L’opposition ukrainienne pro-occidentale attise la guerre civile

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En Ukraine, les forces de l’opposition droitière pro-occidentale ont fait glisser hier le pays un pas de plus vers la guerre civile en rejetant les concessions proposées par président Viktor Ianoukovitch et en exigeant sa démission. L’opposition vise à mettre en place un gouvernement d’extrême droite qui s’engagera à mettre en œuvre la politique d’austérité de l’Union européenne (UE) et du Fonds monétaire International (FMI).

Après s’être livré à une bataille rangée avec les forces de sécurité, les contestataires se sont de nouveau affrontés hier à Kiev à la police anti-émeute et ont occupé un centre culturel près de l’épicentre des protestations, la Place de l’Indépendance. Les manifestants auraient pris le contrôle complet ou partiel d’au moins six bâtiments dans le centre de Kiev : l’hôtel de ville de Kiev, le bâtiment de l’union des syndicats, le Palais d’Octobre, l’Hôtel Ukraine, le ministère de l’Agriculture et la Maison de l’Ukraine.

Samedi, après des mois de protestations, de répression accrue et l’adoption d’une loi anti-protestation anti-démocratique, le président Viktor Ianoukovitch avait déclaré être prêt à faire un nombre de concessions. Ianoukovitch a proposé de nommer deux dirigeants de l’opposition, Arseniy Iatseniouk et Vitali Klitschko, aux postes de premier ministre et de vice-premier ministre respectivement.

Iatseniouk est le chef de file du parti Batkivshchyna (Patrie) qui est dirigé par l’oligarque, actuellement emprisonnée, Julia Tymoshenko. Ancien dirigeant de la Banque nationale d’Ukraine et ancien ministre des Affaires étrangères sous le précédent ministre Viktor Ianoukovitch, il est un fervent défenseur de la politique d’austérité exigée par l’UE et le FMI.

L’ancien boxeur Vitali Klitschko est le dirigeant de l’Alliance démocratique ukrainienne – une création de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière allemande, Angela Merkel, et de son groupe de réflexion, la Fondation Konrad Adenauer.

Lors d’une interview accordée au journal The Guardian, Klitschko a farouchement défendu cette semaine sa collaboration avec le troisième principal parti de la coalition oppositionnelle, le parti néofasciste Svoboda qui est mené par l’ultra nationaliste Oleg Tyahnybok.

Samedi soir, Klitschko a dit à la foule rassemblée sur la Place de l’Indépendance à Kiev que la coalition des partis de l’opposition avait rejeté les concessions faites par le gouvernement. Il a exhorté la foule à poursuivre les manifestations jusqu’à ce que le président Viktor Ianoukovitch démissionne.

Mercredi dernier déjà, Klitschko avait appelé à une intensification des protestations contre le gouvernement Ianoukovitch. En envoyant un message sur le réseau social Twitter, il a aussi indiqué que les manifestants pourraient essayer de tuer de hauts responsables gouvernementaux et dit : « Viktor Ianoukovitch, n’empruntez pas la même voie que Ceausescu et Kadhafi », en faisant référence au dictateur stalinien roumain Nicolaï Ceausescu qui fut assassiné durant la restauration du capitalisme en Roumanie en 1989 et au dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, assassiné en 2011 à la fin de la guerre menée par l’OTAN en Libye.

Son appel, réitéré samedi en faveur d’un changement de régime, avait eu lieu au moment où de nouvelles preuves étaient apparues sur le rôle joué par des organisations paramilitaires néofascistes dans les violents affrontements qui eurent lieu à Kiev et dans tout le pays.

Les manifestants anti-gouvernementaux auraient occupé les bâtiments des autorités locales dans au moins neuf régions du pays.

Des centaines de personnes ont pris d’assaut les locaux administratifs de la ville de Vinnytsia, à près de 200 kilomètres au sud-ouest de la capitale. Des tentatives identiques ont été signalées samedi à Poltava, à l’est de Kiev, et à Tchernigov [Tchernihiv], dans le nord, près de la frontière avec la Biélorussie.

Dans la ville de Lviv, à l’ouest, un bastion traditionnel des forces ultranationalistes, les contestataires occupent depuis la semaine dernière les locaux du gouvernement local.

Selon la chaîne de télévision britannique Channel 4 News, le groupe d’extrême-droite nationaliste « Secteur droit » qui se compose de « nationalistes autonomes » et qui recrute dans les groupes de hooligans et supporters de football d’extrême droite, se trouve en première ligne des affrontements avec la police. Quelque 500 militants du Secteur droit se trouveraient à l’intérieur des bâtiments gouvernementaux saisis par les contestataires.

Une source ukrainienne a dit à Channel 4 News que Secteur droit était la force la plus violente dans les rues. « Ces gens sont distincts de Svoboda bien qu’ils disposent de nombreux liens grâce aux activistes mais ils ne sont contrôlés par aucun groupe… Ce sont eux qui jettent des Molotov [cocktails] et qui tentent de tuer des policiers, l’élément le plus violent des bagarres sur la Place Indépendance. »

Les paramilitaires du groupe Patriote ukrainien, l’ancienne aile paramilitaire de Svoboda, se trouvent également au premier plan des manifestations. Sur les photos prises durant les récentes manifestations, ses nervis apparaissent armés de chaînes et de briques et exhibent des symboles fascistes sur leurs boucliers.

L’intervention directe dans les protestations ukrainiennes de la part d’influents représentants de l’UE, de l’Allemagne et des Etats-Unis menace de diviser le pays en deux et provoquer une guerre civile.

De hauts responsables américains et de l’UE, tels le sénateur américain John McCain et le parlementaire allemand, Elmar Brok, ont rendu visite aux manifestants ukrainiens et appuyé leur campagne contre le gouvernement.

Alors que des forces nationalistes et ouvertement fascistes sont passées à l’offensive dans l’ouest de l’Ukraine, des partisans d’Ianoukovitch sont descendus dans la rue dans un grand nombre de villes dans le bassin minier de Donbass, le fief oriental du président.

Les protestations appuyées par l’occident pourraient également provoquer une confrontation ouverte avec le principal soutien du régime Ianoukovitch, la Russie, dont les conséquences seraient imprévisibles pour la région et pour le monde. Et pourtant, les responsables occidentaux et les médias continuent de manière irresponsable à faire pression en faveur d’une escalade du conflit.

Dans un éditorial publié mercredi dernier, le New York Times avait salué les sanctions annoncées la semaine passée par le Département d’Etat américain à l’encontre de politiciens ukrainiens comme constituant une « bonne mesure » tout en proclamant que « des mesures supplémentaires » étaient nécessaires.

Après avoir déchaîné les forces les plus réactionnaires en Ukraine, la poussant au bord de la guerre civile, une partie des élites dirigeantes occidentales discutent actuellement des avantages d’une intervention plus agressive au sein de l’Ukraine dans la poursuite de leurs intérêts impérialistes.

Dans son édition de dimanche, le Wall Street Journal a souligné l’importance stratégique de la région en remarquant : « Le gros des approvisionnements énergétiques passent par l’Ukraine et des pipelines sillonnent les régions occidentales disposant de gouvernements locaux qui sont tombés jeudi aux mains des manifestants anti-Ianoukovitch. »

Le Journal a déclaré, « La réalité stratégique est que seul Washington peut jouer un rôle pour faire sortir l’Ukraine de l’orbite de Moscou. » En accusant l’UE d’être « divisée et indécise », il conclut : « Des parallèles inquiétants avec la mauvaise gestion des Balkans par l’Europe au début des années 1990 ne sont pas excessifs. »

La comparaison du Journal avec la situation en Ukraine de nos jours et la guerre des Balkans dans les années 1990 indique le risque que pose la politique irresponsable menée par les Etats-Unis et l’UE en Ukraine : le déclenchement de guerres par procuration entre l’OTAN et la Russie et même un affrontement militaire entre l’OTAN et la Russie – comme cela a failli se produire à l’aéroport de Pristina en 1999 pendant la guerre du Kovoso.

Stefan Steinberg

 

Article original, WSWS, paru le 27 janvier 2014



Articles Par : Stefan Steinberg

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