Les sanctions des États-Unis et de l’UE contre la Russie : une menace de guerre à peine voilée

Dans son discours d’hier annonçant des sanctions contre les responsables du Kremlin en représailles au référendum soutenu par la Russie en Crimée en faveur d’une sécession d’avec l’Ukraine et d’une union avec la Russie, le président américain Barack Obama a déclaré que les États-Unis et leurs alliés de l’Union européenne auraient recours à tous les moyens nécessaires, y compris l’action militaire, pour humilier et écraser la Russie.

En initiant une guerre commerciale avec la Russie et en offrant un soutien militaire à durée indéterminée et des garanties de sécurité aux régimes droitiers qui bordent les frontières de la Russie, tels l’Ukraine, l’impérialisme américain et européen met en branle une confrontation qui pourrait facilement se terminer par un désastre. Une telle confrontation crée des risques immenses et n’a aucun soutien de la part de la classe ouvrière en Europe ou aux États-Unis.

Dans ses remarques, Obama a inversé la réalité, tentant de présenter l’intervention américano-européenne en Ukraine comme une défense non-violente et de principe du droit international contre l’agression russe. Il a dit, « Ces derniers mois, tandis que les citoyens d’Ukraine font entendre leur voix, nous avons été guidés par un principe fondamental : l’avenir de l’Ukraine doit être décidé par les gens d’Ukraine […] Et donc, la décision de la Russie d’envoyer des troupes en Crimée a entraîné à juste titre une condamnation mondiale. »

Obama a critiqué le référendum de dimanche en Crimée comme « une violation claire de la constitution ukrainienne et du droit international. » Il a ensuite annoncé : « Nous imposons des sanctions à des individus spécifiques responsables d’atteintes à la souveraineté, à l’intégrité territoriale, et au gouvernement de l’Ukraine. » Il a promis de faire passer de nouvelles sanctions pour « faire payer un prix plus élevé à l’économie russe » s’il ne se soumettait pas aux demandes de Washington.

La déclaration d’Obama est une ânerie. Ce sont Washington et Berlin qui ont conçu une provocation politique massive, armant des groupes fascistes pour prendre le pouvoir au cours d’un putsch et évincer illégalement le président Viktor Ianoukovitch. Le principal objectif de cette opération, menée en violation flagrante de la constitution et de la souveraineté ukrainiennes, et au mépris de l’opinion publique ukrainienne, était de transformer l’Ukraine en un poste avancé des puissances impérialistes, tenu par l’extrême-droite, et prêt à servir en vue d’opérations militaires et de menaces contre la Russie.

Privé de crédits par les principales banques, le régime non-élu de Kiev dépend totalement des renflouements de l’UE, des États-Unis et du FMI pour éviter la faillite. Ses plus hauts responsables de la sécurité sont des fascistes qui s’occupaient de la sécurité durant les émeutes soutenues par l’occident sur la place de l’indépendance à Kiev, à savoir le ministre de la sécurité nationale Andriy Parubiy, co-fondateur du parti d’extrême-droite Svoboda, et son second, Dmytro Yarosh, chef de la milice Secteur droit.

Ces forces ne parlent pas au nom du « peuple ukrainien, » contrairement à ce qu’affirme Obama, mais pour l’impérialisme américain, qui a dépensé plus de 5 milliards de dollars pour établir des groupes d’opposition pro-américains en Ukraine depuis la dissolution de l’URSS, d’après Victoria Nuland, responsable pour l’Europe au ministère américain des Affaires étrangères.

Ces éléments ne dissimulent aucunement leur violente hostilité envers la Russie, ni leur vénération des fascistes ukrainiens qui ont aidé les unités SS nazies à massacrer les juifs d’Ukraine au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans un entretien du 12 mars accordé à Newsweek, Yarosh a mentionné ses liens avec les terroristes islamistes tchétchènes qui combattent Moscou, et s’est vanté d’avoir brandi le drapeau noir et rouge du fascisme ukrainien. « Nous nous sommes tenus sous les drapeaux rouges et noirs tout au long de la révolution, » a-t-il déclaré. « Du sang ukrainien rouge répandu sur de la terre noire ukrainienne : ce drapeau est le symbole de la révolution nationale. »

Ces forces sont maintenant intégrées dans la nouvelle Garde nationale établie par le régime de Kiev, soutenue et bientôt armée par l’OTAN. Pendant qu’Obama prononçait son discours, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andriy Deshchytsia rencontrait de hauts responsables de l’OTAN à Bruxelles. Il a promis de renforcer la « coopération militaire technique » avec l’OTAN. D’après le quotidien belge Le Soir, « les autorités de Kiev vont bientôt présenter à l’OTAN, peut-être dès lundi, une  »liste » d’équipements qu’ils aimeraient avoir à leur disposition. »

Dénonçant « les touristes politiques russes en Ukraine orientale, » Deshchytsia a déclaré que la situation actuelle en Ukraine « ressemble fortement au scénario de Géorgie en 2008, où les provocations risquaient d’entraîner une escalade militaire. »

Cette déclaration extraordinaire est une menace d’action militaire de la part du régime de Kiev. La guerre de 2008 en Géorgie avait commencé lorsque les forces géorgiennes avaient attaqué les troupes russes qui faisaient respecter le cessez-le-feu dans la région controversée d’Ossétie du Sud. Si la confrontation actuelle ressemble à la guerre de 2008, comme le dit Deshchytsia, c’est parce que Kiev se prépare à attaquer les forces Russes ou pro-russes, soit en Crimée soit en Ukraine orientale.

Les critiques d’Obama contre la Russie qui aurait envahi la Crimée sont hypocrites et politiquement absurdes. Premièrement, il est historiquement établi que lorsque l’impérialisme américain s’est opposé à des régimes qui arrivaient au pouvoir à ses frontières, comme ce fut le cas lors de la révolution mexicaine de 1911 ou la révolution cubaine en 1959, il n’a pas hésité à organiser des attaques militaires contre eux. Il a même menacé de déclencher une guerre nucléaire, comme durant la crise des missiles à Cuba en 1962.

Dans leur propre politique étrangère, les États-Unis et leurs alliés ne reconnaissent pas la souveraineté ou l’intégrité territoriale des autres Etats comme quelque chose qu’ils doivent respecter. Même avant de formuler la doctrine de Bush autorisant la « guerre préventive, » le gouvernement américain et les médias avaient inventé une catégorie spéciale d’Etat, les soi-disant « Etats défaillants » (Somalie, Afghanistan), qui pouvaient être envahis ou bombardés à volonté.

En second lieu, l’affirmation implicite d’Obama que la Crimée ne fait pas partie de la Russie ignore l’histoire. Cette région à majorité ethnique russe faisait partie de la Russie, puis de l’URSS, depuis sa conquête par la Tsarine russe Catherine la Grande au 18e siècle jusqu’à la dissolution de l’URSS en 1991. Transférée à l’Ukraine en 1954 par le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, décision qui avait bien peu d’importance pratique jusqu’à la dissolution de l’URSS, elle continue à abriter une base navale majeure de la Russie à Sébastopol.

Le danger d’une invasion de la Crimée ne vient pas de Moscou, mais des forces d’extrême-droite à Kiev. Ces paramilitaires fascistes, auxquels les puissances de l’OTAN laissent une latitude extraordinaire, sont placées dans une situation où elles pourraient déclencher une guerre majeure pratiquement à n’importe quel moment et bénéficier du soutien de l’OTAN.

Dans son discours, Obama a dit : « Le vice-président Biden part pour l’Europe, où il rencontrera les dirigeants de nos alliés de l’OTAN : la Pologne, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Et je vais me rendre en Europe la semaine prochaine. Notre message sera clair. En tant qu’alliés de l’OTAN, nous avons un engagement solennel à notre défense collective, et nous respecterons cet engagement. »

Cette utilisation de la Pologne et des ex-républiques soviétiques baltes comme avant-postes militaires dirigés contre la Russie souligne les conséquences catastrophiques de la dissolution de l’URSS par la bureaucratie stalinienne. Cela a poussé l’ensemble de l’ex-URSS sur une trajectoire de désintégration territoriale et de retour à un statut semi-colonial, où ces pays serviront de source de travailleurs bon marché pour le capital financier et seront livrés aux intrigues impérialistes. En Estonie, en Lettonie, en Lituanie, tout comme en Russie, les élites dirigeantes qui sont arrivées au pouvoir après la dissolution de l’Union soviétique étaient des oligarques capitalistes mafieux.

Les puissances impérialistes calculent maintenant que des menaces militaires constantes et des sanctions économiques de plus en plus fortes briseront le cercle des oligarques qui soutiennent Poutine et déstabiliseront la loyauté de la classe moyenne supérieure russe envers le Kremlin.

Le Süddeutsche Zeitung écrit : « Les sanctions actuelles ne sont pas des armes miracles, et encore moins des armes à effet immédiat. Le gel des avoirs et les interdictions de voyager ne rendront pas Poutine populaire parmi l’élite politique et argentée russe, mais son image dans le peuple en sera probablement améliorée au début. Les sanctions économiques, qui sont l’étape suivante de l’escalade que l’UE promet, sont dangereuses pour Poutine. Elles coûteront cher à bien des gens dans l’UE, mais elles coûtent encore plus cher à Poutine. »

Cette politique profondément téméraire, qui risque de provoquer un effondrement du commerce et une guerre mondiale, est menée avec un mépris de l’opinion publique non seulement en Russie et en Ukraine, mais aussi aux États-Unis et en Europe. Obama n’a pas demandé à la classe ouvrière des États-Unis ou d’Europe si elles soutiennent une guerre contre la Russie pour honorer les « engagements solennels » qu’il a passés avec des kleptocrates lituaniens ou les fascistes de Kiev. Ce qui se prépare est une explosion d’opposition dans la classe ouvrière internationale face à la politique étrangère criminelle de l’impérialisme.

Alex Lantier

Article original, WSWS, paru le 18 mars 2014



Articles Par : Alex Lantier

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