L’Ukraine, les États-Unis et le droit international

Le projet d’un référendum de sécession dans la région ukrainienne de Crimée dimanche est le point sur lequel se concentrent les attaques de plus en plus fortes contre la Russie de la part du gouvernement Obama et de ses alliés européens. Des forces militaires supplémentaires sont envoyées dans la région et de nouvelles menaces de sanctions sont lancées.

Les États-Unis, lAllemagne et la Grande-Bretagne ont dénoncé ce référendum dans cette république autonome à majorité russophone comme étant une violation de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et une infraction au droit international. L’ambassadeur américain en Ukraine, Geoffrey Pyatt, a déclaré lundi que les Etats-Unis ne reconnaîtraient pas ce « prétendu référendum. » Il a lancé l’accusation que des « bandes de voyous pro-russes » patrouillent dans la région et qu’il y existe « une campagne active pour attiser les divisions en Ukraine. »

Les commentaires de Pyatt reprennent ceux d’Obama et de hauts responsables britanniques et allemands, qui ont déclaré que tout référendum violerait « la constitution ukrainienne et le droit international. » Après une réunion dimanche soir entre la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre britannique David Cameron, un communiqué de Downing Street affirmait que le référendum envisagé « serait illégal et toute tentative de la Russie de légitimer ce résultat entraînerait de nouvelles conséquences. » Cameron avait un peu auparavant déclaré que les actions russes sont « une infraction flagrante au droit international. »

De tels commentaires hissent à de nouveaux sommets le niveau de mensonges et d’hypocrisie des puissances occidentales. Les gouvernements qui ressentent d’une manière ou d’une autre le besoin de mobiliser une base sociale plus large que l’appareil militaire et du renseignement et des intérêts financiers, se préoccupent de questions de cohérence interne. Ce n’est pas le cas avec les soi-disant partisans du droit international à Londres, Berlin et Washington.

Les États-Unis ont systématiquement violé la souveraineté nationale de l’Ukraine pour faire tomber de manière inconstitutionnelle un gouvernement élu et installer un régime d’extrême-droite qui compte des néo-nazis dont les hommes de main ont servi de troupes de choc lors du putsch du 22 février dernier.

C’est M. Pyatt, après tout, qui avait participé l’année dernière à un entretien téléphonique dévoilé avec la ministre déléguée aux affaires européennes et eurasiatiques, Victoria Nulland, au cours duquel ces deux responsables avaient discuté de la nécessité de « donner naissance » à un nouveau gouvernement venant du mouvement d’opposition en Ukraine. Il étaient d’accord pour dire que la personne qui a depuis été installée au poste de premier ministre, Arseniy Yatsenyuk, qu’ils appellent « Yats », avait « l’expérience politique » et « l’expérience du gouvernement » nécessaires pour diriger le pays comme une marionnette des Etats-Unis.

L’ensemble de cette opération de changement de régime a été mené illégalement. Les puissances américaines et européennes sont intervenues à coups de milliards de dollars en Ukraine pour financer les forces de l’opposition, alliées aux organisations fascistes comme le parti Svoboda et Secteur droit. Ce sont ces nationalistes ukrainiens qui ont mené « une campagne active pour attiser les divisions, » crachant leurs sales rumeurs antisémites et lançant des menaces ainsi que des attaques physiques contre les Ukrainiens russophones et d’autres minorités. L’une des premières actions du nouveau parlement a été d’éliminer les droits linguistiques des russophones.

Pyatt parle au nom d’un gouvernement qui a une longue et sordide histoire, qui remonte à plus d’un siècle, consistant à « attiser les divisions, » fomenter des luttes internes et intervenir pour faire tomber des gouvernements qu’ils considère comme mal disposés envers les intérêts mondiaux de l’élite patronale et financière américaine.

Il y a un peu plus de 110 ans, le président Théodore Roosevelt avait aidé à orchestrer la « révolution panaméenne » afin de s’emparer de territoires appartenant à la Colombie. Le gouvernement Roosevelt, en collaboration avec l’ingénieur français Philippe-Jean Baunau-Varilla, avait rédigé la constitution du nouveau pays et financé le nouveau gouvernement. Ce nouvel Etat était sous la menace d’un retrait du soutien militaire des Etats-Unis (et du retour des forces colombiennes) s’il hésitait à valider la construction du Canal de Panama et sa mise sous contrôle américain.

La séparation du Panama de la Colombie n’intervint que quelques années après que les États-Unis eurent pris les Philippines comme une partie du butin de la Guerre hispano-américaine, une acquisition qui fut suivie d’une guerre brutale contre les indigènes qui fit un million de morts parmi les civils. Un an après le Panama, Roosevelt promulguait son « corollaire » à la doctrine Monroe, étendant les revendications de Washington au contrôle de l’hémisphère occidental (« l’arrière-cour » des Etats-Unis) et établissant les principes de dizaines d’interventions militaires au cours du quart de siècle suivant.

Plus récemment, les États-Unis ont affirmé leur droit d’intervenir dans n’importe quel pays du monde pour défendre leurs intérêts. Ils ont officiellement adopté la politique des guerres préventives, en violation directe de la Charte des Nations unies et des autres interdictions internationales au lancement de guerres d’agression. Depuis la chute de l’Union soviétique, les Etats-Unis ont, dans les faits, déclaré que la souveraineté nationale, fondement des relations internationales, est révolue.

En Yougoslavie dans les années 1990, les États-Unis et l’Allemagne ont fait fi de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale et ont attisé les divisions ethniques et religieuses pour réduire ce pays en pièces, en commençant par la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie par l’Allemagne en 1991. Durant l’hiver et le printemps 1999, les Etats-Unis et l’OTAN ont mené un assaut aérien de 78 jours contre la Serbie pour en retirer le Kosovo, qui a déclaré officiellement son indépendance en 2008, contre la volonté du gouvernement élu de Belgrade, et qui a été rapidement reconnue par Washington et les puissances européennes comme un Etat indépendant.

En 2011, les États-Unis et leurs alliés européens ont alimenté une guerre civile puis bombardé la Libye pour faire tomber Mouammar Kahdafi et y installer un régime à leur botte. Cette opération néo-coloniale fut présentée comme juste au nom de la « responsabilité de protéger », doctrine nouvellement proclamée et censée supplanter les considérations de souveraineté nationale. Obama avait admis à l’époque qu’il n’y avait aucune question d’autodéfense en jeu, unique motif admis en droit international pour lancer une attaque militaire, mais avait justifié la guerre au motif que « les intérêts et valeurs » américains étaient en jeu. Il avait par conséquent affirmé son droit arbitraire et illimité d’attaquer militairement n’importe quel pays ou population.

La même année, les États-Unis avaient encouragé la sécession du Sud-Soudan riche en pétrole pour saper l’influence chinoise en Afrique du Nord. Applaudissant le référendum sur cette indépendance, Obama avait déclaré que c’était là la preuve qu’« après l’obscurité de la guerre, la lumière d’une nouvelle aube est possible. » L’indépendance fut suivie non seulement de l’ouverture de l’industrie pétrolière, mais aussi de guerres frontalières pour s’emparer des régions riches en énergies.

On pourrait citer d’innombrables autres exemples de ce genre. Les Etats-Unis envahirent l’Irak en 2003 (sans même la couverture juridique d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies) en s’appuyant sur des mensonges à propos d’armes de destruction massive irakiennes. Ils appliquèrent ensuite la stratégie du « diviser pour mieux régner », en ravivant les divisions sectaires et en créant des conditions de guerre civile dans ce pays occupé. Joseph Biden, aujourd’hui vice-président et à l’époque sénateur, faisait la promotion d’un plan de division du pays en enclaves ethniques distinctes, projet qui a été, en grande partie, mis en pratique.

Washington a fomenté une guerre civile en Syrie, qui continue à faire rage. Il mène des attaques de drones au mépris évident de la souveraineté nationale (une politique que le rapporteur spécial des Nations unies a qualifiée d’infraction au droit international).

L’Ukraine représente la continuation de cette politique criminelle. Dans sa tentative de dominer le monde, l’impérialisme américain, avec ses homologues européens, entraîne l’humanité vers la catastrophe. Pour la population de l’Ukraine, et pas seulement de la Crimée, cela s’est manifesté par la montée de mouvements d’extrême-droite et fascistes, le regain des conflits ethniques empoisonnés, et la préparation de mesures d’austérité brutales dictées par les banques et le Fonds monétaire international.

Les actions téméraires de l’impérialisme en Ukraine et en Europe de l’Est risquent de déclencher un conflit entre les puissances occidentales et la Russie qui dispose de l‘arme nucléaire. Les conséquences en seraient incalculables.

La sécession de la Crimée et l’intervention russe en Ukraine, ne représentent nullement une solution à cette crise. Le régime de Poutine, représentant des oligarques corrompus, s’appuie sur la promotion du chauvinisme russe et sur des manœuvres militaires tout en cherchant à parvenir à un accord avec ses adversaires plus puissants que lui. Il est incapable de lancer un appel à la classe ouvrière que ce soit en Russie ou en Ukraine.

Contre une nouvelle division impérialiste de l’Europe de l’Est et la plongée vers une troisième guerre mondiale, la classe ouvrière doit avancer sa propre alternative : une lutte unie qui s’appuie sur un programme socialiste et internationaliste d’opposition à l’impérialisme, à la guerre et au système capitaliste.

Joseph Kishore

Article original, WSWS, publié le 11 mars 2014



Articles Par : Joseph Kishore

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