Libye An III post Kadhafi: Un incubateur de dictateurs

Libye-Dossier spécial

http://mondafrique.com et www.renenaba.com ont le plaisir d’offrir à leurs lecteurs, en avril 2014, un dossier spécial sur la Libye à l’occasion du 3 me anniversaire de l’instauration de «la démocratie du tomahawk» dans l’ancienne  populacratie. Un pays au bord de la sécession avec un premier ministre Ali Zeidan, démissionné, en fuite en Europe, de sanglants règlements de compte, sur fond de supputations sur une nouvelle opération de police occidentale dans le corridor du Salvador, carrefour stratégique à la frontière de la Libye, du Niger et de l’Algérie, devenu un véritable repère de trafiquants et de djihadistes au cœur du désert, à l’arrière-plan d’arraisonnement de la marine américaine des flibustiers de l’or noir. …….Un OK Corral à l’échelle de tout un pays. L’aube d’une nouvelle ère de démocratie tarde à se lever. L’avenir radieux que promettait le tandem Nicolas Sarkozy et BHL n’a pas tenu ses promesses. Retour sur cette séquence.

Propos liminaire

Le signataire de ce texte a effectué une vingtaine de reportages en Libye durant les 43 ans de la dictature Kadhafi (1969-2012), dont les reportages sur ce pays figurent sur son site, de la nationalisation de la base américaine de Wheelus Airfield et des installations pétrolières, à la bataille d’Aouzou, au raid américain sur Tripoli et Benghazi; éditant deux ouvrages, aux titres révélateurs, sans concession: «La Libye: la révolution comme alibi» Editions du Cygne 2009 et «Kadhafi portrait Total: Du fossoyeur de la cause nationale arabe au fossoyeur de son peuple: Entre intervention militaire et insurrection populaire» Golias 2012.

Depuis l’assassinat du Colonel, le 19 aout 2012, l’auteur de ce papier s’est volontairement abstenu du moindre écrit sur la Libye. Le temps de la décantation, si nécessaire à la réflexion sur un phénomène majeur de la période contemporaine, à savoir le retour du néo colonialisme occidental en terre arabe sous couvert de démocratie, en partenariat avec une constellation de pétromonarchies parmi les plus répressives et les plus régressives de la Planète.

Trois ans après la chute du colonel, nous voilà de retour sur le dossier libyen. Mais à la différence des précédentes analyses, le présent papier ne repose pas sur les propres réflexions de l’auteur, mais se fonde sur les témoignages de certains des acteurs majeurs du drame de leur pays, qui devait être leur printemps. Une vision de l’intérieur par les principaux concernés qui se sont confiés à des journaux arabes à l’occasion du troisième anniversaire du déclenchement du « soulèvement anti Kadhafi » (1). Des nationaux libyens, les meilleurs juges des intérêts nationaux de leur pays, aux antipodes de l’illusion lyrique des islamophilistes français dont le délire les portera à prédire qu’«Après la chute de Kadhafi, la marche des modérés vers le pouvoir a commencé». Pas sain de confondre cécité et lucidité.

Dossier fondé sur les notes personnelles du signataire de ce dossier, complétées par des entretiens des anciens dirigeants libyens, dans Al Qods Al Arabi et  le site «Ar Rai al Yom» (L’opinion aujourd’hui» d’Abdel Bari Atwane, ancien directeur du quotidien transarabe de Londres Al Qods Al Arabi et naturellement l’ouvrage du journaliste Ghassane Charbel du quotidien saoudien «Al Hayat» consignés dans un livre «Sous la tente, les compagnons du colonel révèlent les secrets de son règne» Editions Ryad Rayess Londres UK.

Sauf à cautionner l’imposture, de tels errements de pensée de la part de sommités intellectuelles, -des extrapolations qui se sont apparentées à des élucubrations-, devraient valoir à leurs auteurs la dégradation académique. Pour l’honneur de la recherche française et de l’Islamologie.http://www.atlantico.fr/decryptage/mouammar-kadhafi-libye-islamistes-167316.html

I – La Libye, un incubateur de dictateurs

«La Libye est désormais un incubateur de dictateurs et le peuple libyen n’a en rien profité du renversement de Kadhafi. Le constat est sans appel, dressé par M. Ahmad Mahmoud, un universitaire libyen et confirmé en ces termes par Mahmoud Jibril, le premier ministre de la période transitoire: «La Libye est devenue un danger pour la sécurité nationale de son environnement et l’hypothèse d’une option à l’égyptienne selon le schéma Sissi n’est plus à exclure».

Telle est en substance la tonalité générale des confidences recueillies par la presse arabe, notamment le journaliste libanais, Ghassane Charbel, du quotidien saoudien Al Hayat, ainsi que le site en ligne «Ar Rai Al Yom», le nouveau site d’Abdel Bari Atwane, ancien directeur d’Al Qods Al Arabi.

«La Libye est désormais un incubateur générant des clones de Kadhafi et le peuple libyen n’a en rien profité du renversement de Kadhafi. Les trois dernières années doivent s’ajouter aux 42 ans de la dictature  de Kadhafi», a estimé M. Ahmad Mahmoud, professeur de sciences politiques dans les universités libyennes, dans une déclaration au site en ligne Ar Rai Al Yom (L’opinion aujourd‘hui).

«La Libye, pays riche est au bord de la faillite, après l’échec des pouvoirs publics de lever le blocus des ports pétroliers et le peuple est sceptique sur la volonté réelle des pouvoirs publics de mettre un terme à l’anarchie», a-t-il poursuivi pointant du doigt «les seigneurs de la guerre qui imposent leur loi au pays».

Pour aller plus loin pour le lecteur arabophone http://www.raialyoum.com/?p=53057

II- Les torpilles de  Mahmoud Djibril

Mohamad Jibril constituait une combinaison idéale d’un homme promis aux plus hautes destinées de son pays dès lors qu’il apportait une caution moderniste à une coalition rétrograde; une fonction identique à celle assumée au niveau de l’opposition off-shore syrienne par Basma Kodmani, comme auparavant Hamid Karzaï en Afghanistan. Le paravent idéal pour une recolonisation du Monde arabe par les puissances coloniales en crise systémique d’endettement, à la recherche de prédation économique des richesses de leur périphérie.

Spécialiste de la planification, auteur d’une encyclopédie sur les investissements dans le monde arabe, proche de Seif Al Islam Kadhafi, exilé au Caire pour avoir refusé le prix Mouammar Kadhafi d’une valeur de 200.000 dollars, deux ans avant la chute du «guide», un opposant critique en somme au régime, compagnon de route des Frères Musulmans, mais Nassérien par son mariage avec la fille de Chaarawi Joma’a, ancien ministre de l’intérieur de Nasser, qui plus est une enseignante à l’Université du Caire, parlementaire siégeant à l’assemblée du peuple égyptienne sous Hosni Moubarak, Mohamad Jibril, était de surcroît diplôme d’une université américaine, l’Université de Pittsburg (Etats Unis).

Fondateur de JTrack (J pour Jibril), une entreprise spécialisée dans le Média training, Jibril a pris en  main la préparation des dirigeants arabes et d’Asie à la maitrise du langage médiatique.

Du Maroc à Singapour, JTrack a ainsi formé la plupart des responsables politiques soutenus par les États-Unis et Israël pour en faire des personnalités médiatiquement respectables. Il favorisera ainsi la promotion de son ami à la direction d’Al Jazira, Waddah Khanfar, un ancien journaliste de Voice of America, membre de la confrérie Frères Musulmans, l’homme qui annoncera par simulation virtuelle la chute de Tripoli, via la construction dans les studios mêmes de la chaine à Doha des répliques de la Place verte et de Bab el-Aziziya où furent tournés de fausses images de l’entrée des «rebelles» pro-occidentaux dans Tripoli.

La combinaison idéale: Premier ministre du gouvernement rebelle libyen, floué, flouté, Mahmoud Jibril, l’homme lâché, se lâche, en lâchant ses torpilles. Ci-joint un condensé de son exercice de pyrotechnie:

A- La duplicité du Qatar et son jeu pour imposer Abdelhakim Belhadj comme chef révolutionnaire libyen.   

-«La Libye est devenue un danger pour elle et son environnement. Des menées sont lancées pour récupérer l’Egypte via la Libye. Les Etats Unis ont pratiqué une politique de duplicité en Libye. Leur objectif majeur était de propulser les Frères Musulmans au pouvoir en Egypte, en Libye et en Tunisie, afin de contenir le terrorisme. Un programme géré par ses deux sous-traitants régionaux, la Turquie et le Qatar.

-«La position en retrait de l’Egypte de Moubarak, qui a invoqué les risques de représailles contre ses compatriotes en Libye, de même que l’Algérie, lors des premiers soubresauts du printemps arabe, a favorisé la réussite du plan américain. Mais le général Abdel Fattah, ministre égyptien de la défense, le tombeur du président néo islamiste égyptien Mohamad Morsi, a porté un coup dur à ce plan».

-«Qatar a bien aidé le soulèvement anti Kadhafi, mais la principauté menait une politique de deux fers au feu. Le courant de l’islam politique avait ses faveurs et constituait son allié privilégié. Doha a voulu, dès le départ, intronisé l’Emir des groupements islamiques combattants libyens en Afghanistan (GIGL), Abdel Hakim Belhadj, comme le chef des révolutionnaires libyens (2).

-«L’Emir du Qatar, Hamad Ben Khalifa, a refusé le désarmement des milices et la récupération des armes, alors que la population comptait déjà dans ses mains 24.000 pièces d’armes. Les armes fournies par le Qatar, sur recommandation de la France, ont été transférées aux islamistes dès leur arrivée à l’aéroport de Benghazi, à notre insu, sur ordre d’un officier des services de renseignement du Qatar. Nous nous sommes tournés alors vers le Soudan pour nous procurer des armes.

-«Pour mener à bien son opération, le Qatar, en accord avec Mustapha Abdel Jalil, le Président du Conseil National Transitoire, étaient convenus que je devais être dessaisi de la compétence des ministères de l’intérieur et de la défense. C’est-à-dire du maintien de l’ordre et du contrôle des armes. Ce à quoi je me suis refusé». Ancien ministre de la justice de Kadhafi et à ce titre l’homme qui a ratifié la condamnation à mort des infirmières bulgares, Mustapha Abdel Jalil avait auparavant «fait acte d’allégeance au Qatar en donnant à savoir qu’il nourrissait des sympathies pour les Frères Musulmans».

-«A ma grande surprise, j’ai appris qu’Abdel Hakim Belhadj a été présenté aux chefs d’état-major de l’Otan lors d’une réunion des chefs militaires de la coalition à Doha, en Août 2011, où il a fait un briefing sur la situation militaire en Libye, en prélude à l’offensive contre Tripoli.

-«Le quartier général des opérations a été alors transféré de l’Ile de Djerba en Tunisie, (déjà sous l’autorité du parti islamiste An Nahda de Rached Ghannouchi, ami du Qatar) vers Zintane, dans le Djebel Nefoussa, dans le secteur occidental de la Libye.

-«Finalement l’assaut contre Tripoli a été retardé de plusieurs semaines, en raison du fait que le Qatar avait invoqué l’opposition de l’Otan à une telle opération par son l’impossibilité à mener à bien dans un tel délai la destruction des défenses majeures de la capitale.

-«A notre arrivée à Tripoli, nous nous sommes aperçus que 24 des 28 cibles névralgiques destinées à paralyser les défenses de la Capitale avaient déjà été détruites. Mais que le Qatar avait invoqué le prétexte de l’opposition de l’Otan pour retarder la conquête de Tripoli et permettre à Belhadj  de s’en emparer en premier.

B -La Turquie: Erdogan: «L’Etat n’a pas de religion».

Membre de l’Otan pays musulman sunnite non-arabe, la Turquie a été, avec le Qatar, le deuxième sous-traitant des occidentaux du printemps arabe.

L’avis de Mohamad Jibril:

-« La Turquie représente une forme d’état régi par le «libéralisme islamique». Un état quasi occidental dans sa version musulmane, de surcroît un allié de l’Otan. Son empressement à s’engager dans le processus répondait à son souci de s’aménager un pouvoir de négociation dans la perspective de son adhésion à l’Union européenne.

-«Le premier ministre turc Reccep Teyyeb Erdogan m’a souvent répété que «l’Etat n’a pas de religion. Mais si j’avais affirmé cela devant les Libyens, j’aurai été certainement poursuivi pour apostasie».

 René Naba

Pour lire la suite du dossier, cliquez sur les parties suivantes :

Deuxième partie : Libye-Dossier spécial 2/4 : Libye An III post Kadhafi, Le projet « C . C» de la Rand Corporation

Troisième partie : Libye/Kadhafi: Portrait d’une fratrie en pleine déconfiture

Quatrième partie : Libye, An III post Kadhafi, Epilogue: Les lauréats du printemps arabe

Références:

1 -Cf à ce propos l’ouvrage du journaliste Ghassane Charbel du quotidien saoudien «Al Hayat» consignés dans un livre «Sous la tente, les compagnons du colonel révèlent les secrets de son règne» Editions Ryad Rayess Londres UK, ainsi que les entretiens des anciens dirigeants libyens dans Al Qods Al Arabi  et  le site «Ar Rai al Yom» (L’opinion aujourd’hui» d’Abdel Bari Atwane, ancien directeur du quotidien transarabe de Londres Al Qods Al Arabi.

2 – Abdel Hakim Belhadj fera l’objet d’une tentative de ravalement cosmétique dans un ouvrage rédigé par une journaliste du Monde. http://mondafrique.com/lire/politique/2013/12/03/libye-comment-blanchir-lislamiste-belhadj  Un  des chefs djihadistes libyens, Cheikh Meftah Mabrouk Aissa Daoudi, a trouvé la mort dans un accident d’avion le 22 février 2014 alors que la Libye était engagée dans un processus éléctoral. http://mondafrique.com/lire/decryptages/2014/02/22/tunisie-nouvelles-revelations-sur-les-victimes-du-crash-aerien-d-lavio

Pour information sur l’implication des islamistes libyens dans la rébellion anti Kadhafi, Cf. à ce propos «De l’Afghanistan à Benghazi: le voyage d’un ancien radical libyenhttp://magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/reportage/2011/07/15/reportage-01magharebia.com est le site web d’AFRICOM’S.  «Le portail est sponsorisé par le United States Africa Command, le commandement militaire responsable du soutien et du renforcement des efforts américains pour promouvoir la stabilité, la coopération et la prospérité dans cette région du globe», dixit le texte de présentation.

3-Ci-joint la totalité des liens des témoignages des personnalités libyennes sur lesquels se fonde ce dossier.

 



Articles Par : René Naba

A propos :

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de “L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres” (Golias), “Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français” (Harmattan), “Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), “Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David” (Bachari), “Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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