Lettre ouverte à Monsieur Macron, grand ami et connaisseur du Venezuela

Monsieur le président, jadis banquier d’affaires,

Que nous êtes drôle en défenseur du peuple vénézuélien ! Dommage que vous soyez si peu crédible !

Seul monsieur Rajoy, cet espèce de Franco sans barbe, fait mieux que vous sur le fond, mais il faut en convenir : vous êtes à peine un peu plus charismatique que lui. Le taiseux Rajoy a le charisme d’une brique. Et des briques, vous, vous en avez… De quoi payer des dizaines de milliers de chômeurs pour faire la queue à votre place, le jour où les marchandises viendraient à manquer : plutôt la pénurie que le Front populaire !

Outre votre ingérence insupportable, votre morgue n’a égale que votre méconnaissance de l’histoire latino-américaine, des conflits d’hier et d’aujourd’hui. En réalité, les mêmes « adversaires » depuis des siècles. Le colonialisme, l’impérialisme, les grands propriétaires, la bourgeoisie « compradora » (importatrice)… contre la multitude des « invisibles », ceux que Chavez, le métis, le « bâtard », aimait tant. Ceux pour qui, au milieu de la tempête actuelle, le régime a mis en place des comités d’approvisionnement, et subventionne les produits de base.

Le président Maduro, élu démocratiquement, légitime, n’est certes pas parfait ; trop mûr selon les uns, pas assez mûr pour les autres… Bureaucratie, corruption, inflation vertigineuse… On peut reprocher au gouvernement vénézuélien 50 000 choses, mais derrière le président, je soutiens un peuple et un processus révolutionnaire, pour qui l’objectif prioritaire depuis 15 ans, a été de faire reculer la pauvreté, et avancer la démocratie participative réelle.

C’est vrai, monsieur le président, vous qui appelâtes un jour les jeunes Français à s’enrichir, que l’excellente situation de notre pays peut vous autoriser à donner des leçons : 10% des plus riches reçoivent une masse de revenus 1,4 fois supérieure aux 50% les plus pauvres de la société (selon l’Observatoire des inégalités), tandis que les 10% plus pauvres vit avec un maximum de 900€ par mois, monsieur le président, par mois, pas par jour. Et la précarité XXL, avec le dynamitage du Code du Travail. Tous les mauvais coups de l’été et de la rentrée, contre les petits, les modestes, les humbles, qui commencent à déchanter… A tel point que l’on serait tenté de vous offrir un parachute pour freiner votre descente vertigineuse.

Savez-vous, monsieur qui êtes parvenu … à tromper des millions de Français, vous qui avez la condescendance facile, que les Etats-Unis sont intervenus près de 1 000 fois en Amérique latine pour faire et défaire des gouvernements, instrumentaliser, manipuler, guerroyer, voler, piller, s’accaparer les richesses autochtones, etc. Les archives déclassifiées en témoignent, tout comme les plus de 600 tentatives, des plus redoutables jusqu’aux plus ubuesques, d’assassiner Castro.

Permettez-moi de vous dire que je trouve le président Maduro très patient, et somme toute assez modéré face au sabotage des réseaux de distribution, à la pénurie organisée, à la déstabilisation économique continue. En réalité, l’oligarchie et la bourgeoisie vénézuéliennes n’ont jamais reconnu le chavisme, un processus par trop libérateur, et donc dangereux pour les classes dominantes. La guerre économique n’est qu’un moyen ; elle relève d’une guerre idéologique féroce, pour tenter d’accréditer l’idée « que no se puede », qu’aucun changement anticapitalisme n’est possible, ni viable.

D’ailleurs, le jour de notre Fête nationale, n’avez-vous pas osé insulter les « valeurs des Lumières » que vous avez l’outrecuidance de vanter par ailleurs, en faisant présider le défilé par un « bouffon » dangereux, le président Trump ? Ce jour-là, l’Etat de droit, l’image et l’indépendance de notre pays prirent un sacré coup dans l’aile… Pour feu le président Chavez, en revanche, la « souveraineté » et « l’indépendance » étaient bien plus que des formules incantatoires. Chacun se souvient de la belle envolée de Chavez, adressée à Bush : « Allez vous faire f…, Yankees de merde ! ».

Alors, certes, Maduro, certes… mais je sais trop qui est en embuscade sur le trottoir d’en face : ceux qui veulent une revanche de classe, à n’importe quel prix. Les droites ne rêvent que d’assujettir les peuples. Quelle horreur, Monsieur Macron : un régime qui a osé affecter les revenus pétroliers aux politiques sociales, aux pauvres, ceux-là mêmes que vous pressurez jusqu’à l’os, ignorant tout de leurs conditions de vie à moins d’un SMIC par mois (par mois, Monsieur le président, pas par jour…). C’est vrai que la rente pétrolière a relevé plus d’une malédiction que d’une bénédiction ; la Révolution n’est pas parvenue à diversifier suffisamment l’économie, à sortir du capitalisme, du vieil Etat néocolonial…

Le mardi 29 août 2017, devant les Ambassadeurs français, de quel droit avez-vous déploré « la complaisance de certains » envers le chavisme ? Je préfère être complaisant envers le Venezuela qu’envers le Qatar, l’Arabie Saoudite, la politique de l’Etat d’Israël, ou encore qu’envers les crimes et magouilles de la « Françafrique », toujours primesautière… Au même moment où vous vous ingériez éhontément, votre ami le président Trump, lui, mettait en place des sanctions économiques très dures, qui affecteront surtout les plus pauvres des Vénézuéliens. Il cherche à restreindre l’accès pour le Venezuela aux sources de financement international, à assécher les flux. A croire qu’ils n’ont rien compris à l’expérience cubaine.

Il voudrait sans doute que la « pénurie » de papier hygiénique contraigne de nombreux Vénézuéliens à lécher le postérieur de l’impérialisme. Le président Trump a récemment déclaré, dans une conférence de presse, que pour les USA l’option militaire était aussi sur la table ; les masques commencent à tomber. Le dictateur n’est pas celui que lynchent les médias, dans un tintamarre d’une violence inouïe. Ce seul acharnement de classe me suffit à choisir mon camp.

Vous auriez sans doute préféré, monsieur le président, qu’un Pinochet vénézuélien « libère le peuple du communisme », à sa façon… Mais il m’arrive parfois d’être, comme on dit chez moi, « langue de peille ».

Jean Ortiz

 



Articles Par : Jean Ortiz

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