable pour que la Russie puisse livrer pour la première fois du gaz à la Chine par gazoduc. Ce mégacontrat est estimé à 400 milliards de dollars sur 30 ans et prévoit des livraisons de 38 milliards de mètres cubes par an à partir de 2018, via le gazoduc «Force de Sibérie» Il s’agit également d’accords sur le renforcement de la coopération entre le géant gazier russe Gazprom, le numéro un du pétrole russe Rosneft et le groupe chinois Cnpc.(5)

Le cas de l’Algérie

Parmi les plus touchés ce sera l’Algérie qui souffrira le plus parce que le pétrole couvre 98% de nos importations. On ne retient pas assez les leçons de l’Histoire. Souvenons-nous les manoeuvres maléfiques de l’Arabie Saoudite qui n’ont pas seulement détruit l’empire soviétique mais elles nous ont emmené en 1988; la stratégie actuelle de ce pays aura aussi comme répercussion de ruiner des petits pays producteurs comme l’Algérie. On se souvient qu’en 1986 la même Arabie Saoudite a voulu rivaliser en inondant le marché avec Margareth Teatcher et les gisements de la mer du Nord. Résultat des courses: le prix du pétrole a chuté à 9 dollars, l’Algérie a commencé à s’endetter pour nourrir sa population puis ce fut octobre 1988.. Souvenons-nous aussi que le roi Fayçal informé par Boumediene des répercussions négatives d’une décision de l’Opep eut cette réponse digne: «Si cette mesure peut nuire à l’Algérie je ne la prendrai pas». Le monde a changé depuis 1978.

L’Algérie est donc un cas unique! Depuis trente ans on parle de la nécessité de sortir de la dépendance du pétrole! et depuis trente ans on accélère notre dépendance à l’éphémère stérilisant toute création de richesse endogène au profit du container et de la paix sociale qui nous permet de vivre de sursis en sursis, alors que la maison brûle et nous continuons de regarder ailleurs. Une comparaison du prix de l’essence dans le monde nous montre l’étendue du bradage des carburants en Algérie. En Irak pays pétrolier l’essence est vendue à 0,59 euro/litre En France – 1,50 euro/litre, en Norvège pays pétrolier mais qui a le souci des générations futures au point de créer un Fonds de réserve de 200.milliards de dollars, l’essence est à 1,61 euro/litre sept fois plus cher qu’en Algérie (0,24 euro/l. Pour Les pays frontaliers on trouve la Tunisie – 0,71 euro/litre, le Niger – 0,81 euro/litre; la Mauritanie – 0,88 euro/litre; le Maroc – 0,93 euro/litre, et le Mali-1,08 euro/litre. Il vient que l’essence algérienne est l’une des moins chères au monde, exception faite du Venezuela et de l’Arabie Saoudite deux producteurs qui disposent de réserves 10 et 20 fois plus importantes que celles de l’Algérie.

Comparativement avec les pays frontaliers, l’essence algérienne est vendue de trois fois (Tunisie) à cinq fois plus importante (Mali) en passant par le Maroc où elle est plus de quatre fois plus chère. Ce qui explique les hémorragies aux frontières. Le différentiel est encore plus important s’agissant du gasoil et les ratios sont de 1 à 7.

Devons-nous continuer à brader cette ressource? Pour parer à cette baisse de plus en plus imprévisible des prix du pétrole, nous ne pouvons pas continuer à nous tenir le ventre chaque fois que les Saoudiens font de la «boulitique » sur le dos des faibles. Réduisons immédiatement le train de vie de l’Etat en faisant une réduction qui est à notre portée de 10% du budget. Chaque département ministériel devra se mettre au travail pour proposer dans les meilleurs délais un plan d’urgence pour faire mieux avec moins de ressources. Mettons en place le plus tôt possible une stratégie et expliquons aux jeunes les vrais enjeux au lieu de les bercer avec des maisons de jeunes pur produit de l’idéologie du parti unique que l’on continue à ressasser sans imagination en traversant le siècle. Il nous faut plus que jamais un cap et une stratégie multidimensionnelle où chacun sera jugé à l’aune de sa valeur ajoutée et non comme c’est le cas actuellement, il faut le regretter; de sa capacité de nuisance.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Nationale Polytechnique

Notes

1.Catherine Gouëset, http://www.lexpress. fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/la-chute-du-prix-du-petrole-la-guerre-par-d-autres-moyens_1613597.html#SAD8voYxSTBoDi2C.99

2. Is Russia Trying To Crash The American Stock Market? (vineyardsaker, anglais, 18-10-2014)

3.http://reseauinternational.net/les-saoudiens-font-chuter-prix-du-petrole-augmenter-influence-politique-etats-unis-au-moyen-orient/

4. Pétrole: Riyad et Washington suspectés de complot contre la Russie RIA Novosti 20/10/14

 

Article de référence :

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/204254-l-algerie-prise-au-piege.html

 

 



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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