Les États-Unis et l’UE préparent une action militaire contre la Côte d’Ivoire


L’ambassade des États-Unis en Côte d’Ivoire

La situation dans ce pays d’Afrique occidentale continue à se détériorer après les élections présidentielles contestées de novembre où le président sortant Laurent Gbagbo et son rival, Alassane Ouattara, ont tous deux revendiqué la victoire.

Le ministère américain des Affaires étrangères a imposé une interdiction de voyage à Gbagbo. Le sous-secrétaire d’Etat adjoint pour les Affaires africaines, William Fitzgerald, a dit que les Etats-Unis imposeraient une interdiction de ce type à Gbagbo, à tous les membres de sa famille et à son entourage, tout en envisageant également l’imposition de sanctions financières.

« Il est tout à fait possible qu’il essaie de nous ignorer en espérant que nous oublierons l’affaire et que nous disparaîtrons ou que nous nous concentrerons sur une autre question », a dit Fitzgerald. « Je ne peux que lui rappeler qu’il s’agit ici d’une communauté internationale unanime. Nous ne disparaîtrons pas et nous n’oublierons pas. »

Une déclaration identique est venue de l’Union européenne (UE). Elle a gelé les avoirs de Gbagbo et lui a imposé une interdiction de visa ainsi qu’à ses partisans.

Entre-temps, le Conseil de sécurité des Nations unies a prolongé de six mois le déploiement de ses soldats en Côte d’Ivoire. Cette décision a été prise en réponse à Gbagbo qui réclamait le départ immédiat des troupes onusiennes.

L’ambassadrice américaine, Susan Rice, qui préside actuellement le Conseil de sécurité et qui est l’ancienne assistante du secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines, a émis une menace à peine voilée à l’adresse de Gbagbo et de ses partisans.

« Les membres du Conseil de Sécurité préviennent toutes les parties prenantes qu’elles seront tenues responsables des attaques contre les civils et les forces de maintien de la paix et qu’elles seront poursuivies en justice en vertu de la loi internationale et du droit international humanitaire. »

Le ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth a conseillé aux ressortissants britanniques de quitter la Côte d’Ivoire. L’ambassade américaine à Abidjan a fait évacuer l’ensemble du personnel non essentiel et leurs familles.

Newcrest Mining a cessé ses opérations minières dans la mine d’or de Bonkro. Newcrest est la première entreprise aurifère d’Australie. Ses installations à Bonikro produisent 120.000 onces d’or par an. L’entreprise a évacué son personnel au Ghana en ne laissant que le personnel de sécurité dans la mine. Elle s’attend de toute évidence à une intensification des opérations militaires en Côte d’Ivoire.

Les Etats-Unis, l’UE et les Nations unies ont reconnu Alassane Dramane Ouattara, le rival de Gbagbo, comme le vainqueur des élections présidentielles du mois dernier. Ouattara s’est installé dans l’Hôtel du Golf sous la protection des troupes de l’ONU et Gbagbo demeure dans le palais présidentiel. Les annonces coordonnées des Etats-Unis, de l’UE et de l’ONU visent clairement à faire passer le message qu’ils sont déterminés à établir un contrôle ferme sur cet important Etat d’Afrique occidentale. L’évacuation des civils donne à penser que les Etats-Unis et leurs alliés vont rapidement procéder à une nouvelle intervention militaire.

Entre 2002 et 2004, la Côte d’Ivoire avait été en proie à une guerre civile. En novembre 2004, la France avait détruit l’armée de l’air ivoirienne en saisissant le contrôle de la capitale Abidjan. Près d’un millier de soldats et de gendarmes français y sont encore stationnés, pour la plupart à l’aéroport. De plus, il y a plus de 9.000 personnels de l’ONU, dont des troupes, des observateurs militaires, des policiers et des responsables civils.

Les puissances régionales se sont alignées sur l’Occident. La Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest a coupé les fonds à Gbagbo. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui a reconnu Ouattara comme président, soutient cette action et a suspendu l’adhésion de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est diplomatiquement isolée et Gbagbo pourrait ne pas être en mesure de payer ses troupes au-delà du mois.

Les tensions se sont intensifiées ces jours derniers. Les forces loyales à Gbagbo ont attaqué les troupes de l’ONU à l’Hôtel du Golf. Un soldat ivoirien a été tué lors de l’affrontement. Les forces de l’ONU ont depuis renforcé leur position par deux chars. Gbagbo a empêché que des livraisons n’arrivent à l’hôtel. Un porte-parole d’Ouattara a appelé à l’aide la communauté internationale. « Nous vivons des réserves de l’hôtel, » a-t-il dit, « D’ici mardi, ce sera fini. Il ne restera plus rien. »

A l’intérieur du pays, il y a eu des heurts entre les Forces Nouvelles loyales à Ouattara et les forces gouvernementales restant loyales à Gbagbo, en dépit des efforts entrepris par les Occidentaux pour provoquer une division au sein du commandement militaire. Ceci a introduit la possibilité d’une reprise de la guerre civile.

Selon l’ONU, quelque 200 personnes ont été blessées et 50 tuées durant la semaine. Un communiqué de l’ONU prétend que des gens sont enlevés de leurs domiciles par des hommes armés non identifiés fidèles à Gbagbo.

La commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay, a parlé de massives violations des droits de l’homme commises en Côte d’Ivoire.

« Des personnes enlevées seraient emmenées de force dans des endroits de détention illégaux où elles sont gardées au secret sans instruction. Certaines ont été trouvées mortes dans des circonstances discutables. »

L’on rapporte que les milices loyales à Gbagbo font des rafles dans les maisons et arrêtent les gens à Abidjan. L’ONU affirme qu’un immense charnier a été découvert dans la ville.

Alors que la situation se détériore, les civils se préparent eux-mêmes à la guerre. Quelque 4.000 personnes ont franchi la frontière vers le Libéria voisin en quête de refuge.

Il est vraisemblable qu’il y aura une sorte d’intervention militaire bientôt. On est en train de préparer un dossier judicaire pour justifier une telle action en termes de défense des droits de l’homme. Il n’est pas encore clair quelle forme cette intervention prendra. Ce qui est clair, c’est que ni les Etats-Unis ni la France ne peuvent prétendre être les défenseurs du peuple ivoirien.

Les Etats-Unis et leurs alliés peuvent peut-être se montrer très critiques à l’égard de Gbagbo maintenant, mais ils ont collaboré avec lui pendant des décennies. Il est président depuis 2000 et a soutenu les programmes d’ajustement structurel économique et de privatisation du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Tout au long de cette période, il était loin d’être un défenseur des droits de l’homme. Il s’est avéré utile quand il avait fallu défier l’emprise de la vieille élite politique entourant Félix Houphouët-Boigny, le président de la Côte d’Ivoire depuis son indépendance en 1960. Il semble que Gbagbo a perdu son utilité et a refusé l’offre d’une retraite confortable au Nigeria ou en Afrique du Sud.

Ce qui se cache derrière le changement d’attitude à l’égard de Gbagbo c’est la possibilité que des réserves non négligeables de pétrole existent dans les eaux territoriales de la Côte d’Ivoire. Gbagbo a noué des liens étroits avec l’Angola et la compagnie pétrolière russe Lukoil. Il croit pouvoir utiliser les recettes du pétrole pour rester au pouvoir malgré la désapprobation internationale.

De la même manière, la perspective que la Côte d’Ivoire a des réserves pétrolières viables la rend plus importante stratégiquement pour l’Occident. La France et les Etats-Unis veulent une figure politique loyale pour contrôler ce pays qui possède de longue date une importance régionale ; il est le premier producteur de cacao du monde, dispose de nombreuses et précieuses ressources naturelles et dispose maintenant peut-être de l’importance supplémentaire due au pétrole.

Le Financial Times a mis en garde contre une intervention menée par la France comme étant « imprudente ». Mais il a réclamé une intervention africaine. Ceci signifierait que des troupes de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou d’autres troupes africaines seraient envoyées en Côte d’Ivoire avec le soutien de la France et des Etats-Unis. Ceci ne représenterait en aucune manière une « solution africaine pour un problème africain » selon la formule consacrée. Il ne s’agirait que d’une invasion impérialiste déguisée qui aurait au bout du compte comme récompense les ressources naturelles de la Côte d’Ivoire.

Article original, WSWS, paru le 23 décembre 2010.



Articles Par : Ann Talbot

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