L’Irak glisse vers la guerre civile

Des combats très durs ont éclatés jeudi entre les troupes gouvernementales irakiennes et des militants sunnites qui se sont emparés de grandes parties de Fallouja et de Ramadi, deux villes de la province d’Anbar à l’ouest de l’Irak qui ont été au cœur de la résistance armée face à l’occupation américaine il y a dix ans.

La reprise des combats intervient alors que des données publiées par les Nations unies et d’autres agences indiquent que le taux de mortalité en 2013 en Irak a augmenté jusqu’à son plus haut niveau depuis les renforts (ditesurge) de l’armée américaine en 2007-2008.

Les Nations unies évaluent le nombre de vies civiles irakiennes perdues en raison des violences à 7818 l’an dernier, plus de 1050 membres des forces de sécurité tués au cours de la même période. Une autre estimation du groupe britannique Irak Body Count (IBC) donne un bilan de 9475 morts civils.

En publiant l’estimation de l’ONU, le chef de la mission de l’ONU en Irak, Nickolay Mladenov, a déclaré : «c’est un bilan triste et terrible qui confirme une fois de plus le besoin urgent pour les autorités irakiennes de s’attaquer aux causes de la violence afin de sortir de cette spirale infernale.»

Notant que le bilan de l’année dernière est comparable à celui de 2008, l’IBC a fait remarquer que celui de 2008 «représentait un déclin des morts violentes (par rapport aux 25 800 de l’année d’avant), alors que maintenant, il représente une augmentation ; il a fait plus que doubler depuis l’an dernier, lorsque les morts civiles enregistrées étaient de 4500.»

L’IBC a ajouté que «si les niveaux de violence actuels se maintiennent tout au long de l’année, alors 2014 risque d’être aussi mortelle que 2004, qui avait connue deux sièges de Fallouja [par l’armée américaine] et l’installation dans la durée de l’insurrection irakienne.»

La violence et les morts se sont multipliées depuis avril dernier, lorsque le gouvernement chiite du premier ministre Nouri al-Maliki a ordonné une répression violente qui fit près de 50 morts civils contre un groupe de sunnites qui avait organisé un campement en protestation dans la ville d’Hawija au nord du pays.

C’est une répression du même genre lundi contre un campement de protestation à Ramadi qui a déclenché les troubles qui ont abouti à ce que cette ville, Fallouja et plusieurs autres villes plus petites soient largement aux mains des insurgés opposés au gouvernement.

Tentant de calmer l’opposition populaire, Maliki a fait suivre la dispersion du campement lundi, dans laquelle au moins dix personnes ont été tuées, par un semblant de concession à l’une des demandes des manifestants, il a annoncé jeudi qu’il retirait l’armée des zones sunnites d’Anbar et qu’il laissait la sécurité à la police régulière.

Mais dès mercredi, des militants lourdement armés faisaient le siège des stations de police à Ramadi et Fallouja, libérant au moins cent prisonniers, s’emparant des stocks d’armes et mettant le feu à plusieurs bâtiments. Pour l’essentiel, la police a abandonné ses positions sans se battre.

Maliki est alors revenu sur son premier décret et a ordonné le renforcement des unités de l’armée dans la zone, qui se préparaient à faire le siège des villes, avec des tirs d’artillerie contre des parties de Fallouja jeudi et des raids aériens qui auraient visé cette ville et Ramadi.

«La moitié de Fallouja est aux mains de l’organisation État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et l’autre moitié est contrôlée» par des forces armées tribales, a déclaré un responsable du ministère de l’Intérieur à l’agence de presse AFP. Il a déclaré qu’à Ramadi il y a une situation semblable, et que certaines zones sont contrôlées par l’EIIL et d’autres par des groupes tribaux armés.

L’AFP a cité l’un de ses correspondants à Ramadi disant qu’il avait vu «des dizaines de camions portant des hommes lourdement armés conduisant dans l’est de la ville et passant de la musique à la gloire de l’EIIL», ils portaient «des drapeaux noirs comme ceux que l’EIIL utilise fréquemment.»

L’EIIL, une milice islamiste sunnite liée à Al Qaïda, est devenue l’une des principales composantes des combats des «rebelles» dans la guerre de l’occident pour obtenir un changement de régime en Syrie voisine. En s’emparant de territoires au nord de la Syrie, elle s’est montrée capable de faire transiter des forces à travers la frontière irako-syrienne pour organiser des attentats à la voiture piégée, des attaques contre des unités de la police et de l’armée, ou contre des forces d’autres tendances religieuses. Son objectif avoué est d’établir un califat sunnite s’étendant sur les deux pays.

Maliki a saisi les actions des forces de l’EIIL comme prétexte pour mater violemment le mouvement de protestation sunnite bien plus large qui est motivé par la politique sectaire du gouvernement de Bagdad, laquelle a entraîné une marginalisation politique et une répression contre la population sunnite.

Cette politique comprend la persécution des politiciens sunnites et de ceux travaillant avec eux, qualifiés de «terroristes». À la veille de la dernière vague de répression, les forces de sécurité ont fait une descente au domicile du député Ahmed al-Alwani à Ramadi, ils l’ont arrêté et ont tué son frère et cinq gardes. Cette action a déclenché la démission de 44 députés, la plupart sunnites.

En publiant un ultimatum le mois dernier pour obtenir la dispersion du campement des manifestants, Maliki l’a décrit comme «le quartier général de la direction d’Al Qaïda».

Cette version des faits qui arrange bien le gouvernement cherche à cacher le fait que ce sont les propres politiques sectaires de Maliki qui ont alimenté le ressentiment dans la population sunnite, avec le manque de services publics, les descentes «antiterroristes» aléatoires, l’emprisonnement de milliers de personnes sans accusation, et le programme d’épuration contre le parti Baas qui a été utilisé pour licencier des fonctionnaires.

Le prétexte que le gouvernement serait simplement engagé dans une guerre contre le terrorisme d’Al Qaïda a été utilisé pour obtenir le soutien à la fois de l’Iran et de Washington. Ce dernier a récemment ordonné l’envoi de missiles Hellfire et d’autres armes de pointe aux forces de sécurité irakiennes. Certains de ces missiles auraient servi jeudi lors de l’attaque du gouvernement contre Fallouja.

De nouveaux actes de violence ont été enregistrés ailleurs en Irak pendant que la confrontation militaire se développait à Anbar. Un attentat au camion piégé a eu lieu dans une rue commerçante bondée vendredi soir à Balad Ruz, environ 70 km au nord-est de Bagdad. Au moins 19 personnes sont mortes dans l’explosion et 37 ont été blessées. Ce genre d’attentats est devenu un événement quotidien, ils visent les populations chiites comme sunnites.

Le peuple irakien paye le terrible prix de plus de dix ans de guerres prédatrices de l’impérialisme américain et de ses agressions néo-coloniales. L’occupation américaine qui dura huit ans a coûté la vie à des centaines de milliers d’Irakiens, tout en imposant un système politique qui utilise le sectarisme pour diviser et conquérir la population du pays. Le régime de Maliki est le produit de ce système.

Maintenant, la guerre sectaire instiguée par les États-Unis en Syrie voisine a fourni une nouvelle impulsion puissante à la guerre civile en Irak même, Washington et ses alliés, l’Arabie saoudite et les autres monarchies du golfe Persique, qui fournissent une aide matérielle aux combattants islamistes sunnites des deux côtés de la frontière, pendant que Washington continue à fournir de l’aide militaire à Maliki.

Bill Van Auken

Article original, WSWS, paru le 3 janvier 2014



Articles Par : Bill Van Auken

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