L’impérialisme japonais remilitarise

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Le Parti libéral-démocrate (LDP), au pouvoir, exploite la situation extrêmement tendue dans la péninsule coréenne pour encourager ses forces armées à mener des attaques « préventives » contre un ennemi comme la Corée du Nord. L’acquisition d’armes offensives, telles que les missiles de croisière, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, constituerait une autre étape importante du gouvernement du Premier ministre Shinzo Abe pour réarmer le Japon, aggravant le risque de guerre.

Commentant les essais nord-coréens de missiles, le ministre de la Défense Tomomi Inada a suggéré le 9 mars que le Japon pourrait acquérir la capacité pour des attaques « préventives ». « Je n’exclus aucune méthode et nous envisageons diverses options, bien sûr compatibles avec le droit international et la constitution de notre pays », a-t-elle dit.

Hiroshi Imazu, président du conseil politique du LDP sur la sécurité, a été plus direct : « Il est temps que nous ayons acquis la capacité. Je ne sais pas si ce serait avec des missiles balistiques, des missiles de croisière ou même avec le F-35 [chasseur], mais sans dissuasion, la Corée du Nord nous considérera comme faible. » Le conseil politique envisage de soumettre une proposition dans le cadre de la présente législature en vue de son inclusion dans le prochain plan quinquennal de la défense.

Malgré l’avertissement d’Inada, l’achat d’armes offensives violerait ouvertement l’article 9 de la constitution japonaise de l’après-guerre, qui renonce à « la guerre […] et à la menace ou à l’emploi de la force comme moyen de règlement des différends internationaux » et déclare que « les forces aériennes, terrestres et navales, ainsi que d’autres potentiels de guerre, ne seront jamais maintenus ». Une telle mesure permettrait également de se passer de la vieille feuille de vigne juridique selon laquelle les forces militaires actuelles du Japon ne servent que pour l’autodéfense.

Jusqu’à ce jour, les gouvernements japonais ont rechigné à l’acquisition d’armes manifestement offensives, comme des missiles balistiques, des porte-avions et des bombardiers à longue portée, notamment en raison de l’opposition à la guerre qui est répandue parmi les travailleurs et les jeunes japonais. Le mercredi, cependant, le Japon a mis en service le Kaga, son deuxième porte-hélicoptère. Ces navires sont les plus importants mis en service par l’armée japonaise depuis la Seconde Guerre mondiale et pourraient être modifiés pour accueillir des avions de combat.

Le gouvernement d’Abe, le plus à l’extrême droite depuis la seconde guerre mondiale, a accéléré grandement la poussée vers la remilitarisation du Japon et la suppression des restrictions juridiques et constitutionnelles à l’égard de ses forces armées. Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, Abe a utilisé le slogan du « pacifisme proactif » pour justifier l’augmentation des budgets militaires, la création, à l’image des États-Unis, d’un Conseil national de sécurité pour centraliser la planification de guerre au cabinet du Premier ministre et un changement des priorités stratégiques qui passent de l’armée du nord à l’armée de la chaîne des îles du sud, adjacente à la Chine continentale.

Abe a souligné sa posture de confrontation envers Pékin au Forum économique mondial de 2014 à Davos où il a fait une fausse comparaison entre la Chine d’aujourd’hui et l’impérialisme allemand en 1914 afin d’étiqueter la Chine comme « agressive » et « expansionniste ». Il a cherché délibérément à aggraver la confrontation avec la Chine sur les îlots disputés Senkaku/Diaoyu en mer de Chine orientale, en insistant sur le fait que son gouvernement n’entrerait pas en négociations avec Pékin sur leur statut.

En 2015, le gouvernement d’Abe a provoqué d’énormes protestations contre la législation qui, sous la bannière trompeuse de « l’autodéfense collective », permet aux militaires japonais de participer aux guerres d’agression menées par les États-Unis.

Abe a fait campagne sur le programme de faire du Japon « une nation normale » avec une armée forte – en d’autres termes, pour que l’impérialisme japonais poursuive ses intérêts stratégiques et économiques par tous les moyens, y compris militaires. Le LDP préconise une révision complète de la constitution, y compris la modification ou la suppression de l’article 9. Le document a longtemps été considéré dans les milieux militaristes de droite comme une « constitution d’occupants » établie par les États-Unis pour rendre le Japon impuissant.

Abe et son cabinet ministériel ont des liens très forts avec des groupes de l’extrême droite tels que Nippon Kaigi, qui fait campagne pour une nouvelle constitution, promeut le militarisme et le patriotisme et cherche à blanchir les crimes du militarisme japonais dans les années 1930 et 1940. Le groupe parlementaire de Nippon Kaigi comprend 280 parlementaires sur les 717 membres des chambres basse et haute. Il est significatif qu’Abe soit un conseiller spécial auprès de l’organisation et que 16 des 20 membres de son cabinet en soient membres. Il est maintenant mêlé à un scandale au sujet d’allégations selon lesquelles sa femme, agissant en son nom, aurait fait un don en espèces à l’opérateur d’une école maternelle privée ultra nationaliste à Osaka qui endoctrine ses enfants dans le patriotisme japonais.

La poursuite de la remilitarisation est alimentée par l’aggravation de la crise du capitalisme japonais et mondial, et la profonde préoccupation dans les milieux dirigeants japonais au sujet du déclin historique du pays, souligné par sa relégation à la troisième place dans l’économie mondiale derrière la Chine. En plus de renforcer l’armée, Abe a également cherché à étendre l’influence japonaise, y compris les liens militaires, en particulier en Asie, par le biais d’une diplomatie la plus active de tous les Premiers ministres d’après-guerre.

Le gouvernement Abe a poursuivi la remilitarisation sous l’égide de l’alliance militaire américano-japonaise et avec le soutien actif de Washington. En partie, ceci consiste à éviter de remuer les souvenirs des atrocités du Japon pendant la guerre en Asie et de générer une opposition dans la région à l’impérialisme japonais. Abe a également cherché à continuer à travailler en étroite collaboration avec le gouvernement Trump. Il a été l’un des premiers dirigeants mondiaux à rendre visite à Trump après les élections américaines, et encore après ses prises de fonctions.

L’arrivée au pouvoir de Trump, cependant, a profondément déstabilisé la politique mondiale, y compris en Asie. Sa répudiation du Partenariat trans-Pacifique (TPP) a porté un coup dur au gouvernement Abe, qui avait investi un capital politique considérable pour surmonter l’opposition au sein du LDP afin d’en assurer la ratification. Abe considérait le pacte économique comme essentiel à la lutte contre l’influence économique chinoise, en assurant une position dominante en Asie pour le Japon, en ligue avec les États-Unis et en surmontant la stagnation prolongée de l’économie japonaise.

De plus, la démagogie de Trump sur « l’Amérique d’abord » et les menaces de guerre commerciale n’ont pas seulement été dirigées contre la Chine. Il a une longue histoire de dénoncer le Japon pour son excédent commercial avec les États-Unis et ses pratiques commerciales « déloyales ». Au cours de la campagne électorale présidentielle américaine, Trump a également remis en question le Traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon, menaçant de se retirer si le Japon ne payait pas davantage pour le coût des bases militaires américaines dans le pays. Il a même suggéré que le Japon pourrait se protéger en construisant ses propres armes nucléaires.

Comme en Europe, toutes les lignes de faille géopolitiques qui ont mené à deux guerres mondiales désastreuses au 20 siècle émergent de nouveau. La détermination du gouvernement Abe à réarmer le Japon aussi rapidement que possible ne vise pas à contrecarrer la « menace » posée par la Corée du Nord, mais à défendre les intérêts de l’impérialisme japonais par tous les moyens, aggravant le risque de guerre. Comme dans les années 1940, une rivalité intense pour les marchés, les matières premières et la main-d’œuvre à bas coût pourrait alimenter les conflits commerciaux entre les États-Unis et le Japon et une concurrence pour dominer l’Asie, se terminant par une guerre catastrophique qui engloutirait inévitablement la région et le monde.

Peter Symonds

Article paru en anglais, WSWS, le 24 mars 2017



Articles Par : Peter Symonds

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