Les États-Unis en guerre en Irak contre l’Iran

Chaque jour qui passe nous apporte d’Irak son lot de morts, de blessés dus à des attentats sanglants et aveugles, des actions militaires américaines, des bavures des troupes d’occupation, voir des assassinats ciblés. Selon, un ancien Premier ministre irakien, 50 de ses compatriotes meurent ainsi quotidiennement, soit 18 000 par an.  

La guerre de 2003 et l’occupation avaient fait l’objet d’un marketing visant à les transformer en élément indispensable à l’élimination de trois maux : Saddam Hussein, ses armes de destruction (ADM) massive et le terrorisme. Le 3ème anniversaire de la chute du tyran sanguinaire, le 9 avril 2006, a eu lieu, mais le peuple irakien vit plus mal que jamais et comble du malheur vit encore plus mal que sous l’embargo.
La vie quotidienne est marquée par l’absence d’électricité dont la production a baissé par rapport à avant 2003. D’après le PNUD, la production d’électricité « représente 40% de ce qu’elle était avant l’intervention en Iraq ». 2000 médecins ont quitté l’Irak. Il y a une pénurie de carburant ! Les privatisations massives ont entraîné des milliers de licenciements. Les fonctionnaires sont en attente de plusieurs mois de salaires.

Une violence qui frappe tous les secteurs de la société, mais en priorité les femmes

La violence est partout. Les femmes en sont les premières victimes. Elle affecte en premier lieu leur liberté de circulation, donc leur droit au travail et leur droit d’étudier. Assassinées, violées, enlevées, agressées, elles doivent également se soumettre aux nouvelles forces (ironie) démocratiques irakiennes, issues des urnes et essentiellement constituées de partis religieux ou à base ethnique. Comme le soulignait un Professeur irakien dans le journal Il Manfiesto du 20 mars 2006 : « Nous sommes tous angoissés pour nos femmes, filles et sœurs. Si pour une raison ou un autre elles doivent rester seules, nous les appelons toutes les 5 minutes, jusqu’à ce qu’elles soient de nouveau en compagnie de proche ou d’amis ». Quant aux véritables forces démocratiques (partis de gauche et syndicats), elles sont prises entre le marteau et l’enclume.
 
Un marteau américain : les troupes d’occupation emprisonnent des syndicalistes saccagent leurs locaux. Aux occupants s’ajoutent 212 000 hommes des forces de sécurité irakiennes qui ont bénéficié de 6.2 milliards de dollars alors que les Etats-Unis n’ont affecté que 18 milliards à la reconstruction du pays. Une enclume islamiste : les partis religieux ont tous leurs milices en charge de faire taire les autres forces sociales et politiques.
 
Le même professeur irakien dans le même journal irakien dénonçait cette situation : « De nombreux collègues ont été tués. On sait que d’autres sont entre les mains de ravisseurs inconnus. Nous sommes souvent insultés : en tant qu’universitaires, nous sommes devenus la cible prioritaire des étudiants islamistes. Quoi qu’il en soit nous continuons à résister patiemment pour maintenir ce qui peut l’être des valeurs académiques et laïques au sein de l’Université ». L’illusion d’un Irak démocratique s’est envolée depuis très longtemps. L’Irak est désormais un bourbier mondial où se livre une guerre qui ne dit pas son véritable nom. Celui-ci est d’ailleurs travesti. Ce qui se passe en Irak serait une guerre contre Al Quaida et Zarkaoui. S’il y a bien en Irak des étrangers qui mènent un combat en référence à cette organisation, ils sont en petit nombre.

Une guerre déguisée contre l’Iran

Toutefois, le combat majeur en Irak oppose réellement des combattants étrangers ou formés à l’étranger : d’un côté, les troupes alliées (les alliés se désengageant peu à peu) et de l’autre, des éléments armés reliés aux Gardiens de la révolution iranienne (Pasdarans et irakiens précédemment exilés en Iran), comme la brigade Al Badr.
Il s’agit donc en fait d’une guerre de basse intensité (pour l’instant) entre les Etats-Unis et l’Iran se déroulant sur le sol irakien. Engagés en Afghanistan, en Afrique (dans le cadre de l’ACOTA), au Maghreb et au Sahel (Des Marines de la 14ème MEU y traquent des éléments du GSPC et forment des soldats de diverses nationalités dans le cadre de l’initiative pansahélienne, un programme lancé en 2002), en Indonésie et aux Philippines, les Etats-Unis ne peuvent aujourd’hui conduire une guerre terrestre contre l’Iran. Quant à la République islamique, pour éviter cette guerre terrestre, elle a décidé de fixer militairement les Etats-Unis en Irak. Cette guerre touche en premier lieu les civils. En témoignent les opérations qui se traduisent par l’encerclement, voire le bombardement, de villes irakiennes comme Fallujah, Samara, Tall Afar, Biaj, etc.

La menace nucléaire iranienne substituée aux ADM irakiennes demeurées introuvables

Les armes de destruction massive irakiennes constituaient l’axe principal de l’entreprise de désinformation américaine de 2002 et 2003. La force 75 (composée uniquement de militaires américains) n’a rien trouvé. L’Iraqi Survey Group (ISG) créée unilatéralement par Wahsington, dotée de 1700 hommes et d’un milliard de dollars, lui succédera. Cette structure n’a également rien découvert. L’ISG a ainsi abandonné officiellement toute entreprise de recherche en décembre 2004. Il a en conséquence établi un rapport volumineux aux conclusions défavorable pour la Bush Compagnie.
 
John Bolton, l’ambassadeur américain aux Nations Unies souhaitait, il y a quelques jours, tourner cette page. Sa méthode est simple : abolir le mandat de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique et celui de la Commission de Contrôle et de Vérification des Nations Unies (COCOVINU en français – UNMOVIC en anglais) chargées d’établir par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité s’il existe un arsenal nucléaire, chimique et biologique en Irak.
 
Les Etats-Unis ont ainsi lancé une vaste offensive contre le mandat de ces deux organismes ; mandat qu’ils ont eux même créé de toute pièce en 1991 (résolution 687) puis renforcé en 1999 (résolution 1284) et enfin en 2002 (résolution 1441). En décembre 2005, John Bolton considérait ainsi que la COCOVINU n’avait pas l’obligation d’établir un rapport sur ses activités relatives à l’Irak. Il est vrai qu’un tel rapport ne pourrait être qu’en contradiction avec les mystifications tentées et opérées par Bush et Blair en 2003. Le porte-parole de Bolton, Richard Grenell, dans un entretien avec le sérieux New-York Times ira jusqu’à dire que « l’élection démocratique d’un gouvernement irakien rend caduques le mandat et l’existence de la COCOVINU ». Or, nous savons ce qu’il en est de la démocratie irakienne.
Dans ce jeu international, la Russie tente de contrer Etats-Unis pour diverses raisons : enjeux pétroliers ; enjeu iranien ; souvenir des injures et humiliations faites lors de la guerre au camp de la paix. La Russie souhaite donc clore la question de la recherche des ADM irakiennes avant que ne soit ouverte véritablement l’espèce iranienne. En prouvant l’absence d’ADM en Irak, Moscou affaiblira d’autant la position américaine. C’est là un paradoxe, le mécanisme créé de toute pièce par les Etats-Unis pour contrôler et asservir l’Irak pourrait (de manière modeste) se retourner contre eux et être désormais un pion russe. C’est autour de ces objectifs que le Ministre russe des affaires étrangères Sergeï Lavrov a d’ailleurs entamé une tournée diplomatique début mars auprès des Etats-Unis, du Secrétaire général des Nations Unies, le Directeur de la COCOVINU, Dimitri Perricos (un ancien de l’AIEA). Pour le Vice-ministre aux affaires étrangères russe, Alexander Yakovenko, au-delà d! u potentiel militaire irakien introuvable, l’Irak doit, au surplus, adhérer au protocole additionnel de l’AIEA (qui vient compléter les mécanismes de contrôle des installations civiles) et à la Convention sur les armes chimiques de 1993. Toutes choses qui ne sont plus des priorités pour les Etats-Unis. La Russie exige donc le respect des résolutions que le Conseil de sécurité avait imposé à l’Irak de 1991 à 2003, à l’initiative de Washington. Aujourd’hui, c’est la Russie qui demande à cette dernière de respecter le droit international et ces résolutions.

La Russie a la partie belle d’autant plus que depuis 2003, les Etats-Unis interdisent à l’AIEA et la COCOVINU de venir inspecter l’Irak et par la même occasion de constater publiquement et internationalement l’absence d’ADM. Si l’action de la COCOVINU en est entravée et limitée, elle n’en est pas réduite à néant. Et même une telle activité restreinte, si modeste soit-elle, gène considérablement les Etats-Unis. La COCOVINU a ainsi contrôlé par satellite 353 sites irakiens suspectés dans le cadre de son mandat. Quelle ne fut pas sa surprise, de découvrir que 90 d’entre eux avaient été rasés au cours de l’occupation. Les Etats-Unis chercheraient-ils à effacer les preuves de l’absence d’ADM. ? Ces sites sont différents des 70 qui ont été bombardés au cours de la guerre de 2003.

Le Gouvernement irakien appuie les Etats-Unis dans cette entreprise d’affaiblissement de la COCOVINU avec l’espoir de récupérer les fonds de cet organisme. Déjà, le Secrétaire général des Nations Unies a transféré 200 millions de dollars du compte séquestre pour le désarmement vers le fond pour le développement de l’Irak au mépris de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité (687, 705, 707). La COCOVINU doit désormais se contenter d’un budget annuel de 12 millions de dollars mais préserve sur le compte séquestre 100 millions, (jusqu’à quand). Les mois qui suivent seront donc déterminants.
 
La disparition de la COCOVINU et avec elle de la résolution 687 intéressent également Israël. En effet, la résolution 687 d’avril 1991 est le seul instrument international contraignant pour Israël puisqu’elle dispose – prévoit la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’arme nucléaire et même une zone exempte d’ADM. Or à ce jour, un seul Etat dans cette région n’a pas rejoint le Traité de Non Prolifération nucléaire : Israël. Cet Etat vient d’ailleurs d’acquérir deux nouveaux sous-marins nucléaires Dolphin d’origine allemande. Dès qu’ils seront dotés de missiles à tête nucléaire, ils iront en mer d’Oman ou dans le Golfe persique pour se prépositionner face à l’Iran ou le Pakistan. Dans ces eaux, ils retrouveront des navires français et britanniques aux missions identiques et venant en appui à la politique militaire américaine.

La France et la Grande-Bretagne participent à la politique d’encerclement de l’Iran

Dans le plus grand silence de sa classe politique (Gouvernement et représentation nationale) la France, aux côtés de la Grande-Bretagne participe à la politique d’encerclement de l’Iran. Pour preuve, l’opération « Agapanthe ». Celle-ci se déroule dans le Golfe persique. Elle regroupe le navire britannique Hms Lancaster, les navires français suivants : le porte-avions Charles De Gaulle, la frégate AA Cassar, la frégate Montcalm, un sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Saphir. Elle dispose de 22 avions d’attaques. Ceux-ci ne sont pas présents pour rien. Ils devraient prochainement intervenir depuis le Charles de Gaulle en appui de la force internationale (ISAF) présente en Afghanistan, composée notamment de 6000 hommes de troupes britanniques et d’un millier de français. Les bombardements opérés en Afghanistan serviront certainement de démonstration de force adressée au voisin d’à coté, à savoir l’Iran. Mais Téhéran est déjà avertie depuis quelques semaines. Le 19 janvier 2006, Jacques Chirac a annoncé une révision de la posture ou doctrine française d’emploi des armes nucléaires. Il déclarait en substance : « La France se réserve le droit de riposter de façon « non-conventionnelle » face aux dirigeants d’Etats qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous ». Il étendait également le champ couvert par le parapluie nucléaire à « la garantie de nos approvisionnements stratégiques et (à) la défense de pays alliés ». Ce faisant, il violait le TNP et la résolution 984 (1995) du Conseil de sécurité. Mais cela n’est pas grave. Peu de voies se sont élevés contre ces propos, il est vrai qu’aujourd’hui l’ennemi désigné, c’est l’Iran en lieu et place de l’Irak.



Articles Par : Karim Lakjaa

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