Les tensions entre l’UE et la Chine étalées en public au sommet bipartite

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Le 12e sommet Union européenne-Chine qui s’est tenu le 30 novembre dans la ville chinoise de Nankin n’a produit aucun accord sur les questions clefs, y compris celle très importante pour l’UE de la réévaluation de la monnaie chinoise. Cette réunion entre des décideurs politiques de haut niveau européens et chinois a mis en évidence la nature de plus en plus acrimonieuse des relations entre grandes puissances dans le contexte de troubles économiques mondiaux qui perdurent.

La délégation de l’UE comprenait le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso, le Premier ministre suédois Fredrik Reinfeldt qui est également à la tête du Conseil européen, le Premier ministre du Luxembourg Jean-Claude Juncker, qui préside actuellement la conférence des ministres des finances de l’Eurozone, le directeur de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet et le Commissaire aux affaires économiques et monétaires Joaquin Almunia.

Leur message principal adressé à la Chine a été de lui demander de permettre au yuan (aussi appelé renminbi) de flotter sur le marché, mettant fin à son lien actuel avec le dollar américain, ce qui entraînerait une réévaluation de la monnaie chinoise. Trichet a déclaré lors d’une conférence de presse : « Nous n’avons pas uniquement défendu les intérêts généraux de l’économie européenne. Nous avons défendu ce que nous croyons être les intérêts supérieurs des économies chinoise et européenne – et de l’économie mondiale. » Il a affirmé que « rééquilibrer » la croissance économique chinoise dépendante des exportations améliorerait « sa propre stabilité et sa prospérité. »

La déclaration conjointe euro-chinoise, n’a cependant fait aucune référence à la question monétaire. Le président de la Commission européenne, Barroso, a subitement annulé une conférence de presse lundi. Selon le Telegraph, Barroso s’était plaint au Premier ministre chinois Wen Jiabao lors d’un dîner dimanche « Des dégâts qu’un renminbi faible cause à certaines parties de l’économie européenne. » Barroso a déclaré à des journalistes : « Ils nous disent ce qu’ils ont dit au président Obama – exactement la même chose. » Obama qui s’est rendu en Chine le mois dernier avait également demandé une réévaluation du yuan pour réduire l’énorme déficit commercial américain envers la Chine.

Lors du sommet, le Premier ministre chinois Wen a été étonnamment direct dans ses commentaires publics, déclarant : « Certains pays, veulent d’un côté que le renminbi soit réévalué, mais d’un autre côté, ils se lancent ouvertement dans le protectionnisme commercial contre la Chine, ce n’est pas correct. En fait, cela revient à restreindre le développement de la Chine. » Même s’il parlait des États-Unis, qui ont imposé une série de restrictions tarifaires aux exportations chinoises, Wen a explicitement averti l’UE de ne pas prendre la même direction.

L’UE, comme la Chine, est confrontée à des pressions économiques et politiques croissantes, conséquences de la crise financière mondiale et du ralentissement économique. Le commerce de l’UE a été frappé par la chute du dollar, qui a réduit ses exportations. En même temps, le yuan étant lié au dollar, l’euro a continué à grimper face à la monnaie chinoise, désavantageant encore plus les exportateurs européens. Fait significatif, la Chine a dépassé l’Allemagne en tant que premier pays exportateur durant la première moitié de 2009.

En conséquence, l’UE ne se contente pas de suivre les États-Unis dans son appel à une réévaluation du yuan, elle veut également mettre fin à son alignement sur le dollar. Les exportations européennes en baisse ont participé à la dégradation de l’économie et au taux de chômage élevé dans toute l’UE, lequel devrait dépasser les 10 pour cent l’année prochaine. L’économie de l’UE s’est contractée de 4,1 pour cent au cours du troisième trimestre. Le dernier rapport de Standard & Poors sur l’UE prévoit que la reprise en 2010 sera « longue et maigre » en raison de l’endettement des consommateurs, des impayés importants des entreprises et de l’augmentation de la dette des Etats.

La Chine n’est pas en position de faire des concessions à l’UE et aux États-Unis. La récession globale a fait des ravages dans ses exportations, lesquelles ont été le moteur principal de son taux de croissance élevé. La Chine n’a pu continuer sa croissance que grâce à un important plan de relance, qui ne pourra tout simplement pas être maintenu sur le long terme. De nombreuses entreprises exportatrices ont été contraintes de licencier des employés ou ont fermé complètement, entraînant un chômage et de profondes craintes de troubles sociaux à Pékin. Comme Wen l’a bien dit, le gouvernement chinois s’inquiète d’être la cible d’un protectionnisme croissant.

La crise économique mondiale est également en train de nourrir des tensions politiques et des rivalités stratégiques entre les grandes puissances. En décembre dernier, Pékin avait brusquement annulé le sommet UE-Chine en réaction à la rencontre entre le président Nicolas Sarkozy et le Dalai Lama, dirigeant en exil du Tibet. La France exerçait la présidence tournante de l’UE à ce moment-là.

La rupture au sujet de la rencontre de Sarkozy indiquait des changements politiques plus profonds. Ayant des divergences tactiques appuyées avec le gouvernement Bush au sujet de l’invasion de l’Irak, la France et l’Allemagne avaient favorisé des liens plus étroits avec la Chine pour contrebalancer l’unilatéralisme américain. Après l’élection de Sarkozy en France et d’Angela Merkel en Allemagne, les relations se sont améliorées avec Washington. Cette tendance s’est confirmée après que le nouveau président américain Obama a appelé à une approche plus coopérative avec l’Europe. De plus, une fois que la crise financière mondiale a frappé, les puissances européennes sont devenues de plus en plus méfiantes face à la puissance économique croissante de la Chine, notamment en Afrique.

Après la rencontre entre Sarkozy et le Dalai Lama, Wen a délibérément évité Paris au cours de sa tournée européenne de janvier. Les contacts à haut niveau entre la France et la Chine n’ont repris qu’une fois que Paris a déclarée que le Tibet était « une partie inséparable de la Chine, » ce qui a permis la rencontre entre Sarkozy et Hu Jintao au G20 de Londres en avril.

Les sommets euro-chinois ont repris à Prague en mai. Mais les frictions étaient toujours là, les puissances européennes craignant d’être mises à l’écart par des relations plus intimes entre les États-Unis et la Chine – ce que l’on a appelé le G2. Un Wen assez gêné a déclaré aux journalistes : « Certains disent que la Chine et les États-Unis vont gouverner le monde ensemble. C’est faux, et ce n’est pas raisonnable du tout. »

Au cours du dernier sommet euro-chinois, l’agence d’information allemande Deutsche Welle a publié un article intitulé « L’Europe risque de perdre du terrain sur les États-Unis dans les relations avec la Chine. » Après avoir déclaré que le sommet euro-chinois concernait plus le commerce que le changement climatique, il remarquait que « la délégation de l’UE tentera également d’évaluer quel effet a eu la visite d’Obama en Chine sur la position de l’Europe comme partenaire des Chinois. »

Les inquiétudes européennes au sujet de la Chine ont été mises en exergue dans un document majeur publié par le Conseil européen sur les relations internationales [un think-tank paneuropéen, ndt] en avril, intitulé « Audit complet des relations UE-Chine. » Le rapport appelle à une approche plus unifiée des relations de l’Europe avec la Chine, expliquant que la Chine exploite les divisions entre les 27 membres de l’UE avec un « mépris diplomatique. »

Cependant, ce document se contente de souligner les tensions avec la Chine ainsi que les intérêts divergents des principales puissances européennes. L’Allemagne est à la tête des « industriels affirmés » qui tendent à être protectionnistes, mais n’a que deux partisans : la République tchèque et la Pologne. En face, la Grande-Bretagne, centre du capital financier, prêche le « libre-échange » avec la Chine en raison de sa dépendance aux produits manufacturés à bas prix. La France est à la tête du groupe le plus important, celui des « mercantilistes conciliants » qui évite généralement de laisser les questions politiques interférer avec les liens commerciaux naissants qu’ils établissent avec la Chine.

De façon significative, ce rapport soutient l’approche agressive de l’Allemagne qui pousse la Chine à faire un maximum de concessions et affirme que la capacité de négocier avec la Chine était « l’un des meilleurs arguments » pour la ratification du traité de Lisbonne et l’établissement d’institutions paneuropéennes fortes. Toujours selon ce rapport, La Chine n’est plus un pays en voie de développement, elle doit être considérée comme un « concurrent diplomatique », particulièrement en Afrique, « Aucune autre question ne met aussi nettement en lumière l’opposition entre les approches de l’UE et de la Chine sur les affaires mondiales que l’Afrique, » y est-il écrit.

Pourtant, l’UE a toujours besoin de la Chine pour servir de contrepoids aux États-Unis et elle a besoin de maintenir ses liens économiques substantiels avec elle. L’UE représente un cinquième des exportations chinoises, c’est le plus grand partenaire commercial de la Chine. La Chine est le second partenaire commercial de l’UE après les États-Unis. De nombreuses compagnies européennes importantes se servent de la Chine comme d’une plate-forme de travail à bas salaires.

Ce rapport impute la crise économique globale aux États-Unis et à la Chine, déclarant que « Le débiteur américain et son créancier chinois se sont enfermés dans une étreinte symbiotique. » Sa conclusion, sans surprise, est que l’UE « doit insister pour que la Chine et les États-Unis corrigent leurs déséquilibres économiques, sans faire payer aux autres cet ajustement. »

C’est précisément le sens de la demande européenne d’une fin de l’alignement du yuan sur le dollar – les États-Unis devraient « se rééquilibrer » d’une manière qui maximise les bénéfices pour les puissances européennes. Il est significatif que le premier ministre chinois Wen ait solennellement rejeté une telle approche – signe supplémentaire des frictions de plus en plus profondes et irréconciliables entre grandes puissances.

Article original, WSWS, paru le 4 décembre 2009.



Articles Par : John Chan

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