L’ex-premier ministre britannique Tony Blair s’associe au projet d’une armée européenne

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L’ex-premier ministre britannique Tony Blair a récemment appelé dans un article du magazine Newsweek à la création d’une armée européenne indépendante de l’OTAN.

Dans un plaidoyer plus général pour l’unité des principaux pouvoirs de l’UE, intitulé « L’unité européenne n’a jamais été plus importante, » Blair a écrit que les pouvoirs européens devaient être capables de faire valoir leurs intérêts sur le plan mondial. « Je dirais que dans le moyen terme, il y aura un besoin croissant pour l’Europe de renforcer ses capacités de défense. Cette force ne supplanterait pas l’OTAN, mais aurait la capacité indépendante d’entreprendre parfois une action militaire là où les intérêts de sécurité de l’Europe sont menacés et quand les Etats-Unis pourraient décider de ne pas être partie prenante ».

Pour justifier la création d’une force militaire européenne Blair a cité la montée des rivalités géopolitiques mondiales. « Le monde change » écrit-il. « De nouvelles et vastes puissances auront la capacité de dominer. Les petites nations, et cela signifie toutes celles avec une population inférieure à 100 millions, doivent tirer parti de leurs relations géographiques pour garder du poids ».

Ces «grandes puissances» furent explicitement désignées comme la Russie et la Chine qui profitaient d’un déplacement vers l’Est de la puissance dans le monde.

A la tête du gouvernement britannique de 1997 à 2007, Blair a été le plus fidèle allié de Washington en Europe; il a pleinement soutenu la domination militaire américaine par le biais de l’OTAN. En 1999, son gouvernement a rejeté un appel du président de la Commission européenne Romano Prodi à une armée européenne indépendante et a défendu le cadre de défense de l’OTAN. Des avions britanniques ont participé au bombardement de la Yougoslavie dirigé par l’OTAN, où les États-Unis ont joué un rôle décisif. En 2003, la Grande-Bretagne fut le seul des principaux pouvoirs européens à rejoindre le gouvernement Bush dans son invasion et son occupation de l’Irak.

Le fait qu’il soit désormais favorable à une armée européenne (ce qui ne signale en rien une rupture avec les Etats-Unis) est une expression de la montée des tensions impérialistes dans le monde.

Les Etats-Unis font la guerre au Moyen-Orient pour assurer leur hégémonie sur la plus importante région pétrolière du monde, mènent l’encerclement de la Russie en Europe de l’Est et dans la Baltique, et poursuivent une politique agressive contre la Chine dans la région Asie-Pacifique; mais leurs rivaux impérialistes ont eux aussi l’intention de réaffirmer leurs intérêts géopolitiques.

L’Allemagne fait des efforts soutenus pour mettre en œuvre une politique étrangère plus militariste; elle envoie des troupes en Afrique du Nord et en Syrie, ses universitaires et ses médias mènent une campagne idéologique pour réactiver les plans de domination de l’Europe et du monde qui eurent déjà des conséquences si désastreuses dans la première moitié du 20e siècle. La France a sauté sur les attentats terroristes du 13 novembre à Paris pour intervenir en Syrie et mène également des opérations majeures en Afrique du Nord.

L’appel de Blair à l’unité européenne est une tentative de réaffirmer sa position de longue date que le Royaume-Uni joue un rôle primordial en tant que pont entre les Etats-Unis et l’Europe.

Un référendum est projeté fin 2017 sur une sortie britannique de l’UE. Washington a fermement manifesté son opposition à ce que la Grande-Bretagne quitte le bloc et des experts militaires ont averti qu’un « Brexit » conduirait à une détérioration de la «relation spéciale» britannique avec les États-Unis, avec la conséquence que Washington s’accorderait plus avec Paris ou Berlin.

Mais l’aile eurosceptique de l’élite dirigeante britannique craint que si une armée européenne unifiée était le prix à payer par Londres pour renégocier ses rapports avec Bruxelles cela saperait la position stratégique de l’impérialisme britannique, avant tout son alliance avec Washington, alors que la France et l’Allemagne elles, émergeraient comme des puissances militaires plus assurées.

En septembre, le Daily Telegraph révélait que la chancelière Angela Merkel avait suggéré qu’un accord était possible avec le premier ministre David Cameron sur une renégociation des relations britanniques avec l’UE, mais seulement s’il était prêt à soutenir l’intégration des forces militaires sur le continent.

Le Telegraph citait un document de synthèse inédit, rédigé par les commissions pour l’Europe et la Défense des chrétiens-démocrates (CDU) de Merkel et présentant « un plan détaillé en 10 points pour la coopération militaire en Europe. »

Si une armée européenne était créée, l’Allemagne exigerait comme principale puissance économique du continent d’y jouer le rôle dominant. C’est aussi l’Allemagne qui joue le principal rôle dans la tentative de la créer.

En vertu des dispositions du traité de Lisbonne de 2009, les Etats membres de l’UE ont convenu d’une coopération potentielle et de la mise en place d’une politique de sécurité et de défense commune. Le traité comportait pour la première fois une clause de défense mutuelle obligeant les Etats membres à aider un Etat qui subirait une attaque majeure. Ce fut la clause invoquée par la France à la suite des attaques terroristes du 13 novembre à Paris pour obtenir l’assistance militaire de l’UE.

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait dit à Welt am Sonntag en mars dernier, « [Une] armée commune des Européens saurait faire comprendre à la Russie que nous sommes sérieux au sujet de la défense des valeurs de l’Union européenne. » Il avait ajouté « l’image de l’Europe a énormément souffert et aussi en termes de politique étrangère, on ne semble pas nous prendre tout à fait au sérieux ».

La déclaration de Juncker avait été appuyée par Norbert Röttgen, président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement allemand, par l’eurodéputé vert allemand Jan Philipp Albrecht et surtout par la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen qui avait dit au Deutschlandfunk, une « armée européenne c’est l’avenir. »

Le PPE (Parti populaire européen), le groupe conservateur au Parlement européen, a soutenu l’initiative dans un document de position publié en octobre. Le président du PPE Joseph Daul, a dit à ce propos, « Nous allons mettre en œuvre une armée européenne beaucoup plus rapidement que les gens ne pensent. »

Le PPE est allé beaucoup plus loin que la proposition de Juncker et a appelé à une force capable d’assumer des missions de «forte intensité», y compris le remplacement de gardes nationales aux frontières de l’UE – une politique désormais mise partiellement en œuvre dans le cadre de la force Frontex des frontières de l’UE.

Le document du PPE parle d’une armée de l’UE « capable de mener la défense territoriale … l’agression russe contre des membres de l’UE et de l’OTAN doit être découragée.» Un haut conseiller politique a noté que depuis 2007, l’UE avait eu deux groupements tactiques d’urgence de 1.500 hommes qui se relaient sans jamais avoir été au combat – un « défaut » qui doit selon lui « être corrigé ».

Le PPE a souligné que « L’UE ne doit pas être prise dans la lassitude de l’élargissement, mais devrait plutôt entretenir un esprit pro-UE dans l’ouest des Balkans et soutenir les aspirations de ces pays à adhérer à l’UE. »

La Turquie a été décrite comme un Etat essentiel pour assurer la sécurité militaire de l’Europe.

Le 27 décembre, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a dit à Bild am Sonntag « nous aurons à dépenser beaucoup plus pour des initiatives conjointes de défense européenne … [puisque] en définitive, notre objectif doit être une armée européenne commune. » Il a cité le Moyen-Orient et l’Afrique comme des endroits clés pour des opérations militaires.

Au sommet de l’OTAN, en 2014 au Pays de Galles, les 28 Etats membres s’étaient engagés à porter les dépenses militaires à 2 pour cent du PIB. Mais l’Allemagne et le Canada surtout, avaient objecté que l’opinion publique ne tolérerait pas une telle hausse drastique des dépenses pour les forces armées. On considère donc la promotion d’une armée «européenne» accompagnée de promesses rhétoriques de la création d’une force unie de paix et de stabilité, comme la propagande nécessaire pour couvrir une vaste extension des budgets militaires.

L’orientation vers une armée européenne confirme que la période est révolue où l’unité de l’Europe capitaliste était saluée comme le garant de la paix, de la liberté et de la démocratie. Les grandes puissances réaffirment leurs intérêts impérialistes par les interventions militaires en Afrique et au Moyen-Orient, le soutien du coup d’état politique en Ukraine; en menaçant la Russie de représailles militaires et en utilisant la crise des réfugiés comme prétexte pour attiser le militarisme et la xénophobie, et déployer l’armée sur tout le continent.

Jordan Shilton

Article paru en anglais, WSWS,  le 2 février 2016



Articles Par : Jordan Shilton

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