Les tensions s’accentuent au sein de l’establishment iranien

Le discours prononcé par l’ex-président milliardaire iranien Ali Akbar Hashemi Rafsanjani au cours de la séance de prière de vendredi dernier à l’Université de Téhéran indique que la lutte qui fait rage au sein de l’élite dirigeante de la République islamique depuis l’élection du mois dernier s’intensifie.

Rafsanjani, l’un des principaux alliés du candidat de l’opposition Mir Hossein Moussavi, s’est servi de son sermon pour appeler à la libération des Iraniens arrêtés aux manifestations qui contestaient les résultats de l’élection. Il a aussi appelé à des mesures, qu’il n’a pas spécifiées, afin de « calmer » la crise et les « doutes » au sujet du décompte des votes du 12 juin qui était a-t-il dit entre les mains de certaines sections de la population, y compris ce qu’il a décrit comme « une grande section de nos gens savants et instruits ».

L’ancien président a vertement critiqué la couverture des élections par la radio et la télévision d’Etat et ses retombées. Bien qu’il ne l’ait pas nommé, le discours de Rafsanjani fut largement perçu comme étant dirigé contre le chef suprême Ayatollah Ali Khamenei, qui avait fait un discours au même endroit un mois plus tôt, déclarant les élections légitimes, accusant les étrangers d’avoir incité les manifestations et exigeant l’arrêt de ces dernières.

Le programme politique de droite de l’opposition fut exprimé par les slogans criés par la foule vendredi dernier. Lorsque les haut-parleurs firent entendre le slogan traditionnel « Mort aux Etats-Unis » (qui remonte à la révolution de 1979), les manifestants répondirent en criant « Mort à la Russie » et « Mort à la Chine ».

Ce qui était exprimé n’était pas une certaine hostilité envers les politiques répressives des régimes chinois et russe mais plutôt la demande que soit effectué un changement fondamental dans la politique de l’Iran, vers un accommodement avec l’impérialisme américain et des liens plus étroits avec le capital occidental. Cette orientation politique vient rejoindre les objectifs de Washington, y compris le développement d’opérations d’espionnage en Iran.

Rafsanjani a enveloppé ses remarques d’appel au compromis et à l’unité au sein de la direction, déclarant : « Ces temps et ces circonstances sont difficiles. Personne d’aucune faction ne souhaitait en arriver là. Nous avons tous subi des pertes. » Il sembla accepter la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad comme un fait accompli : « De toute façon, c’est fait. Cette étape est passée et nous entrons dans une autre. »

Mais Rafsanjani est un tacticien hautement expérimenté. On l’appelle « le requin » dans les milieux politiques iraniens. Opposant acharné d’Ahmadinejad qui l’a défait dans l’élection présidentielle de 2005, il perçoit clairement que le rapport de force est en train de changer dans l’Etat bourgeois iranien et dans l’ensemble des milieux dirigeants du pays. Son discours semblait vouloir sonder politiquement le terrain et tenter de rallier les forces de l’Etat dans le but d’effectuer un changement stratégique dans la politique intérieure et étrangère.

Dans la foulée du discours de Rafsanjani, l’autre ancien président que l’on identifie à Moussavi et les autres « réformateurs », Mohammad Khatami, a appelé à un référendum sur la légitimité du gouvernement Ahmadinejad. Il loua le discours de Rafsanjani, répétant sa demande que « l’on doit rétablir la confiance du public ».

Khamenei, le guide suprême, a réagi lundi à ces pressions en faisant appel publiquement à « l’élite » de l’Iran.

« L’élite doit être vigilante car elle fait face à un test majeur », a-t-il affirmé. « Echouer le test entraînerait sa chute. »

Dans un commentaire qui semblait être adressé à Rafsanjani, Khamenei ajouta, « Quiconque conduit la société à l’insécurité et au désordre sera méprisé par la nation iranienne, peu importe de qui il s’agit. »

Avec leurs appels à l’unité de « l’élite », les déclarations des deux côtés reflète la crainte partagée par toutes les factions de l’establishment iranien que ses conflits fratricides vont créer les conditions où les travailleurs et la population opprimée de l’Iran vont pouvoir intervenir dans une lutte pour leurs propres intérêts.

Il semblerait qu’Ahmadinejad tente d’apaiser les éléments « réformateurs » au sein de l’establishment politique avec un important remaniement de son cabinet et un appel à l’élite et aux intellectuels du pays, publié sur le site web du président, déclarant que « tous ceux intéressés à coopérer à différents niveaux de direction sont invités ».

Cependant, l’une des premières tentatives visant à concrétiser cette politique a créé davantage de controverse. Ahmadinejad a nommé le beau-père de son fils, Asfandiar Rahim-Mashaei, le directeur de l’Organisme pour l’héritage culturel, l’artisanat et le tourisme, au poste de vice-président. Cette nomination à provoqué l’indignation des partisans mêmes d’Ahmadinejad, qui n’ont pas oublié la controverse entourant une déclaration qu’avait faite Mashaei l’an dernier, affirmant que l’Iran « est l’ami… du peuple israélien ».

Bien que le réseau de télé iranien de langue anglaise Press TV ait rapporté lundi que Mashaei s’était désisté de son poste face aux manifestations de gens en colère, son propre site web a publié une réponse qualifiant le reportage de « mensonge… répandu par les ennemis du gouvernement ».

Le fait que le soi-disant mouvement de « réforme » compte sur Rafsanjani montre avec éloquence quel est son véritable programme. Rafsanjani, agissant en tant qu’allié politique le plus en vue de Moussavi et fournissant des ressources considérables à sa campagne, est devenu une question centrale dans la lutte présidentielle. Ahmadinejad a efficacement exploité les liens de son opposant avec un homme largement perçu comme le personnage le plus corrompu de la politique iranienne.

En 2005, le journal allemand taz a fourni un portrait cru de Rafsanjani et de sa famille :

« L’homme de Dieu, qui gagnait une maigre pitance en prêchant la rédemption au paradis pour les croyants, possède maintenant une fortune estimée à plus d’un milliard de dollars américains. Il est le plus grand exportateur iranien de pistaches. Avec sa famille, il possède plusieurs centres touristiques autant en Iran qu’à l’étranger. Son fils aîné, Mohsen, est en train de construire le métro de Téhéran; son deuxième fils, Mehdi, est dans le secteur du gaz naturel et du pétrole; son fils le plus jeune possède de vastes territoires de terres agricoles; ses deux filles, Faezeh et Fatima, sont actives dans l’immobilier autant en Iran qu’à l’étranger. Les cousins, neveux et nièces de Rafsanjani possèdent une part considérable de l’industrie domestique de l’automobile et contrôlent une bonne partie des exportations de pistaches et de safran ainsi que l’importation de véhicules, de papier et de machinerie. Une part considérable du marché noir iranien est contrôlée par le clan Rafsanjani. »

Rafsanjani et d’autres alliés importants de Moussavi ne sont pas motivés par un souci des droits démocratiques et sociaux du peuple iranien. Au contraire, ils sont des défenseurs d’une introduction plus rapide de politiques de libre marché ainsi que d’une ouverture au capital étranger et de liens plus étroits avec Washington. Ils voient tout cela comme des façons d’étendre leur richesse. Leur indifférence aux conditions auxquelles font face les masses de travailleurs iraniens est exprimée par leur mépris ouvert pour les programmes limités d’aide sociale introduits par Ahmadinejad, qu’ils voient comme un gaspillage de ressources.

Le soutien de Washington pour cette opposition est enraciné dans son propre intérêt qui est de réaliser un changement dans les hautes sphères du régime iranien qui rendrait ce dernier plus maniable pour les intérêts stratégiques américains dans la région, où les Etats-Unis sont encore aux prises dans deux guerres, tout en ouvrant l’Iran aux activités profitables des transnationales américaines et des intérêts financiers.

En termes de classe, les forces qui entourent Rafsanjani représentent les couches les plus réactionnaires de la société iranienne. Ces forces semblent gagner de la force, posant un sérieux danger à la classe ouvrière et à la population opprimée de l’Iran.

Les médias américains, menés par le New York Times, qui ont louangé Rafsanjani et ont dépeint son sermon comme le « discours de sa vie », ont accueilli le changement apparent dan les cercles dirigeants iraniens avec une joie ouverte. Tout en présentant l’opposition comme un mouvement pour la « démocratie », les défenseurs médiatiques aguerris des intérêts américains sont très au courant des implications stratégiques du programme poursuivi par Rafsanjani.

Ensuite, il y a la réaction du magazine Nation au discours de Rafsanjani, qui sert de porte-parole de premier plan pour les cercles petit-bourgeois ex-gauchistes aux Etats-Unis.

Dans son dernier article sur l’Iran, Robert Dreyfuss, le conseiller de rédaction qui collabore au magazine et qui est spécialisé dans la politique étrangère et dans la sécurité nationale (voir en anglais : « The Nation’s man in Tehran: Who is Robert Dreyfuss ?« ), défend la politique iranienne de l’administration Obama contre les critiques de droite, comme le Wall Street Journal, qui demande la fin des offres américaine de négociations avec Téhéran. Le débat est sur les tactiques plutôt que sur la stratégie, entre deux côtés qui se consacrent au « changement de régime. »

« La politique d’Obama, réitérée cette semaine par la secrétaire d’Etat Clinton, n’est pas de « se dépêcher » à donner une légitimité à Ahmadinejad » écrit Dreyfuss. « Plutôt que l’isolement diplomatique, plus de sanctions, la pression militaire et la guerre, Obama offre à l’Iran de l’intégrer à la communauté des nations. C’est précisément cette stratégie qui anime et qui donne vie à l’opposition en Iran, qui voit Moussavi comme un véhicule pour mettre fin à l’isolement de l’Iran et pour négocier respectueusement avec les Etats-Unis sur la base d’intérêts mutuels. »

Cela ne pourrait être plus clair. Le Nation soutien Obama parce qu’il poursuit ce qu’il perçoit comme la politique la plus sensée pour changer le régime en Iran et amener un leadership qui se consacrerait à « négocier respectueusement » avec Washington « sur la base d’intérêts mutuels ».

Quels intérêts mutuels, pourrait demander un lecteur ? Clairement, ce ne sont pas ceux des travailleurs en Iran ou aux Etats-Unis, mais plutôt les intérêts de profits des personnages comme Rafsanjani et les intérêts stratégiques de l’impérialisme américain.

Ces intérêts comprennent l’obtention d’une collaboration plus étroite de l’Iran dans la poursuite des interventions militaires de Washington en Irak, en Afghanistan et au Pakistan. Les évènements iraniens ont servi de véhicule important pour des couches de la classe moyenne qui se présentaient comme étant « de gauche » et qui protestaient contre la politique des Etats-Unis sous l’administration Bush pour ensuite soutenir la guerre impérialiste sous Obama.

La crise en Iran pose de sérieux dangers pour la classe ouvrière iranienne. Un tournant vers l’impérialisme et les capitaux étrangers, sous l’impulsion de Washington, va inévitablement signifier une intensification des attaques sur le niveau de vie et les droits fondamentaux de la classe ouvrière.

Les travailleurs iraniens ne peuvent défendre leurs intérêts de classe ou contrecarrer les objectifs de l’impérialisme américain en s’alignant derrière la faction supposément « réformiste » de Rafsanjani et Moussavi ou des autoproclamés « hommes de principe » menés par Khamenei et Ahmadinejad. Ce n’est seulement qu’en mobilisant sa propre force politique et en ralliant les masses opprimées que la classe ouvrière iranienne pourra établir de véritables droits démocratiques et sociaux. Cela requiert la lutte pour un gouvernement ouvrier et la transformation socialiste de l’Iran comme partie d’une lutte mondiale pour le socialisme.

Article original anglais paru le 21 juillet 2009.



Articles Par : Bill Van Auken

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