L’État islamique et la stratégie du chaos de l’Empire américain: Les « stupidités » d’Obama prises à revers

PARIS – Je me balade en Europe depuis un moment et la vedette du spectacle est sans contredit le calife. Abou Bakr al-Baghdadi n’a rien de moins que ravi à Vladimir Poutine le titre de docteur Denfer de l’heure. Pourquoi se contenter d’une bonne vieille Guerre froide 2.0 ? Le Pentagone l’a maintenant éclipsée avec sa « guerre de longue durée », la désormais familière Guerre globale contre le terrorisme.

Obama a d’abord promis que des troupes terrestres ne seraient pas déployées pour combattre le calife. Bref, pas de nouvelle invasion de l’Irak. Puis le général Martin Dempsey, chef de l’état-major interarmées, a dit que si la doctrine en matière de politique étrangère en place (qui consiste, selon Obama, à « ne pas faire de conneries ») ne fonctionne pas (vous pouvez en être sûrs), il aura recours à des troupes terrestres, intégrées ou non.

Juste au bon moment, voilà que le calife joue la carte hollywoodienne en présentant la bande-annonce de la mégaproduction à venir du Califat, Flames of War (Les flammes de la guerre) [1], réalisée par Michael Bay (sortie prévue en automne 2014). Aura-t-on droit à une diffusion directe en ligne par Netflix?

L’école de géopolitique de Marvel Comics n’en finit plus de nous éblouir.

Fais-moi confiance chérie

Pendant ce temps, à Paris, le président-général François Hollande se meurt d’envie de déployer ses Rafales et de s’engager dans une nouvelle guerre [2]. C’est à peu près tout ce qui reste à ce président malheureux pour lui remonter le moral, son administration ayant à peine survécu à un vote de « confiance ». Beau contraste que cette « confiance », avec les épithètes pas très tendres qui ne cessent de pleuvoir sur son équipe, proférées par des Parisiens en grande partie au chômage, taxés à outrance et submergés de tracasseries administratives.

Obama a déjà envoyé 475 « conseillers » militaires supplémentaires à Bagdad et au Kurdistan irakien. Au moins 1 600 militaires américains sont déjà sur le terrain en Irak. C’est ainsi que tout a commencé au Vietnam. La CIA, qui dispose d’un service du renseignement sur place incomparable, jure qu’il y a exactement 31 785 djihadistes au service du calife. « À peu près » conviendrait mieux. Deux-tiers de ces combattants seraient en Syrie. La nouvelle guerre englobe donc tout le territoire de la « Syrak », qui correspond à ce que le calife appelle l’EI, l’État islamique, son émirat privé.

Le non moins méticuleux général Dempsey, pour sa part, est certain qu’il faudra compter jusqu’à cinq mois pour former et armer un nouveau groupe de rebelles « modérés » qui luttera contre le calife. Mais j’y pense ! La bébête opinion publique mondiale ne devait-elle pas croire que les rebelles « modérés » d’avant, soutenus par le Qatar, finiraient un jour par remplir le mandat qu’Obama leur avait confié, à savoir « qu’Assad doit partir » ? Non, elle ne l’a pas cru.

« Nos » escrocs du pétrodollar faisant partie du Conseil de coopération du Golfe ont dûment promis de contribuer à la nouvelle guerre d’Obama, tout comme l’Égypte, la Jordanie, le Liban et l’Irak. La Turquie se contentera du front « humanitaire », tout en fermant les yeux sur le pétrole de contrebande vendu sur son territoire par les brutes du calife.

Les membres de la misérable Ligue arabe ont solennellement signifié leur « détermination » à mettre fin à l’écoulement d’armes et d’argent en direction du calife. Ce n’est pas eux qui auraient le courage des peshmergas kurdes, qui viennent de tuer le chef de l’EI à Mossoul. Si l’on se fiait aux renseignements sur le terrain et qu’on suivait la trace de l’argent ayant pris le chemin du pétrole de contrebande, on en aurait terminé avec le califat en moins de deux. Mais ce n’est pas le but de l’incessante Guerre mondiale contre le terrorisme.

Tu nous donnes un coup de main, calife ?

Avec toutes ces émotions fortes dignes d’Hollywood, qui se soucie de l’Ukraine ? Elle était disparue du fil de l’actualité après l’imposition de la dernière série d’affreuses sanctions par les États-Unis et l’Union européenne, mais elle revient sous les feux de la rampe en ce moment même, avec la visite que rend l’oligarque ukrainien devenu président, Petro Porochenko, à la Némésis du calife à Washington.

Attendez-vous donc à un retour en force de la rhétorique sur l’Empire du mal, et à amplement d’indignation à propos de « l’invasion » russe de l’Ukraine. Ça ne devrait durer qu’un jour, tout au plus. Car « ne pas faire de conneries » est une doctrine qui change de tube aussi souvent que lorsqu’on surfe sur iTunes. Le tube du moment, c’est l’offensive en « Syrak », encore une autre opération « cinétique » d’Obama, un remix de Où sont passés les vrais rebelles ? de Gaston Mandeville [3].

Les groupes de réflexion américains ont ainsi amplement de temps pour clamer haut et fort que « l’agression » russe profitera de l’attention portée au tube de l’heure pour « avancer » en Europe centrale et de l’est, et que la « menace » chinoise en profitera pour « dominer » le Pacifique occidental. Mais qu’est-ce qui est le plus crucial pour l’Empire du Chaos ? La Russie, la Chine ou la « Syrak » ? Il n’en a pas la moindre idée. Il essaie juste de « ne pas faire de conneries ».

Malgré toute la paranoïa éruptive dans les officines de Washington, la situation dans son ensemble, à long terme, indique que Moscou va étendre les tentacules du Pipelinistan partout en Europe de l’est jusqu’en Europe de l’ouest, élargissant ainsi sa zone d’influence commerciale « douce ». Aucune « invasion » ne sera nécessaire.

Dans le dossier ukrainien, la situation dans son ensemble indique que l’Union européenne est en proie à une crise horrible, sous le coup d’une troisième récession en cinq ans, et que de toute évidence elle a ni l’argent, ni la volonté de payer les factures astronomiques de l’Ukraine. Tôt (des négociations s’entament ce samedi à Berlin) ou tard, l’Union européenne devra trouver un terrain d’entente avec Moscou pour garantir ses précieuses livraisons de gaz naturel.

Reste la belliciste Otan, cette sorte d’Union européenne sous la coupe du Pentagone. Malgré toute la rhétorique à propos de la dérisoire « force de réaction rapide », il n’en demeure pas moins que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord n’aura pas le courage de se mesurer à la Russie, par l’entremise de troupes déployées en Ukraine. Obama ne fera pas non plus la « connerie » de bombarder du haut des airs les fédéralistes au Donbass, comme si les Russophones en Ukraine, qui défendent leur terre et leur langue contre une forme de nettoyage ethnique à petit feu, pouvaient se comparer aux brutes multinationales du calife en « Syrak ». L’opinion publique américaine sait fort bien (ou peut-être pas) que ce n’est pas demain la veille que les habitants du Donbass menaceront de traverser à El Paso.

Que de travail pour pivoter de la Guerre mondiale contre le terrorisme à la « cour des grands » en Eurasie. Puis quel manque de temps (et de compétence). Les brutes du calife ont annoncé officiellement qu’elles veulent la tête de Poutine. Si seulement le Pentagone pouvait donner le travail en sous-traitance.

Pepe Escobar

 

Article original en anglais :

obama-hand-face

ISIS and the U.S. Empire of Chaos in Iraq and Syria: Obama’s ‘Stupid Stuff’ Turned Upside Down, 18 septembre 2014

Traduit par Daniel pour vineyardsaker.fr

Notes

[1] ISIS Flames of War, vidéo produite par l’EI, 17-09-2014

[2] François Hollande : « Il n’y a pas de temps à perdre » face à l’EI, France 24, 15-09-2014

[3] NdT : Dans l’article original, Pepe Escobar fait référence à la chanson Rebel Yell, de Billy Idol. Nous avons choisi de remplacer cette référence par Où sont passés les vrais rebelles ?, du regretté chanteur québécois Gaston Mandeville.

 

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), et de Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009).



Articles Par : Pepe Escobar

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