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Les services secrets américains n’ont pas voulu empêcher les attentats
Par Pol De Vos
Mondialisation.ca, 06 septembre 2002
Parti du Travail de Belgique 3 septembre 2002
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Comment est venue l’idée d’écrire un ouvrage sur le 11 septembre?

Peter Franssen. Dès le 11 septembre même, l’affaire n’a pas semblé très claire. Comment était-il possible qu’un groupe de dix-neuf personnes puisse détourner quatre avions sans que l’appareil de défense le plus sophistiqué et le mieux entraîné de la planète ne réagisse? Tard dans la soirée du 11 septembre, le Bureau politique du PTB a diffusé un communiqué de presse disant que les attentats n’auraient vraisemblablement pas été possibles sans la collaboration des services secrets et du noyau de l’appareil militaire américains. Mais à ce moment, honnêtement, nous avions peu de preuves pour étayer ces affirmations.

Peter Franssen: «Notre livre prouve que les services secrets américains connaissaient et filaient les pirates de l’air, mais ils ont refusé de les arrêter.» (Photos Solidaire, Salim Hellalet)

Nous avons donc réalisé pour Solidaire un premier dossier sur le terrorisme et sur la manière dont l’armée américaine s’en sert depuis 1945. Ce dossier établissait clairement que l’armée et les services secrets estiment pouvoir recourir à la terreur pour pousser l’opinion publique dans une direction bien précise. Et par terreur, on entend: attentats à la bombe, détournements d’avions, assassinats, enlèvements Les Etats-Unis ont engagé ces moyens sur tous les continents, Europe occidentale y compris, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Ce dossier le disait déjà: prenez la version officielle avec prudence, l’éthique compte pour du beurre quand il s’agit d’atteindre un but politique bien précis.

Autour du Pentagone se trouvent quatre batteries de défense anti-aérienne. Personne ne peut expliquer pourquoi elles ne sont pas entrées en action le 11 septembre, alors que l’armée était en état d’alerte maximum

Dans les semaines et les mois qui ont suivi, de nombreux faits ont été révélés qui collaient difficilement avec la version officielle. Un exemple: autour du Pentagone, il y a quatre batteries de défense antiaérienne. Quand l’avion s’est écrasé sur le bâtiment, on le suivait déjà depuis quelques minutes. A ce moment, deux avions avaient déjà percuté les tours du WTC. L’armée était en état d’alerte maximum. Pourtant, cette défense antiaérienne n’est pas entrée en action. Personne ne peut l’expliquer. Autre exemple: le service secret CIA connaissait plusieurs pirates et savait qu’ils étaient aux Etats-Unis. La CIA prétend aujourd’hui qu’elle ne les filait pas et qu’elle ignorait où ils séjournaient. Nous sommes donc censés croire que la CIA a laissé circuler librement aux USA un certain nombre de terroristes potentiels ­ car c’est ainsi qu’elle les avait fichés. Ces gens ne vivaient même pas dans la clandestinité, on peut trouver leurs noms dans l’annuaire téléphonique.

Au mois de mai, on a découvert que le président Bush et les principaux membres de son gouvernement savaient déjà, six ou sept semaines avant le 11 septembre, que des attentats se préparaient. Pas moins de cinq services secrets avaient averti la CIA. Il ne s’agissait pas de vagues informations, mais d’avertissements très précis et détaillés. La seule chose qui manquait était la date exacte. Pour le reste, tout était connu: qui, comment et quoi. Qui? Un groupe d’Al Qaïda. Comment? Avec des avions détournés. Quoi? Des attentats kamikazes contre les tours du WTC, le Pentagone et la Maison-Blanche. Là, nous en étions sûrs: il fallait écrire un bouquin sur le sujet.

Ce ne sont pourtant pas les livres «révélateurs» qui manquent. L’effroyable imposture de Thierry Meyssan est devenu un best-seller. En quoi votre ouvrage se distingue-t-il?

Peter Franssen. Thierry Meyssan a le mérite d’avoir osé aller à contre-courant. Pas si évident car quand son bouquin est sorti, en mars, il régnait encore une atmosphère telle que celui qui mettait en doute la version officielle était taxé de farfelu. Meyssan a mis en lumière des faits que le gouvernement américain aurait préféré passer sous silence. Aujourd’hui, poser des questions est un peu plus facile.

J’estime néanmoins que dans un tel dossier, on ne peut coucher sur papier que des choses qui ont été irréfutablement prouvées. Ce n’est pas le cas chez Meyssan. La thèse centrale de ses deux ouvrages consiste à dire qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone mais qu’une organisation d’extrême droite a commis un attentat à l’aide d’un missile. Mais trop d’éléments viennent infirmer la véracité de cette thèse. Des dizaines de personnes ont vu l’avion ou le prétendent. Meyssan dit que ces gens ont vu un missile, pas un avion Je n’oserais pas écrire ça dans un livre. Ensuite, je trouve regrettable que Meyssan ne dise quasi rien des attentats contre les tours du WTC. Ils ont bien eu lieu avec des avions. Mais ils ne cadrent pas dans sa thèse du groupe d’extrême droite. Cela rend malaisé, voire impossible, de comprendre les motivations des services secrets et de l’armée.

La CIA savait que Al Qaïda préparait des attentats. Elle savait que des avions seraient détournés à cet effet. Elle savait que le WTC, le Pentagone et la Maison Blanche étaient visés

Notre ouvrage s’en tient aux faits. Il compte 185 pages. Quatre-vingt-quinze pour-cent sont remplies de faits bien établis et de déclarations de généraux, de chefs de la CIA et du FBI, de dirigeants politiques. Cinq pour-cent seulement sont des interprétations des faits et des citations. Le livre permet ainsi de se faire une idée sur la signification du 11 septembre, le caractère de l’impérialisme américain, l’offensive de cet impérialisme et ce qui la motive. Je pense que c’est la différence la plus importante avec d’autres livres sur le 11 septembre.

Dans les mois qui ont suivi le 11 septembre, de plus en plus de révélations ont infirmé la version officielle. Comment les services secrets et le gouvernement ont-ils réagi?

Pol De Vos. Ils n’ont cessé de reculer leur ligne de défense. Le 11 septembre même, et les jours suivants, on entendait ceci: «Une surprise totale! Nous ne savions rien!» Tous ceux qui posaient la moindre question à ce sujet se sont vu brutalement imposer le silence. Ils ont pu tenir cette ligne de défense jusqu’au début mai. Puis, tant de choses sont remontées à la lumière qu’ils ont dû dresser une seconde ligne. Qui disait: «Oui, il y a eu des indications. Oui, nous avions été prévenus par d’autres services secrets. Mais ces indications et ces mises en garde étaient terriblement vagues. Nous ne savions pas où, quand, comment» Cette ligne a tenu à peine une semaine. Il s’est avéré qu’ils étaient au courant de tout, hormis la date et l’heure exactes. Et même ça, ce n’est pas sûr. Nous en arrivons à la troisième et dernière ligne de défense: «La CIA et le FBI ne collaborent pas suffisamment, nous avons trop peu de moyens et trop peu de personnel.» Pas très original. C’est le genre de refrain qu’on a entendu en Belgique à propos des tueurs du Brabant wallon et des enfants disparus.

Pol De Vos: «La CIA et le FBI disent qu’ils ont manqué de moyens et de forces pour prévenir les attentats. C’est tout bonnement absurde, nous le prouvons, faits et chiffres à l’appui.» (Photos Solidaire, Salim Hellalet)

Nous révélons dans le livre de quels moyens et effectifs disposent la CIA et le FBI, de même que leur mode de coopération. Le nombre d’agents assignés à la lutte antiterroriste a quadruplé en trois ans. Depuis les attentats contre deux ambassades américaines en Afrique, en 1998, Oussama Ben Laden constituait une priorité absolue. La CIA a créé une section spéciale chargée de le suivre et le FBI a fait de même. Le gouvernement américain, sur décret spécial du président Clinton, a même inventé un service spécial chargé de coordonner ces deux sections.

Prétendre que les services secrets disposent de trop peu d’effectifs est une absurdité. Et qu’ils avaient trop peu de moyens, c’est tout aussi absurde. La seule CIA consacre déjà trois milliards de dollars par an à la lutte contre le terrorisme. A peu près 150 milliards d’anciens francs belges! C’est-à-dire le budget total de l’armée belge, augmenté de moitié! On ne peut donc vraiment pas dire qu’il s’agissait de mauvais fonctionnement et de manque d’effectifs dans les services. Non, c’est exprès qu’ils ont laissé se produire les attentats.

Ils savaient donc parfaitement que ça allait arriver?

Peter Franssen. Les services secrets américains disposaient des noms des pirates de l’air, ils en ont même suivi un certain nombre aux Etats-Unis mêmes. A un certain moment, l’un d’entre eux, Mohammed Atta, chef présumé des pirates, est arrêté par la police de la route parce qu’il roule trop vite. Il n’a pas de permis de conduire. Le shérif lui dit qu’il a trente jours pour venir montrer son permis dans un bureau de police. Atta ne le fait pas. Résultat: son nom est encodé dans l’ordinateur, il est signalé comme recherché et à arrêter. Peu après, Atta est à nouveau arrêté, toujours pour excès de vitesse. L’agent qui l’arrête introduit son nom mais il s’avère qu’il a été effacé de l’ordinateur de la police. Assez étrange, non?

Le Pentagone fumant. Ici se trouvaient quatre batteries de défense anti-aérienne le 11 septembre. Elles ne sont pas entrées en action. Personne ne sait pourquoi. (Photo Ministère US de la Défense)

Encore plus bizarre, c’est l’histoire de deux autres pirates qui, à la demande de la CIA, sont filmés et suivis en Malaisie, mais qui, une fois débarqués aux Etats-Unis, ne sont plus filés, prétend l’agence.

Le 11 septembre, l’US Air Force n’a envoyé des avions de chasse contre les Boeing que très tard et de très loin. En examinant cette composante du dossier, on ne peut se défaire de l’impression que les Boeing ne devaient pas être interceptés. On peut admettre une gaffe, mais quand il y en a dix d’affilée, ce n’est plus une gaffe, c’est un fait exprès. Il est parfaitement possible que les auteurs des attentats avaient un autre motif politique. Mais ce qui compte, c’est de savoir qui en a profité.

La CIA a fait filmer, surveiller et suivre deux futurs pirates de l’air à l’étranger. Mais aux Etats-Unis, ces hommes pouvaient circuler librement

Pol De Vos. En effet, c’est d’une importance capitale. D’un seul coup, la CIA a reçu 42% de plus. Le budget de l’armée atteint des proportions astronomiques. Les grands gagnants du 11 septembre sont sans aucun doute l’armée, les services secrets et tous ceux qui, aux Etats-Unis, veulent la guerre.

Il est difficile de développer une stratégie de guerre agressive quand, dans son pays, on laisse subsister une démocratie, même réduite. Nous citons dans le livre l’ancien conseiller de Carter en matière de sécurité, Zbigniew Brzezinski. Lequel écrivait, déjà en 1997: «Les Etats-Unis sont beaucoup trop démocratiques chez eux pour être autocratiques à l’étranger et pouvoir dominer le monde.» Il établit donc le lien entre la logique de guerre et la politique intérieure.

Un des exemples de restrictions imposées aux droits civiques est le Patriot Act, une loi approuvée peu après le 11 septembre. Ce Patriot Act aurait-il été possible sans le 11 septembre?

Peter Franssen. Le 11 septembre a été l’alibi d’une accélération politique et militaire. Le monde a changé fondamentalement en 1989, après la chute du Mur de Berlin et, deux ans plus tard, avec l’effondrement de l’Union soviétique. Le contrepoids à l’impérialisme agressif est parti. Toutes les rênes sont lâchées. Le monde appartiendrait à l’Amérique et à personne d’autre. Depuis 1989, l’Amérique est impliquée dans des guerres contre l’Irak, la Yougoslavie, la Tchétchénie, le Tadjikistan, la Géorgie, l’Arménie/Azerbaïdjan, le Congo, la Somalie et l’Afghanistan. La liste est impressionnante. Mais sur la liste de l’élite américaine, on trouve aujourd’hui pour commencer les prétendus Etats voyous, et le fameux «axe du mal». Après le 11 septembre, Bush, Rumsfeld et Cheney disent: cette guerre va durer une génération. On ne peut déclencher une telle guerre sans avoir l’opinion publique derrière soi et sans avoir unifié son élite autour de cet objectif militaire. C’était le but du 11 septembre, et le démantèlement du peu de démocratie encore existant s’inscrit dans ce cadre.

Les auteurs: «Après le 11 septembre, le budget de la CIA a augmenté de 42%. Celui du ministère de la Défense de 37%. » (Photo Solidaire, Salim Hellalet)

Je pense que le Patriot Act aurait été possible sans le 11 septembre. Mais avec beaucoup plus de protestations qu’aujourd’hui. Le 11 septembre a permis d’accélérer le processus enclenché en 1989. On a fait croire à l’opinion publique que le pays était menacé. Dès lors, peu de gens estiment qu’il soit très grave de perdre un certain nombre de libertés. Et le secrétaire d’Etat à la Justice, Ashcroft, peut dire aujourd’hui: «Se lamenter sur la perte des libertés, c’est choisir le camp des terroristes.»

Le livre mentionne comment le New York Times rapporte une manifestation pacifiste à Washington, où, selon les organisateurs, il y avait 25.000 personnes et, selon la police, 7.000. L’article est intitulé «Les manifestants veulent la paix avec les terroristes» et commence en ces termes: «Quelques centaines de personnes ont manifesté dans les rues de Washington.» Que pensez-vous, en général, de l’information dans la presse américaine?

Pol De Vos. Celui qui ouvre la bouche est un traître. Jusqu’en mai, c’était la ligne générale aux Etats-Unis. Ce qu’on a pu lire dans les journaux américains dans les jours qui ont suivi le 11 septembre frisait la démence: «Flinguez-les entre les yeux», «Qu’on les gaze!», «Que nos bombardiers rasent tout!» Imaginez qu’après l’un des innombrables crimes des Américains dans leur pays, des hommes politiques et des chroniqueurs influents de Colombie, de Palestine, du Vietnam, du Cambodge, du Laos, d’Afrique du Sud, du Zimbabwe, du Congo,… auraient dit ou écrit: rayez Washington de la carte, grillez-les comme des sauterelles. Il y aurait eu pas mal de réactions! Mais les Etats-Unis, eux, peuvent se permettre tout cela. Certains journalistes américains réputés disent explicitement que leur tâche consiste à rallier le peuple à la politique belliciste de Bush. Les directions des principales chaînes de télévision se sont rendues chez la conseillère en matière de sécurité, Condoleezza Rice, afin d’y recevoir des instructions sur ce qui pouvait ou ne pouvait pas se faire.

Le 11 septembre a été une mauvaise affaire pour les droits civiques, mais l’armée ne regrettera pas les décisions qui ont suivi.

Pol De Vos. Bien sûr. Quand on voit dans quelles proportions grimpe le budget de la défense En fait, cette évolution s’était déjà enclenchée lors du second mandat de Clinton. Bush a accéléré cette hausse systématique. L’armée et l’industrie militaire étaient parties prenantes. Durant la période qui a précédé les élections présidentielles de 2000, elles disaient que le budget de la défense devait augmenter pour atteindre 4 ou 4,5% du produit national brut. Le général James Jones, commandant des Marines, était un des plus fervents partisans de cette augmentation. Quatre pour-cent, cela revient à 438 milliards de dollars.

Le budget de la CIA a de suite été augmenté de 42%. Celui de l’armée grimpera de 37% d’ici 2007! La plus grande hausse depuis la guerre du Vietnam

Après le 11 septembre, Bush a décidé d’accroître de 37% le budget de la défense au cours des cinq ans à venir. Soit 470 milliards de dollars en 2007. Détail piquant: entre-temps, ce James Jones a été nommé commandant militaire de l’Otan en Europe. Il est très probable que l’Union européenne, en partie sous l’influence de l’Otan, suive la même logique que les Etats-Unis. En novembre, au sommet de l’Otan à Prague, les pays européens devront approuver la hausse des budgets militaires européens.

Ce qui me surprend, c’est que vous dites ne pas connaître la réponse à toutes les questions. «Il reste encore des tas d’imprécisions sur ce qui s’est passé le 11 septembre», lit-on. Vous parlez entre autres de Hani Hanjour et de ses talents de pilote.

Pol De Vos. C’est une histoire très intrigante. Selon la version officielle, Hani Hanjour pilotait l’avion qui s’est écrasé sur le Pentagone. Quinze mois avant le 11 septembre, l’homme a suivi des cours de pilotage. C’était un très mauvais élève. Il a dû suivre plusieurs leçons de rattrapage et s’y est pris à trente-sept fois pour réussir son examen Finalement, ils lui ont donné un diplôme l’autorisant à piloter un monomoteur. Un monomoteur et un Boeing 737 ont autant de points communs qu’un vélo et une voiture. Et pourtant, selon le FBI et la CIA, que fait ce Hanjour le 11 septembre, quinze mois après avoir tenu pour la dernière fois le manche d’un petit coucou? De 2130 mètres d’altitude, il amorce un piqué vertigineux, exécute une spirale, plonge à pas plus de trois mètres du sol, évite arbres, poteaux et fils électriques et fonce à 700 km à l’heure sur le Pentagone. Nous ne sommes pas des aviateurs, nous avons donc dû nous fier à ce que des pilotes expérimentés d’ici et des Etats-Unis ont dit. Eh bien, ces gens disent tous: neuf pilotes expérimentés sur dix, qui savent comment manier un Boeing, ne pourraient exécuter cette manoeuvre, c’est quasiment impossible.

Comment pensez-vous que la population belge aurait réagi en 1944 si un attentat avait été commis contre un bâtiment nazi? Il est relativement logique que beaucoup de Congolais, Palestiniens, latino-américains … n’étaient pas tristes le 11 septembre

Nous écrivons que nous ne savons pas ce qui s’est passé exactement. Nous savons bien que l’US Air Force, depuis pas mal d’années déjà, a confié à l’industrie militaire la tâche de développer ce qu’on appelle la technique du «global hawk». Cette technique permet de piloter des appareils sans pilote à bord. Six mois avant les événements du 11 septembre, un test très important a été mené à bien. Un appareil de l’envergure d’un Boeing a décollé aux Etats-Unis et atterri à 13.000 km de là, dans le Sud de l’Australie. Sans personne à bord. Cette technique du «global hawk», l’US Air Force l’utilise d’ailleurs actuellement en Afghanistan.

Nous ne prétendons pas que cette technique ait été utilisée lors de l’attentat contre le Pentagone. Nous n’en savons tout bonnement rien.

Vous écrivez avoir suffisamment de preuves pour pouvoir dire que les services secrets américains sont complices. Que les Américains aient fait leurs preuves à l’étranger avec leur terreur, OK. Mais des attentats terroristes contre leur propre population?

Peter Franssen. La terreur contre un peuple à l’étranger n’est souvent pas possible sans la terreur contre son propre peuple. Prenons la guerre contre le Vietnam. 60.000 Américains y ont perdu la vie. La guerre des généraux américains contre le Vietnam était donc aussi une guerre contre le peuple américain. Mais la pensée politico-militaire des généraux va encore beaucoup plus loin. L’une des illustrations les plus frappantes en est ce qui s’est passé en 1962, deux ans après le renversement du dictateur Batista à Cuba. Fidel Castro et ses hommes ont commencé à bâtir un pays socialiste indépendant. Ce n’était évidemment pas du goût de l’élite américaine: un pays communiste dans leur jardin, quelle affaire! D’abord, ils ont organisé l’invasion de la baie des Cochons. Avec 1.400 mercenaires, ils ont voulu chasser Castro. L’opération fut un fiasco complet. Sur ce, l’état-major général a développé un plan censé servir d’alibi à une guerre contre Cuba. C’est à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

En 1962, les généraux américains voulaient bombarder leur propre peuple et abattre leurs propres avions. La terreur est une arme que les généraux connaissent bien

De façon unanime, les généraux proposaient d’abattre des appareils américains où se seraient trouvés de préférence des vacanciers ou des étudiants. Ils auraient fabriqué des preuves de l’implication cubaine dans ces attentats. Si, ensuite, les listes des victimes sont publiées dans les journaux, la colère du peuple américain va être énorme et l’opinion publique ne verra aucun problème à ce que l’Amérique entre en guerre contre Cuba. Tel était le raisonnement. Les officiers proposaient de faire sauter des bâtiments, d’abattre des gens dans les rues et de rejeter tout cela sur le dos de Cuba. Finalement, le plan n’a pas été retenu, car Kennedy, le président de l’époque, le trouvait trop risqué. Cela montre jusqu’où les généraux, les services secrets et la Maison-Blanche veulent aller pour atteindre un but politique précis. Tout est permis, même la terreur de masse contre son propre peuple.

Vous parlez aussi d’une nouvelle doctrine de guerre. Qu’entendez-vous par là?

Peter Franssen. Il y a onze ans, durant la guerre du Golfe, les généraux américains ont discuté à huis clos du recours aux armes nucléaires. On vient seulement de l’apprendre. Maintenant, dans une note adressée au Congrès le 31 décembre, ces mêmes généraux écrivent que les armes nucléaires ne sont pas des armes de dissuasion, mais des armes qu’il convient d’utiliser. (Il se fâche) C’est quand même criminel, quoi! Ces généraux disent: «Si, à l’avenir, au cours d’un conflit, nous devons subir des revers stratégiques ou si nous risquons la défaite, nous utiliserons les armes nucléaires.» Et ils l’admettent sans sourciller. Tout le monde peut vérifier, le texte se trouve sur internet. C’est un signe que la pensée a glissé vers l’extrême droite. La politique de dissuasion à laquelle les Etats-Unis ont toujours recouru après la Seconde Guerre mondiale n’existe plus. Dans le temps, l’opinion sous-jacente était: nous construisons un appareil militaire et ceux qui oseraient nous attaquer, nous les hacherons menu, tout le monde le sait, donc, ils s’abstiendront soigneusement de nous attaquer. Il y a quelques jours, Henry Kissinger, l’ancien ministre des Affaires étrangères, a déclaré à El Pais: si, quelque part dans le monde, il se produit une évolution qui ne nous plaît pas, nous interviendrons; les concepts de souveraineté nationale et d’intégrité territoriale sont dépassés, dit-il. Kissinger montre ainsi une fois de plus l’ampleur de la facture que le monde paye pour la chute du Mur de Berlin. Sans cela, Kissinger n’aurait pas osé utiliser un tel langage…

Votre livre contient une phrase remarquable du député républicain Dana Rohrabacher en 1998: «Les Etats-Unis ont toujours pleinement soutenu les Taliban. Si certaines forces tentent d’aider d’autres groupes en Afghanistan, notre ministre des Affaires étrangères essaiera de leur mettre des bâtons dans les roues.» Pourquoi l’Afghanistan était-il si important que les Etats-Unis ont soutenu les Taliban?

Pol De Vos. L’Afghanistan a une frontière commune avec la Chine et l’ancienne Union soviétique. Déjà, en 1917, lorsque Lénine et les bolchéviques ont pris le pouvoir, l’Afghanistan était une base d’attaque contre le jeune Etat soviétique. A l’époque, c’était l’Angleterre, qui se servait de l’Afghanistan dans ce rôle et, ensuite, ce fut le tour des Allemands. Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont utilisé l’Afghanistan comme base d’attaque contre l’Union soviétique. A partir de 1950, ils l’ont également fait contre la Chine. Les Américains voulaient pouvoir s’assurer le contrôle du pays. Pour y arriver, dès 1978, ils ont d’abord soutenu les moudjahidine et, en particulier, le seigneur de guerre Gulbuddin Hekmatyar. Ils espéraient que cet homme allait pouvoir unifier le pays. Ca n’a pas marché. C’est pourquoi les Américains ont cherché leur salut auprès des Taliban, peut-être à même de stabiliser le pays.

L’Afghanistan est également important parce qu’il est un pays de passage pour le pétrole et le gaz en provenance des républiques d’Asie centrale. La compagnie pétrolière américaine, Unocal, est partie prenante dans ces installations de pipelines. Mais, comme le pays est morcelé en petits territoires où ce sont des seigneurs de guerre qui font la pluie et le beau temps, la situation est naturellement très ennuyeuse. Les Taliban devaient résoudre ce problème, unifier le pays et le pacifier. Mais à partir de 1999, il s’est avéré que les Taliban n’étaient pas capables de contrôler complètement le pays et, de ce fait, les Américains ont souhaité un gouvernement de coalition. Quand les Taliban ont refusé, la guerre est devenue une certitude.

Vous êtes tous deux des communistes affirmés. Ne craignez-vous pas que votre ouvrage soit catalogué de propagande anti-américaine du PTB?

Pol De Vos. Certains milieux vont sans aucun doute attaquer l’ouvrage. La question est de savoir s’ils vont recourir à la même méthode que la nôtre ou s’ils vont s’en prendre au contenu du bouquin. Nous nous sommes basés sur des documents et des citations. Si nous parlons de l’agressivité des Etats-Unis, nous puisons notre matériel dans les communications et documents officiels du gouvernement américain. Nous alignons systématiquement toutes les sources. La plupart sont sur internet, le lecteur peut donc vérifier lui-même ce que disent les autorités américaines. Nous ne sommes vraiment pas partis de nos opinions idéologiques.

Vous citez aussi le président du PTB, Ludo Martens, qui était à Kinshasa, la capitale du Congo, le 11 septembre. Il semble que les Congolais ont été ravis des événements. Qu’en pensez-vous?

Peter Franssen. Il faut prendre la peine d’être quelques instants Colombien ou Congolais, et le monde devient tout autre. Dans notre ouvrage figure le récit de Juvénal Sibomana, un Congolais résidant en France. Le 11 septembre, il se trouve par hasard dans la ville congolaise de Bukavu, occupée par l’armée rwandaise qui jouit de l’aide des Etats-Unis. Cet homme a vu l’euphorie de la population lors de l’effondrement des tours du WTC. Avec des yeux occidentaux, on se demande ce que cela signifie, comment une telle attitude est possible. Mais quand on sait que la guerre au Congo, orchestrée par les Etats-Unis, a déjà fait quatre millions de morts, ça change tout non? (Il réfléchit) Je pense qu’en 1944, bien des gens auraient applaudi si l’on avait commis un attentat contre quelques bâtiments symbolisant le pouvoir nazi en Allemagne. Même si cela avait coûté des vies innocentes.

La terreur de l’armée rwandaise au Kivu. Le Rwanda ne peut pas faire la guerre au Congo sans le soutien des Etats-Unis. Naturellement, le 11 septembre, les Congolais ont réagi autrement que nous. (Photo archives)

Pol De Vos. Bien des gens ont été choqués en voyant des images de femmes et d’enfants palestiniens danser dans les rues après les attentats. Mais d’un point de vue arabe, tout cela est très logique. Israël fait la guerre au peuple palestinien depuis cinquante ans et il n’aurait pu le faire sans couverture américaine. Il est donc assez normal que la communauté arabe réagisse avec satisfaction en découvrant que les Etats-Unis ne sont pas aussi invincibles qu’ils en ont l’air. Cela ne vaut d’ailleurs pas que pour la communauté arabe. Notre ouvrage parle d’une manifestation à Rio de Janeiro, au Brésil, où on pouvait lire sur les banderoles: «Une minute de silence pour les victimes de New York, 59 pour les victimes de la politique américaine.»

Le dernier chapitre de votre livre s’intitule L’ultime guerre de l’Amérique. Pourquoi?

Peter Franssen. Si on examine la liste des pays contre lesquels les Etats-Unis ont fait la guerre depuis 1989 et la liste que Bush mijote dans sa tête, on se dit: voici une superpuissance intouchable qui fait la guerre où et quand elle le désire. J’ai eu cette idée jusqu’au moment où nous nous sommes attelés à ce livre. Mais j’ai dû revoir mon opinion. L’Amérique est une grande puissance mais, en fait, elle est étonnamment faible. Sur le plan économique, les Etats-Unis sont virtuellement en faillite. Leur dette extérieure est la plus grosse de la planète. Ils ne peuvent se permettre qu’un ou plusieurs pays se dégagent de leur assemblage économique. Sur le plan politique aussi, les Américains sont faibles. Au coeur de l’Afrique, ils ont dû organiser la guerre contre le Congo afin de rogner les ailes au mouvement ressuscité en faveur de l’indépendance nationale.

On voit maintenant quelle est la facture que le monde paye pour la chute du Mur de Berlin et l’éclatement de l’Union soviétique. L’agressivité des Etats-Unis ne connaît plus aucun frein

En Asie, de plus en plus de pays se tournent vers la Chine parce que cet immense pays semble immunisé contre la crise économique qui sévit partout ailleurs dans le monde. En Colombie, ils risquent de s’embourber dans un nouveau Vietnam, ce qui leur vaut d’être voués aux gémonies par tout le continent. Et, chez eux, ils doivent faire face à un jeune et puissant mouvement d’antimondialistes. Dans de telles circonstances, Bush et consorts viennent dire que la guerre contre l’Afghanistan n’est que le début d’une guerre de longue haleine contre plusieurs objectifs. Mais, avec chaque nouvelle phase dans cette guerre, la résistance s’accroît de plus en plus. Si l’impérialisme américain ne perd pas sur le terrain, militairement, il finira par être vaincu et chassé par son propre peuple et ses propres soldats.

Il y a quelques jours, j’ai eu un journaliste hollandais au téléphone, en vue d’une interview pour la télévision. Quand je lui ai expliqué ce que signifiait le titre L’ultime guerre de l’Amérique, il est resté un moment silencieux au bout du fil, puis il a répondu: «Héhé! C’est une vision bien optimiste!» Exactement. Les Etats-Unis sont comme un chat tenu à l’étroit: il feule et il griffe. C’est désastreux pour le monde, mais c’est également un signe que le bout du rouleau est proche. L’optimisme du livre est un optimisme réaliste.

Le livre compte 185 pages et coûte 12,50 euros. En vente dès lundi prochain dans les librairies de Belgique, de France et des Pays-Bas.

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