Lettre aux Français colonisés.

Si vous avez eu l’occasion de feuilleter certains grands quotidiens parisiens, vous aurez pu constater que, depuis des années, la langue française n’a cessé de s’américaniser. Nous sommes passés du franglais à un jargon qui n’a plus grand-chose à voir avec le français. Bien sûr, une langue qui n’évolue pas est une langue morte ; toutes les langues empruntent aux autres des mots, des tournures, et chacune s’enrichit, mais, cette fois-ci, nous sommes devant une véritable invasion, une colonisation orchestrée par une pseudo élite.

Je note une différence entre les journaux parisiens qui poussent chez nombre de journalistes cette manie au plus haut degré et les journaux régionaux qui, en général, sont plus réticents à employer des mots d’origine américaine. Lire certaines revues et journaux parisiens devient, pour tout amoureux de la langue française, une véritable épreuve. Nous ne sommes pas obligés de les lire, ces articles, mais rares sont les journaux qui échappent à cette manie et les autres, malheureusement, donnent le ton et cela se répercute partout. Lorsque l’on a commencé à parler du franglais, plusieurs personnes ont minimisé le problème. Actuellement nous sommes dans un dérapage grotesque et vertigineux. Au Québec, tout le monde est sensible à cette caricature de français que nous entendons sur les ondes de France et voyons dans les journaux. Faut-il encore expliquer aux Français qu’au Québec nous avons sans cesse lutté, par l’histoire et par notre environnement géographique, pour protéger la langue française. Les mots américains se sont introduits avec les produits américains, de l’évier à l’enjoliveur, de l’essuie-glace à la voie ferrée. Par un effort considérable et grâce à des éducateurs chevronnés, des grammairiens passionnés, des linguistes influents et une population attachée à la langue française, le Québec est devenu le défenseur farouche de cette langue de plus en plus bafouée en France. Il y a en France beaucoup de gens qui sont mobilisés contre cette manie d’introduire des mots américains dans le langage courant, ces défenseurs sont beaucoup plus nombreux qu’on le pense, mais il reste que les grands journaux font l’inverse. Le Québec a montré que la plupart des mots américains pouvaient être traduits, et d’une belle façon, et qu’il n’était pas nécessaire de truffer chaque phrase d’une bouillie importée et sans saveur. Certaines personnes en France qui exercent à de hauts niveaux n’ont pas toujours la dignité de parler français ! Pour nous ici, au Québec, il s’agit d’une trahison. Si la France s’obstine dans cette voie, elle se perd, aussi bien culturellement qu’économiquement ; elle s’éloigne des autres francophonies ; déjà, elle s’efface et s’abaisse. Pourquoi accélérer cette invasion ? Pour vendre ? Pour se montrer à la mode ? La France est colonisée, dominée, par une pseudo élite qui dégurgite à longueur de journée un français incompréhensible. Apprendre l’anglais, nous ne sommes pas contre, mais ne nous infligez pas ce mélange à nous qui quotidiennement nous battons pour parler français. Voyez les efforts d’un Jean-Robert Gauthier dans la défense des droits des francophones au Canada et sa lutte pour une dualité linguistique. Après la francophonie, sommes-nous entrés dans la cacophonie, comme se le demande avec justesse Impératif français, qui se bat pour défendre notre langue. Je connais des Canadiens français qui se sont fait reprocher en France de mal parler ou d’avoir un accent et qui ont décidé, là-bas, de s’adresser en anglais aux Français, fatigués qu’ils étaient de se faire humilier. Je connais des Français qui recherchent toutes les expressions québécoises et qui admirent notre parler et notre ténacité à vouloir continuer à nous exprimer en français. Je connais aussi des Français, parfois éminents, qui, dès que possible, s’adressent en anglais à leur auditoire en Europe ou en Amérique. À ces derniers, je recommanderais un petit séjour dans la ville d’Ottawa, la capitale non bilingue d’un pays soi-disant bilingue. Ils constateraient parfois que leur anglais souvent appris en Europe n’est pas toujours compréhensible ici. Quant au français, il finirait par le défendre aussi bien dans les transports en commun, les compagnies aériennes, les restaurants, les magasins et le reste. Vue de la région de la capitale nationale du Canada, je me permets de dire à tous les journalistes français qui emploient sans cesse des mots américains : « Voyez le combat ici, au Québec et en Ontario, en Acadie, au Manitoba et ailleurs au Canada, et vous comprendrez que vous nous insultez pour mieux nous tuer ! Comme vous n’avez peut-être aucun intérêt pour la langue française ou les autres francophonies, alors, malgré les coups que vous portez, sachez que nous ne nous laisserons pas mourir et qu’avec la France que nous aimons, celle qui parle le français, nous resterons unis.»

Pour ceux qui douteraient des raisons de ma colère, voici quelques mots recueillis dans les journaux français récemment. Parcourez les grands quotidiens et vous serez, tout comme moi, profondément déçus : les journaux prétendus de gauche ou de droite agissent de la même façon. Beaucoup de leurs écrits révèlent une volonté d’être colonisés.

Voici quelques exemples.

Goal, play list, My FNAC, low cost, remake, class action (recours collectif, vous ne connaissez pas ?) flash, fans, zoom, newsletters, shopping, match, seventies, crash, blog high teck, penalty score, starting-blocks, rush, spot, top, on live, on air, et, pour terminer en beauté, l’horrible standing ovation !

On aurait pu penser que le e-mail allait devenir un mèl (où est passée la malle-poste ?) ou au moins un courriel, que les news (niouzes !) resteraient des nouvelles… Mais non,  nous sommes dans le monde des delete, back space, playlists, on book une chambre, et allons-y pour le jogging et autres zapping, ice-cream et flash, jingle et timing, planning et autres incongruités qu’on veut nous imposer d’outre-mer. Amis français, vous qui aimez tant la langue française et qui voyez les attaques qu’elle subit, sachez que nous sommes avec vous pour la défense de la langue française (Nom d’une association française) et que le français a toutes les capacités pour créer des mots en remplacement des mots américains, que nous possédons des trésors dans la langue française. Que ces voleurs de langue, d’identité, cessent leur démolition. Bannissons (Boycottage !) ces journaux, réagissons auprès des éditeurs et, finalement, privons-les de notre argent. S’ils n’ont pas mal à la langue, au moins auront-ils mal au portefeuille. Sans lecteur, ils péroreront dans le désert à moins que vienne une prise de conscience.

Saluons les efforts d’associations comme L’avenir de la langue française ou Défense de la langue française, et toutes ces personnes et organismes qui, comme l’Office québécois de la langue française, nous montrent que la bataille n’est pas perdue, loin de là. Bravo à Impératif français, qui lutte sans relâche et depuis des années pour notre dignité.

Il appartient aux Français de décider, de le dire haut et fort, de réagir : le Québec a depuis longtemps choisi.

En toute amitié avec nos citoyens anglophones ou allophones francophiles, c’est en français que nous vivons et voulons vivre.

Jean-Louis Grosmaire

Écrivain-géographe

Gatineau, Québec, Canada


Jean-Louis Grosmaire est géographe et écrivain. Il a reçu le prix Louis Pergaud (Besançon, France) pour son roman historique «Tu n’aurais pas dû partir» (Édition Vermillon, 2006).



Articles Par : Jean-Louis Grosmaire

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