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Les mégaprojets du 21ième siècle: l’expression extrême du capitalisme industriel mondialisé
Par Prof. Jules Dufour
Mondialisation.ca, 26 février 2015

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https://www.mondialisation.ca/les-megaprojets-du-21ieme-siecle-lexpression-extreme-du-capitalisme-industriel-mondialise/5433581

Photo: Image satellite du détroit de Béring. En 2011, Le gouvernement Russe donnait son accord pour relier les États-Unis à la Russie via la construction d’un tunnel sous-marin d’une longueur de 105 km sous le détroit de Béring.

Le XXème siècle a connu ses projets qualifiés de grandioses, le tunnel sous la Manche, le Pont de la Confédération, L’Empire State Building, le complexe La Grande, le barrage des Trois Gorges, le Golden Gate Bridge et les Tours Petronas pour ne citer que ceux-là. Des méga-projets qui sont devenus les repères parmi les plus connus de la planète. Des projets tout aussi impressionnants sont restés sur la table à dessin et, notamment, celui du Grand Canal de la Baie James et celui de la digue devant relier Terre-Neuve et le Labrador.

Plusieurs mégaprojets ont suscité beaucoup d’inquiétudes au moment de leur mise en place et ont fait l’objet d’interventions multiples au moment du suivi donné aux impacts sur l’environnement. Des populations nombreuses ont été déplacées et d’autres ont subi des préjudices irréparables pendant de longues périodes (wikipedia.org).

En ce début du 21ème siècle, des projets gigantesques et de portée continentale sont à l’ordre du jour. Parmi eux, des barrages hydroélectriques, des tunnels et des canaux. Pour les fins de cette analyse nous avons sélectionné quatre d’entre eux à cause de leur signification mondiale. Le barrage du Grand Inga sur le fleuve Congo en République démocratique du Congo susceptible d’avoir une portée sur l’ensemble du continent africain, le canal interocéanique du Nicaragua qui pourrait changer la donne géopolitique de l’Amérique latine, le tunnel sous le Détroit de Béring entre la Sibérie et l’Alaska pouvant éventuellement assurer une liaison ferroviaire entre les cinq continents et le barrage Don Sohong sur le Mékong qui implique quatre pays de l’Asie du Sud-Est.

Ces projets sont à différents stades de développement au niveau des études de faisabilité et d’impact environnemental. Nous donnerons un bref aperçu de ces projets et de leurs conséquences sur l’environnement et sur les populations affectées. Enfin, nous tenterons de dégager, en conclusion, les grands enjeux entourant ces projets dans le cadre de la géopolitique mondiale et, notamment, concernant la signification de la mise en place de ces projets par les grandes puissances économiques, le tout pouvant être considéré comme une nouvelle forme de colonialisme poussée à l’extrême.

I.  Le barrage hydroélectrique Grand Inga (République démocratique du Congo). De l’énergie hydroélectrique pour l’Afrique australe

La vallée d’Inga est située dans le grand bassin du fleuve Congo à 250  km à l’ouest de Kinshasa. Il s’agit du site dont le potentiel hydroélectrique est le plus élevé en Afrique (figure 1).

Figure 1. Localisation du complexe hydroélectrique Inga

 

Source: http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/16308-rd-congo-a-qui-profitera-le-barrage-dingan3-.html

Les centrales des barrages Inga I et II qui ont été construites en 1971 et 1982 desservent Kinshasa et l’ouest de la RDC en électricité et constitue une source considérable de revenus grâce à l’exportation des surplus (figure 2). Le fleuve Congo se jette dans la vallée sur une distance de 15 km avec un dénivelé de plus de 102 mètres. Le débit total est de 30,000m3/seconde pendant la saison sèche de juin à septembre et atteint jusqu’à 55,000m3/seconde au plus fort de la saison humide en novembre. Deux projets de déviation du fleuve pour la production d’électricité, Inga I et Inga II, prélèvent une part du débit du courant principal en le déviant sur 9 km pour le faire passer par les barrages. L’eau rejoint ensuite le courant principal après avoir activé les turbines (Figure 2).

Figure 2: Le barrage d’Inga

source : m3m.be/blog/rde-ingérence-vous-avez-dit-ingérence

Le redéploiement du complexe a été amorçé avec la NEPA (Nigeria) et Westcor, consortium emmené par Eskom (Afrique du Sud). Westcor projette la construction d’une centrale Inga III (4,5 GW). Avec une telle capacité, le complexe Inga I, II, III aurait une puissance totale installée de plus de 5,2 GW ce qui permettrait, en théorie, d’alimenter en électricité toute l’Afrique australe.

Des projections prévoient que la puissance produite sur ce site atteindrait 39 GW, grâce à la réalisation du projet Grand Inga. À titre de comparaison, le barrage des Trois Gorges en Chine d’une puissance installée de 18,2 GW produit 84,7 TWh par an depuis 2009 (wikipedia.org).

Selon le PNUE-RDC, « en résumé, Inga I et II sont dans l’ensemble considérés comme deux exemples très positifs de production d’énergie propre. L’impact potentiel d’Inga III sera largement lié aux travaux d’aménagements nécessaires pour les lignes de transmission ».

Ces projets sont de faible puissance si on les compare au projet du Grand Inga (figure 3). Ce projet d’échelle globale entraînerait la dérivation totale du cours du fleuve Congo dans une vallée avoisinante, avec un barrage de 205 m comportant 52 turbines pour une production maximale de 39 000 MW. Une telle quantité d’énergie serait suffisante pour alimenter la majeure partie de l’Afrique Centrale et l’Afrique du Sud (figure 4). Les surplus seraient en théorie acheminés vers l’Afrique du Nord et l’Europe. Ce projet fait face à une myriade de défis politiques, techniques et financiers, de ce fait, il ne se concrétiserait pas avant la prochaine décennie (figure 3) (wikipedia.org).

Figure 3. Visualisation du barrage Grand Inga

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Barrage_Grand_Inga

Figure 4 : Lignes à hautes tensions en projet

Source : economie.jeuneafrique.com

Selon le ministre des Ressources hydrauliques et électricité de la RDC, Bruno Kapandji Kalala, la réalisation du projet Inga 3 devient un impératif absolu pour le développement économique de la RDC. La réalisation de la Centrale hydroélectrique d’Inga 3, avec une puissance installée de 4 800 mégawatts, en première phase, devient l’une des conditions d’intégration régionale et de la création du marché commun de l’Afrique…

Selon le ministre, « nous avons pour le projet trois candidats développeurs pré qualifiés, à savoir Acs-Eurofinsa Aee (Espagnol), Gtpc-Cwe Sinohydro (Chinois) et le groupe canado-coréen Snc Lavalin-PoscoDaewo. Selon le ministre, les résultats des études de faisabilité du développement du site d’Inga réalisées par le groupement Aecom-Edf sur un financement de la Banque africaine de développement (Bad) présentés en septembre 2013 lèvent l’option de développer le Grand Inga en mode de partenariat public-privé, de développer le site progressivement en sept phases partant d’Inga 3 à Inga 8 et de construire Inga 3 basse chute de 4 800 MW, avec un canal d’amenée de 12 km ».

Il s’agit aussi, selon lui, « de la signature du traité sur le Grand Inga entre la RDC et la République Sud-Africaine (RSA) pour développer ensemble le site avec l’option d’achat de 2500 MW d’Inga 3, basse chute par la RSA » (digitalcongo.net).

Selon le PNUE, « les barrages proposés constitueraient une barrière permanente et insurmontable pour les poissons migrants : de fait l’écosystème du fleuve Congo serait divisé en deux parties. Cela aurait des impacts multiples, dont une diminution générale de biodiversité. L’inclusion d’échelle à poissons pour les poissons en montaison serait la mesure de prévention évidente, toutefois de telles additions doivent d’abord être évaluées pour déterminer leur faisabilité » (postconflict.unep.ch).

Le PNUE-RDC recommande que des études d’impacts soient réalisées et, en particulier, les suivantes:

1)Une évaluation d’impacts environnementaux et sociaux, et un plan de gestion;

2)Les sponsors du projet Inga III mais aussi du concept Grand Inga devraient cofinancer les efforts de recherche pour l’établissement d’une base de données de référence sur le site d’Inga. L’étude devrait inclure au minimum les deux sujets suivants :

– La migration des poissons et autres espèces qui parcourent la vallée de l’Inga, et les interconnections entre les écosystèmes en amont et en aval du fleuve.

– Études portant sur les flux de sédiments et de nutriments qui informeront l’analyse d’impact du barrage et de la déviation partielle ou totale de ces flux.

3)Les sponsors du concept Grand Inga devraient initier une Évaluation Stratégique Sociale et Environnementale…Cette évaluation devrait inclure des questions environnementales telles que le barrage lui-même, les impacts en aval et en amont du barrage en étendant l’étude à l’embouchure et au-delà, le tracé des lignes de transmission, et les questions sociales comme l’impact sur la migration, l’emploi et le développement qui dépendent des options de distribution d’énergie (postconflict.unep.ch).

II. Le canal interocéanique du Nicaragua

Le 22 décembre dernier, Le Président du Nicaragua, Daniel Ortega, « a lancé en grande pompe le chantier du canal permettant de relier l’océan Pacifique avec la mer des Caraïbes (figure 5).

Figure 5. Localisation du canal interocéanique du Nicaragua

source: http://www.seanews.com.tr/article/worldship/141123/Nicaragua-canal/

Ce canal interocéanique traversera le Nicaragua entre Brito sur la côte de l’océan Pacifique et l’embouchure de la Punta Gorda sur la côte de la Mer des Caraïbes.  Cet ouvrage aura une longueur de 278 km dont 105 km correspondant au lac Nicaragua (figure 6).

Figure 6. Le tracé du canal interocéanique du Nicaragua

Source : http://nicaraguaymasespanol.blogspot.ca/2014/11/nicaragua-listos-los-estudios-de.html

« Le 14 juin 2013, l’Assemblée Nationale du Nicaragua a approuvé la proposition chinoise, émise par le consortium chinois HKDN Nicaragua Canal Development…Cette loi donne une concession pour une durée renouvelable de cinquante ans au consortium chinois pour la construction, le développement et la gestion du canal. Les coûts estimés sont de 50 milliards de dollars, ou 41 milliards d’euros. La construction commence le 22 décembre 2014 et devrait se terminer en 2019 pour une ouverture prévue en 2020…Le projet devrait d’ailleurs comprendre à la fois un canal maritime reliant l’Atlantique au Pacifique, mais également un axe ferroviaire ».

Les dimensions de l’ouvrage sont très impressionnantes. Sa longueur de près de 300 km dépasse largement celles des canaux de Panama et de Suez avec 80 et 195 respectivement (figure 7) (wikipedia.org).

Figure 7. Comparaison entre le canal de Nicaragua tel que proposé et les canaux de Panama et de Suez

 

Source : http://www.oilamerica.com.pa/en/news/2013-08-14.html

La résistance

Le projet suscite l’opposition d’organisations écologistes et scientifiques. Selon Jorge Huete-Pérez, président de l’Académie des Sciences du Nicaragua il y a un risque de pollution du lac Nicaragua qui constitue une importante réserve d’eau douce pour la biodiversité et pour la population locale qui boit l’eau du lac et s’en sert pour irriguer les terres agricoles (Projet_de_canal_du_Nicaragua).

Selon Frédéric Saliba, « les habitants d’El Tule et de Rivas, communes du sud du Nicaragua…se sont affrontés par centaines aux forces de l’ordre pour s’opposer au lancement des travaux du « grand canal interocéanique » entre le Pacifique et la mer des Caraïbes. Ce projet pharaonique, censé concurrencer le canal de Panama, menace la plus grande réserve d’eau douce d’Amérique centrale, la forêt tropicale et les populations vivant sur le tracé du chantier » (lemonde.fr).

Dans un article bien documenté Thomas Leroy expose les inquiétudes soulevées par le projet chez ceux qui ont à cœur la conservation de la biodiversité. Il rapporte lui aussi  les actions de Huete-Pérez, qui « dénonce les études d’impacts environnementaux et de faisabilité que le gouvernement ne mène pas lui-même mais laisse aux soins de l’entreprise chinoise et de ses sous-traitants. Celui-ci s’exprime ainsi : « Nous demandons deux choses », écrit-il conjointement avec le scientifique autrichien Axel Meyer, dans Nature, « qu’une étude d’impacts environnementaux et de faisabilité indépendante soit menée et que celle-ci soit suspensive, s’il s’avère qu’il y a plus à perdre qu’à gagner pour les ressources naturelles, les communautés indigènes et la biodiversité de la région » (equaltimes.org).

Le Nicaragua est un pays accablé par la pauvreté. Un projet comme celui du Grand Canal pourrait s’avérer un atout pour le développement économique si le gouvernement s’assure que les retombées se fassent dans tous les secteurs de la société et si les populations déplacées reçoivent de justes compensations. Autrement, le projet exercera un impact négatif majeur sur tout le tissu national. Selon André Maltais reprenant les propos du directeur du Centre de recherche en ressources aquatiques du Nicaragua, Salvador Montenegro Guillen, « le danger environnemental est bien réel. Une œuvre de l’envergure du canal, dit-il, peut affecter 4000 km carrés de forêts, côtes et milieux humides. Ces espaces sont pour la plupart des réserves protégées comme celle d’Indio Maiz ou de l’île Ometepe, déclarée réserve de biosphère par l’Unesco » (Le grand canal interocéanique du Nicaragua: une œuvre pharaonique dirigée par un consortium chinois).

Le Grand Canal exercera des changements significatifs dans la conjoncture géopolitique de l’Amérique latine. La participation directe de la Chine dans la réalisation du projet et sa présence accrue dans plusieurs secteurs économiques inquiètent au plus haut point Washington qui appliquera sans nul doute une stratégie visant à créer des embûches de façon indirecte et ce de manière à conserver la suprématie qu’il exerce sur l’ensemble du sous-continent ayant conservé dans les faits le contrôle du canal de Panama (voir la vidéo).

En tant que membre de l’ALBA le Nicaragua, eu égard aux principes révolutionnaires qui ont présidé à  la création de l’Alliance, devrait, dans toutes les phases de la construction de l’ouvrage, se montrer transparent et développer, sur tous les plans, une attitude foncièrement démocratique. L’opposition des paysans qui devront quitter leurs terres continuera de s’exprimer à l’instar des protestations faites en 2014 : « « Chinos fuera » de Nicaragua, demandaron cientos de campesinos y propietarios de tierras del sur del país que protestaron en medio de choques con la policía, contra los planes de construcción de un canal interoceánico que los desplazará de sus tierras » (estrategiaynegocios.net). La répression de l’opposition répond aux impératifs du grand capital.

III. Un tunnel sous le détroit de Béring entre la Sibérie et l’Alaska : « Le projet du siècle » (figure 8)

En 2011, Le gouvernement Russe donnait son accord pour relier les États-Unis à la Russie via la construction d’un tunnel sous-marin d’une longueur de 105 km sous le détroit de Béring. Ce tunnel deviendrait alors le plus long tunnel sous-marin du monde, puisque la longueur du tunnel reliant l’Angleterre et la France n’est que de 50,5 km (dont 37 km sous le fond marin).

Figure 8. Le projet de tunnel sous le Détroit de Béring

 

Ce projet pharaonique devrait coûter 65 milliards de dollars (dont 10-12 Mds$ pour la construction du tunnel), financés à la fois par des fonds publics et des fonds privés, et son exploitation pourrait rapporter 11 milliards de dollars par an. Outre les trains de marchandises, dont le transit est estimé à 100 millions de tonnes de fret par an via ce tunnel, cette liaison entre la péninsule Tchouktche et l’Alaska devrait fournir une importante infrastructure d’échange entre les deux continents (figure 9).

Figure 9. Le tracé du tunnel entre la Sibérie et l’Alaska

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tunnel_sous_le_d%C3%A9troit_de_B%C3%A9ring

Figure 10. Liaison ferroviaire entre New York et Paris

Source : voanews.com

 

IV.  Le barrage hydroélectrique Don Sahong (figure 11)

Ce projet a pris naissance en 2006 lorsque le gouvernement du Laos signa un MOU (memorandum of understanding) avec la Compagnie malaysienne de génie et de construction Mega First Corporation Berhad pour la réalisation d’une étude de faisabilité.

Le barrage Don Sahong se présente comme étant un ouvrage au fil de l’eau localisé en aval du canal Hou Sahong et entre les îles Don Sahong et Don Sadam. La hauteur du barrage se situera entre 30 et 32 mètres. Il aura une capacité de 260 MG. La plus grande partie de l’électricité produite sera exportée en Thaïlande et au Cambodge. Les principaux promoteurs sont la Mega First Corporation Berhad, une compagnie malaysienne qui est la propriété de la Compagnie d’électricité Don Sahong incorporée dans les Iles Vierges britanniques.

Selon les promoteurs le projet n’aura pas d’impact significatif sur le milieu. Cependant, les gouvernements du Cambodge et du Vietnam et beaucoup d’ONGs ont exprimé des craintes concernant certaines répercussions  sur l’environnement et, notamment, sur les pêches. Plusieurs experts indépendants concluent que le barrage exercera un impact sérieux sur la migration des poissons durant la saison sèche et sur le canal de migration tout au long de l’année .

Figure 11: Localisation du barrage hydroélectrique Don Sahong

  

Source : http://www.interbering.com/

Figure 12. Vue du cours du Mékong affecté par le barrage Don Sahong

Source : http://www.aecom.com/Where+We+Are/Asia/Energy/_carousel/Don+Sahong+Hydropower+Scheme,+Lao+PDR

Figure 13. Vue des îles fluviale du Mékong et indication du site du barrage Don Sahong

Source : http://www.asienreisender.de/tips_dam.html

Une vive préoccupation internationale

Nous donnons ici, à titre d’exemple, un aperçu du message lancé par l’organisation « Sauvons la forêt » sur les médias sociaux en vue d’informer le public sur les conséquences environnementales du projet et de demander son appui :

Vive le Mékong ! Non au barrage Don Sahong

« Alerte dans le bassin du Mékong ! Un projet de barrage hydroélectrique menace l’écosystème du plus important fleuve d’Asie du Sud-Est et les moyens de subsistance de millions d’habitants au Cambodge, au Laos, en Thaïlande et au Vietnam. Mobilisons-nous pour la préservation des richesses naturelles du Mékong ! ».

« Le Mékong est l’artère fluviale vitale de tous les cours d’eau d’Asie du Sud-Est. L’existence des habitants de cette région lui est intimement liée : le fleuve leur fournit des moyens de subsistance, des revenus, mais aussi une identité issue d’une riche histoire. Aujourd’hui, l’avenir du fleuve et de ses riverains est menacé par un projet du gouvernement du Laos : le barrage Don Sahong ».

« Don Sahong serait le second barrage hydroélectrique édifié sur le cours inférieur du Mékong. Projeté sur le canal Sahong Hou, il entraverait les déplacements des poissons grands migrateurs, ce qui aurait de graves conséquences pour la sécurité alimentaire de millions de personnes dans le bassin du Mékong ».

« Le territoire dans lequel est projeté le barrage est exceptionnel en plusieurs points : il abrite les emblématiques chutes de Khone (Khon Phapheng), il offre un habitat à des populations de dauphin de l’Irrawaddy (dont l’espèce est en danger critique d’extinction), il jouxte une zone humide protégée par la Convention internationale de Ramsar dans le Cambodge voisin ».

« La construction du barrage Don Sahong sera décidée fin janvier 2015 lors d’une réunion des gouvernements du Laos, du Cambodge, de la Thaïlande et du Vietnam ».

« Appelons les dirigeants des quatre pays riverains du Mékong à ne pas autoriser le projet du barrage Don Sahong. Encourageons-les plutôt à promouvoir des sources d’énergie soutenables pour la nature et pour les habitants du Mékong ! ».

Voici le libellé de la lettre adressée aux Premiers Ministres des gouvernements des pays concernés (près de 100 000 signatures le 23 février 2015) :

Monsieur le Premier Ministre,

Nous souhaitons vous exprimer notre profonde préoccupation concernant le projet de barrage Don Sahong dans le sud du Laos et sur l’avenir des habitants du bassin du Mékong.

Le Mékong est un fleuve d’importance mondiale qui, à l’image de l’Amazone, abrite une biodiversité unique. Il est aussi le territoire où la pêche en eau douce est la plus importante et la plus productive au monde. Le fleuve est pour toute la région une artère et une ressource vitale.

La construction du barrage hydroélectrique de Don Sahong bloquerait le canal de Hou Sahong, un cours d’eau essentiel pour la migration des poissons tout au long de l’année. La réalisation de ce projet aurait des effets désastreux pour les pêcheries continentales et par conséquent pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de millions d’individus.

Les mesures proposées pour atténuer les impacts environnementaux du barrage n’ont jamais été testées dans la région du Mékong. Les experts locaux doutent de leur efficacité et craignent que celles-ci ne soient pas suffisantes pour continuer à assurer la migration des poissons.

Le barrage aurait aussi des conséquences néfastes pour le dauphin de l’Irrawaddy, dont l’espèce est en danger critique d’extinction, ainsi que pour une zone humide protégée par la Convention de Ramsar au Cambodge voisin.

La nature et les moyens de subsistances de millions d’individus sont des enjeux trop importants pour prendre un tel risque dans le bassin Mékong.

Nous appelons les dirigeants des quatre pays riverains du Mékong à ne pas autoriser la construction du barrage Don Sahong et à promouvoir des sources d’énergie respectueuses de l’environnement (sauvonslaforet.org).

Conclusion

Au cours du XXème siècle, de grands projets comme celui de la dérivation des eaux des fleuves Amou-Daria et Syr-Daria ont causé d’énormes catastrophes environnementales. La mise en valeur des territoires autochtones et de leurs ressources pour assurer l’essor ou le maintien du système économique dominant a causé des bouleversements majeurs dans les terres ancestrales et dans les modes de vie. Aujourd’hui le même processus se poursuit et c’est toute l’humanité qui en souffre. Ces projets gigantesques vont apporter des changements significatifs dans plusieurs régions du monde. C’est la raison pour laquelle les grandes puissances veulent toutes être de la partie. Elles veulent participer à ces projets à cause du prestige qu’elles peuvent en retirer et à cause de l’importance primordiale pour elles d’avoir accès et de contrôler les territoires dotés en ressources stratégiques. Aux intervenants étasuniens et européens s’ajoute maintenant la Chine qui a pris en charge la construction du Grand canal du Nicaragua et a exprimé l’intention de financer et de réaliser, notamment, le tunnel de Béring (citizenpost.fr) et les grands barrages présentés dans cet article.

Tous ces projets ont des traits en commun qu’il importe de relever à la fin de cette revue. Ils exercent de très grands préjudices dans les sociétés affectées même si les promoteurs ne cessent de louanger les bienfaits qu’ils apportent à l’économie nationale et même aux communautés locales. Les territoires subissent des impacts majeurs en causant des tords souvent irréparables aux écosystèmes. Ils se déroulent sur une longue durée et demandent des ressources financières et humaines considérables.

Les processus de décision sont similaires. Les promoteurs font leur lobby auprès des décideurs politiques pour obtenir leur appui au moment de présenter les résultats de l’étude de faisabilité. Des séances d’information sont présentées, mais le feu vert est déjà donné par les autorités responsables et ce au plus haut niveau. On peut constater ensuite que les études d’impact environnemental se font attendre. À l’intérieur de ce processus de décision la participation de la société civile est faible. La résistance est là, mais elle a très peu de moyens pour faire valoir ses réticences ou tout simplement protester. Les forces de l’ordre veillent à réprimer sur le terrain les mouvements d’opposition ou les manifestations comme on a pu le constater au Nicaragua.

C’est ainsi que la souveraineté des États s’étiole et que les grandes infrastructures appartiennent désormais aux pouvoirs financiers à l’instar des biens fonciers des pays pauvres accaparés par des intérêts  étrangers.

Au début du troisième Millénaire, les États-Unis et la Russie développaient, toujours avec circonspection, une certaine collaboration et, notamment, dans la réalisation de grands projets tels que celui du canal de Béring. L’enthousiasme régnait dans les deux pays pour cet ouvrage mais surtout en Russie comme l’illustre une carte de Victor Razbegin intitulée : « Par chemin de fer, de New York à Moscou et à Londres ! Il ne reste qu’un écart de 10 000 kilomètres pour remplir cette vision d’une liaison ferroviaire du Trans-Béring » (figure 10). Un comité US-Russie de haut niveau avait été mis sur pied par les Présidents Clinton et Yelstine afin de travailler au développement de liaisons accrues entre les deux pays. La Russie manifestait alors beaucoup d’enthousiasme en voyant se concrétiser un jour le désenclavement de son espace oriental.

Dans le contexte géopolitique mondial actuel où se dessine un véritable refroidissement entre l’Occident et la Russie le « projet du siècle » que représente le tunnel sous le Détroit de Béring devant relier la Russie et l’Amérique du Nord sera sans doute reporté sine die à moins que la Chine remette de nouveau le projet sur les rails.

 Jules Dufour

Pour Mondialisation.ca

 

Jules Dufour : Géographe, Ph. D., professeur émérite, Membre du COFEX-Nord. Projet d’aménagement hydroélectrique de Grande Baleine (1992-1994), Expert. Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Projet d’aménagement hydroélectrique de la rivière Sainte-Marguerite (1993), Commissaire. Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Projet de la dérivation des eaux de la rivière Manouane (2001)

 

 

Références

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Dan Sahong

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Vidéos

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ACTUALIDAD.RT.COM. EE UU está detrás de la oposición costarricense al canal en Nicaragua. Le 8 août 2013. En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=XKxcQPI-qXU

VIMEO. Dan Sahong Animation. En ligne : https://vimeo.com/8845078

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