Les USA et l’OTAN envahissent la Libye pour y combattre des terroristes qui sont leur propre création.

Une force d’occupation de près de 6000 hommes est d’ores et déjà en route pour envahir la Libye et s’y emparer de champs pétroliers prétendument menacés par des terroristes que l’OTAN a armés et mis au pouvoir en 2011. Un récent article du London Telegraph évoque, presque en appel de note, l’envoi sur le terrain d’une force occidentale considérable pour occuper militairement la Libye dans le cadre d’une opération qui, selon le journal, aurait pour mission de combattre le soi-disant Etat Islamique (Daesh). Selon cet article (Islamic State battles to seize control of key Libyan oil depot), l’opération prévoit qu’un millier de soldats britanniques formeront avec l’Italie – ancienne puissance coloniale en Libye – un corps expéditionnaire de 6 000 hommes sensés entraîner et conseiller les forces libyennes. Mais les Forces Spéciales britanniques pourraient aussi être amenées à y prendre physiquement part aux combats.

En principe, l’envoi d’un corps expéditionnaire occidental de 6 000 hommes en Libye aurait dû faire la Une des journaux, avec des polémiques enragées, avant même que l’opération soit avalisée. En réalité, de toute évidence, sans aucun débat, sans l’aval du public et sans la moindre vaguelette médiatique, les Etats-Majors US et européens – notamment les anciennes puissances coloniales : l’Italie et l’Angleterre – ont décidé, une fois de plus, de lancer une intervention militaire directe en Libye.

Dans un article du Mirror (SAS spearhead coalition offensive to halt Islamic State oil snatches in Libya), on apprend que les 6 000 militaires occidentaux en question devront tenir tête à quelque 5 000 terroristes de Daesh – ce qui laisse franchement sceptique sur la véracité des intentions justifiant l’intervention militaire et sur la nature de l’ennemi qu’elle est supposée combattre. En général, la doctrine militaire prescrit plutôt pour les forces d’invasion une supériorité numérique massive sur celles de leurs adversaires. En 2004, par exemple, pour la prise de Fallujah en Irak, les USA avaient déployé plus de 10 000 hommes sur le terrain pour à peine 3 ou 4 000 défenseurs. Ce qui signifie qu’il n’y a, en réalité, aucune intention réelle de mener de vastes opérations pour s’en prendre frontalement à Daesh et le détruire. A l’instar des autres interventions occidentales menées ailleurs, cette opération a au contraire été planifiée pour pérenniser la menace de Daesh et, de facto, pérenniser l’alibi d’une intervention militaire extraterritoriale permanente en Libye et bien au-delà. Délibérément installée à demeure en Libye, cette force occidentale sera inévitablement renforcée pour prendre part aux opérations de l’US AFRICOM à travers toute l’Afrique du Nord.

Les forces de l’OTAN sont « confrontées » aux terroristes qu’elles mettent au pouvoir

Ce que démontrent les spécialistes de la géopolitique depuis 2011, c’est que les organisations telles qu’Al-Qaïda et ses divers avatars sont loin d’être d’authentiques adversaires des Occidentaux. Outre qu’elles sont financées, armées et soutenues par les plus proches et les plus anciens alliés des Occidentaux au Moyen Orient – en particulier les Saoudiens et les Qataris – ces organisations ont une fonction duplice. D’une part, elles sont autant d’armées mercenaires au moyen desquelles les puissances occidentales déstabilisent leurs pays cibles (« proxy wars »). D’autre-part,  elles leur servent de prétexte pour lancer des interventions militaires directes lorsque la déstabilisation échoue ou n’est pas une option.

On en a vu une première illustration dans les années 1980, lors de la création même d’Al-Qaïda, utilisée comme force mercenaire par les USA et les Saoudiens pour combattre les soviétiques en Afghanistan. En 2001, la présence d’Al-Qaïda en Afghanistan allait néanmoins servir de prétexte au déclenchement d’une invasion US, dont les forces d’occupation n’ont toujours pas quitté le pays.

En 2011, ce sont littéralement ces mêmes terroristes qui ont été organisés, armés, financés et dotés de l’appui aérien de l’OTAN pour renverser le gouvernement libyen. Ils furent ensuite réarmés et embarqués vers la Turquie, membre de l’OTAN, d’où ils allaient envahir le nord de la Syrie, et plus spécifiquement la région d’Idlib et la cruciale cité d’Alep.

Dans son article « REPORT: The US Is Openly Sending Heavy Weapons From Libya To Syrian Rebels », le Business Insider rapporte que « selon les déclarations de l’administration, la précédente opération secrète de la CIA à Benghazi visait notamment la saisie, la recherche et la destruction de l’armement lourd pillé dans les arsenaux du gouvernement libyen. Mais en octobre dernier, nous rapportions la preuve que des agents US – en particulier l’ambassadeur Chris Stevens, assassiné le 11/09/2012 à Benghazi) – étaient incontestablement au courant du transfert de l’armement lourd libyen vers les djihadistes syriens.

Dès le début de l’été 2012, on avait déjà constaté en Syrie la présence de probables SA-7 (missiles sol-air à guidage infra-rouge), et divers éléments indiquent qu’une partie au moins des 20 000 missiles portables à guidage infra-rouge de Kadhafi y ont été expédiés de longue date.

Le 6 septembre [2012], un cargo libyen transportant 400 tonnes d’armement à destination de la rébellion syrienne accostait au sud de la Turquie. Le capitaine du navire était « un Libyen de Benghazi » travaillant pour le nouveau gouvernement de libyen. L’affréteur de cette cargaison, Abdelhakim Belhaj, à la tête du Conseil militaire de Tripoli, travaillait directement avec Stevens pendant la révolution libyenne.

L’insistance du Business Insider sur le fait qu’Abdelhakim Belhaj travaillait directement avec Stevens, n’est pas sans importance. Belhaj était purement et simplement le leader du LIFG (Libyan Islamic Fighting Groupe : Groupe islamique de combat libyen), organisation terroriste répertoriée par le Département d’Etat comme Al-Qaeda in Libya. Bien que clairement lié à Al-Qaïda, il était ouvertement soutenu par les USA pendant la campagne libyenne de 2011, et on le retrouvait plus tard sur des photos, posant avec des sénateurs US (y compris John McCain) au lendemain du renversement de Kadhafi par l’OTAN. Ex-leader du LIFG, Abdelhakim Belhaj, serait notamment devenu aujourd’hui l’un des dirigeants de Daesh en Libye.

En mars 2015, un reportage de Fox News (Herridge: ISIS Has Turned Libya Into New Support Base, Safe Haven [Daesh a fait de la Libye une nouvelle base arrière sanctuarisée]) expliquait que l’un des dirigeants de Daesh en Afrique du Nord serait Abdelhakim Belhaj, considéré par les USA comme collaborateur volontaire dans le renversement du dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 2011. « On annonce aujourd’hui qu’il s’est fermement rangé aux côtés de Daesh, dont il finance les camps d’entrainement à l’Est de la Libye » précisait Herridge.

Il est on ne peut plus évident que les Occidentaux ne combattent absolument pas Daesh mais qu’ils l’ont au contraire délibérément créé et pérennisé, afin de justifier leurs opérations militaires et géopolitiques dans la zone Proche-Orient/Afrique du Nord, et pour imposer leurs objectifs d’hégémonie politique, militaire et économique, tant sur le plan local que mondial.

Les équipements sont exactement les mêmes : 4×4 équipés de lance-roquettes ou de mitrailleuses lourdes. On a simplement repeint par-dessus les insignes des « rebelles » libyens les marquages noirs de Daesh, comme on ressert à Hollywood les mêmes accessoires et décors d’une série minable à l’autre. Ce que met en évidence l’intervention US-UK-EU au milieu d’une Libye ravagée sous l’emprise de terroristes – une Libye dont l’OTAN nous avait promis que son intervention de 2011 lui apporterait paix, stabilité, « liberté » et « démocratie » – c’est le danger  de condamner de même d’autres nations au sort que leur réservent les interventions des pays de l’OTAN.

Tony Cartalucci

 

Article en anglais :

Talisman Battles IEDs in Helmand Province, Afghanistan

US-NATO Invade Libya to Fight The Terrorists of Its Own Creation

Source : New Eastern Outlook, 27 janvier 2016

Traduction par Dominique Arias

Tony Cartalucci est écrivain et spécialiste de la géopolitique basé à Bankok et qui publie en particulier dans le magazine online “New Eastern Outlook”.

 



Articles Par : Tony Cartalucci

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