Les victimes vietnamiennes de l’agent orange déposeront leur appel devant la Cour suprême des États-Unis

À Washington, le 6 octobre 2008, les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange déposeront leur appel devant la Cour suprême des États-Unis d’Amérique

Le Tribunal de première instance de New York Est a jugé -sous la pression du Département de la justice-  irrecevable la plainte déposée par les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange contre les compagnies chimiques ayant fabriqué les défoliants empoisonnés. La Cour d’appel fédérale de New York a confirmé cette irrecevabilité -le Gouvernement des USA s’étant constitué amicus curiae, l’ »ami de la cour ». La Cour suprême des États-Unis, sommet du pouvoir judiciaire, est l’ultime tribunal. Conformément à son article III, la Cour suprême est compétente sur tous les cas relevant de la Constitution ou des lois des États-Unis et des traités conclus. Sa devise est « justice égale selon la loi« . La non recevabilité de l’affaire qui nous concerne porte bien sur l’interprétation d’une loi américaine: l’« Alien Tort Claims Act », instrument juridique permettant à une ou des victime d’une violation grave des droits de l’homme de chercher réparation à travers une procédure civile devant les tribunaux américains.

Le pouvoir de la Cour suprême ne décide en première instance que dans des cas rares: affaires engageant un des États de l’Union, un diplomate ou État étranger. Pour toute autre affaire, comme celle qui nous intéresse, elle a une compétence d’appel. Dans tous les cas, son jugement, lui, est sans appel. Elle se limite aux affaires les plus importantes -ce qui est quand même le cas de celle-là- et détermine si les lois des États-Unis ou celles des États fédéraux sont compatibles avec la Constitution dont elle est le traducteur final. Au début du siècle précédent, un gouverneur de l’État de New York déclarait au cours d’un discours officiel: « La Constitution est ce que la Cour suprême dit qu’elle est ». C’est donc elle qui définit en dernier ressort les droits fondamentaux des citoyens états-uniens, parfois de manière large, tantôt de façon limitative -comme ça risque d’être le cas pour les victimes de l’Agent Orange- et les protège.

Ce pouvoir de contrôle de constitutionnalité est l’essentiel du rôle de la Cour suprême bien qu’il ne soit pas explicité dans la Constitution. La Cour se l’est attribué en 1803 dans son arrêt Marbury v. Madison souvent dénoncé comme une usurpation. Le président de l’époque, Thomas Jefferson, déclare que cette décision fait de la Constitution « un simple objet de cire dans les mains du pouvoir judiciaire ». Qu’on le reconnaisse comme légitime ou usurpé, de nos jours ce pouvoir n’est plus remis en cause dans son principe. L’usage particulier que la Cour peut en faire en diverses occasions l’est davantage et, dans l’affaire qui nous concerne, c’est bien le cœur du problème compte tenu que le Gouvernement des États-Unis est intervenu en Cour d’appel fédérale par le biais de l’amicus curiae, comme le Département de la justice avait fait pression sur le Tribunal de première instance de New York Est précédemment.

La constitutionnalité des lois aux États-Unis n’est faite qu’après sa promulgation et n’est donc, le cas échéant, examinée que dans le cadre d’une affaire particulière. Il est alors possible qu’une loi ou son utilisation soit jugée totalement ou partiellement inconstitutionnelle. La décision rendue par la Cour suprême s’applique aux parties de l’affaire jugée et n’abroge pas la loi en question. Cependant, elle constitue un précédent que les autres tribunaux doivent appliquer. Pour une loi fédérale, les appels font que la Cour suprême est amenée à se prononcer, comme dans le cas qui nous intéresse.

On reproche aussi à cette Cour son poids sur les institutions fédérales américaines: « de gouvernement des juges« . Depuis ses premiers arrêts, la Cour est restée un instrument donnant une interprétation de la Constitution fédérale favorable aux pouvoirs de l’État fédéral, accusation qui date de la lutte de Roosevelt contre la jurisprudence traditionnelle de la Cour qui refusait l’application des mesures nécessaires pour mettre fin à la crise de 1929. Le conflit s’était alors résolu par la mort inopinée de plusieurs juges, ce qui avait permis à Roosevelt de nommer des juges lui étant favorables. Ce qui en dit long.

Le Congrès fixe par la loi le nombre des juges siégeant à la Cour suprême: sept a l’origine, neuf depuis 1869, dont un président. Le président est appelé Juge en chef, les autres, Juges associés. Le protocole place le président en premier et les autres juges suivent par ordre d’ancienneté dans cette Cour. L’article III fixe leur mode de nomination et leurs privilèges, identiques à ceux des autres juges fédéraux: ils sont nommes par le Président des Etats-Unis, avec le consentement du Sénat. Ils occupent leur fonction aussi longtemps qu’ils le souhaitent et leur traitement ne peut être diminué pendant cette durée. Ils peuvent seulement être destitués après jugement du Congrès selon la procédure d’impeachment qui s’applique au Président des États-Unis, chose qui n’est jamais arrivée à un juge de la Cour suprême. La Constitution n’impose aucune contrainte sur la personne qui peut être nommée. Il s’agit généralement de juristes éminents, nommés à vie. Si les juges souhaitent prendre leur retraite, c’est à un grand age, lorsqu’un président issu de leur parti occupe la Maison Blanche. C’est dire.

Le Code des États-Unis voté par le Congrès, organise le système judiciaire fédéral, en complément de la Constitution. Il donne les grandes lignes du fonctionnement de la Cour suprême, notamment sa composition, neuf juges, six d’entre eux formant un quorum : les deux tiers. Le code est complété par le règlement établi par la Cour elle-même.

Á quelques exceptions près, prévues dans l’article III, la Cour a une compétence d’appel. Elle l’exerce de façon régalienne, acceptant ou refusant la délivrance d’un mandat qui enjoint la cour ayant jugé précédemment l’affaire de lui transmettre le dossier. La Cour précise dans son règlement sur quels critères elle accepte les appels: il faut que l’affaire contienne une question de droit importante portant sur la Constitution ou la loi des États-Unis et que cette question n’ait pas encore été tranchée, ou que la cour inférieure ait décidé en contradiction avec la jurisprudence antérieure -d’où l’intérêt états-uniens d’avoir dédommagé à l’amiable les vétérans américains victimes de l’Agent Orange afin de ne pas créer un précédent pouvant servir de jurisprudence L’appelant souhaitant faire appel à la Cour suprême y dépose une demande écrite pour lui demander de prendre l’affaire en appel, les victimes vietnamiennes y résumeront l’affaire et exposeront leurs arguments à l’encontre des décisions des cours inférieures. L’affaire sera acceptée seulement si quatre juges votent en ce sens. Sinon, l’arrêt de la cour inférieure sera confirmé -une fin de non recevoir. La cour inférieure est normalement une cour fédérale d’appel, comme c’est le cas de l’affaire vietnamienne. Autrement dit, dans un premier temps, les juges de la Cour suprême devront voter la recevabilité de cet appel contestant les jugements d’irrecevabilité de la plainte vietnamienne par les cours précédentes.

Une fois l’appel accepté -une fin de non recevoir serait honteuse-, l’affaire sera inscrite au rôle de la Cour. La Cour fixera elle-même l’ordre des auditions. Les parties impliquées dans l’affaire remettront alors leurs arguments par écrit. Une personne non partie à l’affaire, mais intéressée par la question fédérale en jeu pourra demander à soumettre en tant qu’amicus curiae (ami de la cour) et éventuellement, à plaider. Ce qui sera certainement le cas du Gouvernement des États-Unis d’Amérique puisque celui-ci l’a déjà fait en Cour d’appel fédérale. La Cour peut de sa propre initiative solliciter des avis, souvent celui du Gouvernement Fédéral -dans le cas qui nous intéresse, il viendra de lui-même-, représenté par le Département de la Justice, ou de certains États, notamment quand la validité de leurs lois est en jeu -et même lorsque de grands intérêts sont aussi en jeu comme dans l’affaire qui nous concerne. Après étude des arguments, les juges fixeront la date de l’audience, généralement limitée à une heure -c’est vraiment très peu pour une affaire aussi imposante que celle des victimes de l’Agent Orange- au cours de laquelle les avocats des parties, et des amici curiae, présenteront leurs arguments et répondront aux questions des juges. Par la suite, les juges se réuniront à huis clos et après discussion de l’affaire, procèderont à un vote. S’il y a égalité, l’arrêt de la cour inférieure sera confirmé, comme si l’appel n’avait jamais existé. Sinon, celui des juges qui vient en premier dans l’ordre protocolaire et ayant voté avec la majorité désignera, parmi les membres de la majorité, celui qui rédigera le jugement. Cette opinion ne sera peut-être pas signée, on parlera alors d’opinion pour la Cour. L’opinion, qui rappellera l’affaire et détaillera le raisonnement légal conduisant au jugement, deviendra un précédent liant ensuite tous les tribunaux américains. Et l’arrêt sera publié.


Le 18 juin 2008, à l’extérieur de la cour fédérale à New-York. WW photo: Ellen Catalinotto

Composition actuelle de la Cour:

John G. Roberts Jr., Juge en chef, nommé en 2005 par George W. Bush

John Paul Stevens,  Juge associé, nommé en 1975 par Gerald Ford

Antonin Scalia, Juge associé, nommé en 1986 par Ronald Reagan

Anthony Kennedy, Juge associé, nommé en1988 par Ronald Reagan

David Souter, Juge associé, nommé en 1990 par George H. W. Bush

Clarence Thomas, Juge associé, nommé en 1991 par George H. W. Bush

Ruth Bader Ginsburg, Juge associé, nommé en 1993 par Bill Clinton

Stephen Breyer, Juge associé, nommé en 1994 par Bill Clinton

Samuel Alito, Juge associé, nommé en 2005 par George W. Bush

André Bouny, père adoptifs d’enfants vietnamiens, président du « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York » (CIS).



Articles Par : André Bouny

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