Madame Tantale

Tantale est puni par les dieux pour des raisons qui ne sont pas totalement claires. Il a faim et il a soif, mais l’eau dans laquelle il se tient se retire dès qu’il se penche pour en boire et le fruit au dessus de sa tête échappe continuellement à sa main. 

Tzipi Livni est soumise en ce moment à une torture semblable. Après avoir remporté une victoire personnelle impressionnante aux élections, le fruit politique ne cesse de lui échapper lorsqu’elle tend la main.

Pourquoi mériterait-elle cela ? Qu’a-t-elle fait après tout ? A-t-elle a soutenu la guerre, appelé au boycott du Hamas, s’est-elle amusée à des négociations stériles avec l’autorité palestinienne ? OK, c’est bien ce qu’elle a fait… Mais une punition aussi sévère ?

Cependant les résultats des élections ne sont pas aussi clairs qu’il y paraît. La victoire de la droite n’est pas dépourvue d’ambigüité.

Ce qui était au centre de la campagne électorale, c’était la compétition personnelle entre deux prétendants à la fonction de Premier ministre : Livni et Netanyahou (ou Tzipi et Bibi, comme ils se désignent eux-mêmes, comme s’ils étaient encore au jardin d’enfants)

Contrairement à toutes les attentes et à tous les sondages, Livni l’a emporté sur Netanyahou. Plusieurs facteurs y ont contribué. Parmi d’autres : les masses de gauche ont été terrifiées par la possibilité d’une victoire de Netanyahou et ils ont rejoint le camp de Livni pour « arrêter Bibi ! » Par ailleurs, Livni – qui ne s’est jamais identifiée au féminisme – s’est souvenu au dernier moment d’appeler les femmes d’Israël à se rassembler sous sa bannière, et elles ont été sensibles à son appel.

Mais il n’est pas possible d’ignorer la signification principale de ce choix : Netanyahou symbolise une opposition totale à la paix, une opposition à la restitution des territoires occupés, au gel des colonies et à un État palestinien. Livni, d’un autre côté a déclaré plus d’une fois son entier soutien à une solution à « deux États-Nations ». Ses électeurs ont voté pour la ligne la plus modérée.

En vérité, le véritable vainqueur des élections est Avigdor Liberman. Mais son triomphe est loin de la percée décisive que chacun prévoyait. Il n’a pas obtenu les 20 sièges qu’il avait promis. Sa progression de 11 à 15 sièges n’est pas si dramatique. Son parti est maintenant le troisième par ordre d’importance à la Knesset, mais cela est dû moins à la croissance de ses résultats qu’à l’effondrement du parti travailliste qui a rétrogradé de 19 à 13 sièges. Soit dit en passant, aucun des partis n’a obtenu 25% des voix. La démocratie israélienne est désormais bien fragile.

Le phénomène Liberman constitue une menace, mais ce n’est pas (pas encore) un désastre.

CEPENDANT, IL N’EST en aucune façon possible de contester le message le plus significatif de ces élections : l’opinion publique israélienne s’est déplacée vers la droite. En allant du Likoud vers la droite on compte 65 sièges, de Kadima vers la gauche seulement 65 ? On ne peut pas contester les chiffres.

Quelle est la cause de ce déplacement ?

Il y a plusieurs explications, toutes valables.

On peut considérer qu’il s’agit d’un mouvement passager à la suite de la guerre. Une guerre soulève de fortes émotions – intoxication nationaliste, haine de l’ennemi, peur de l’autre, désir d’unité et de revanche. Toutes choses qui profitent naturellement à la droite – un enseignement que la gauche oublie souvent lorsqu’elle déclenche une guerre.

D’autres y voient la poursuite d’un processus historique : la confrontation sionistes-Palestiniens prend de l’ampleur et devient plus complexe, et une telle situation est favorable à la droite.

Et puis il y a, naturellement, le facteur démographique. Le bloc de droite attire les votes de trois secteurs : les juifs orientaux (la majorité d’entre eux votent pour le Likoud), les religieux (qui votent en majorité pour les fondamentalistes) et les Russes (dont la plupart votent pour Liberman). Il s’agit d’un vote de groupe, presqu’automatique.

Deux secteurs en Israël ont un taux de naissance particulièrement élevé : les Juifs religieux et les Arabes. Les religieux votent presque unanimement pour la droite. Il est vrai que les partis orthodoxes et religieux n’ont pas gagné en puissance dans ces élections, probablement parce que beaucoup de leurs électeurs naturels ont choisi le Likoud, Liberman ou même l’Union Nationale encore plus extrême. Les citoyens arabes se sont presque tous abstenus de voter pour des partis juifs, comme le faisaient beaucoup d’entre eux dans le passé, et les trois partis arabes ensemble ont remporté un siège de plus.

L’accroissement démographique est une menace. Kadima, le parti travailliste et le Meretz sont identifiés au groupe ashkénaze installé depuis longtemps et dont l’importance démographique est en déclin constant. Par ailleurs, beaucoup de jeunes ashkénazes donnent leurs votes – au moins pour 4 sièges – à Liberman qui prêche un fascisme laïque. Ils haïssent les Arabes, mais ils haïssent aussi les Juifs religieux.

La conclusion est tout à fait claire : si le « centre gauche » ne réussit pas à sortir de son ghetto élitiste et à s’enraciner dans le secteur oriental et russe, son déclin va se poursuivre d’élection en élection.

MAINTENANT MADAME TANTALE doit choisir entre deux options amères : se retirer au désert, là où il n’y a ni eau ni fruits, ou servir de feuille de vigne à une coalition odieuse.

Option N°1 : refuser de se joindre à la coalition de Netanyahou et passer à l’opposition. Ce n’est pas si simple. Le parti Kadima s’est créé lorsque Sharon a promis le pouvoir à ses membres – des transfuges de la droite et de la gauche. Il sera très difficile à Livni de maintenir l’unité de tous dans l’opposition, loin des sièges du pouvoir, loin des beaux bureaux ministériels et des luxueuses voitures officielles.

Cela nous donnerait un gouvernement de droite comprenant de vrais fascistes, disciples de Meir Kahane (dont le parti a été interdit en raison de ses théories racistes), des avocats du nettoyage ethnique, de l’expulsion des citoyens arabes d’Israël et de la liquidation de toute chance de paix. Un tel gouvernement se trouverait inévitablement en conflit avec les États-Unis  et isolé au plan mondial.

Il y a des gens qui disent : c’est bon. Un tel gouvernement tombera nécessairement bientôt et éclatera. Ainsi l’opinion publique comprendra qu’il n’y a pas d’option de droite viable. Kadima, le parti travailliste et le Meretz vont mijoter dans l’opposition et une réelle alternative de centre gauche pourrait voir le jour.

D’autres disent : c’est trop risqué. Il n’y a pas de limites aux désastres qu’un gouvernement Netanyahu-Liberman-Kahanistes est capable d’appeler sur l’État, depuis le développement des colonies qui torpillerait toute perspective de paix jusqu’à la guerre pour de vrai. Nous ne pouvons pas miser tout sur une seule carte alors que l’enjeu est l’État d’Israël.

L’option N°2 de Livni : avaler la pilule amère, renoncer et entrer dans le gouvernement de Netanyahou comme seconde, troisième ou quatrième roue. Dans ce cas, elle doit décider immédiatement, avant que Netanyahou ne crée un « fait accompli » [en français dans le texte – ndt] avec une coalition d’extrême droite que Livni serait alors invitée à rejoindre pour une fonction mineure.

Je ne serais pas surpris de voir le président Perez en prendre l’initiative et promouvoir de façon officieuse cette option – avant d’entreprendre, d’ici une semaine, le processus officiel de consultation des partis de la Knesset  et de confier à l’un des candidats la mission de former un gouvernement.

Est-ce qu’un tel gouvernement pourrait aller vers la paix ? Mener de réelles négociations ? Consentir au démantèlement des colonies ? Accepter un État palestinien? Reconnaître un gouvernement palestinien d’unité comprenant le Hamas?

C’est difficile à imaginer. Dans le meilleur des cas, il poursuivra la séquence de négociations sans objectifs, il continuera tranquillement à étendre les colonies, il mènera Barack Obama par le bout du nez et mobilisera le lobby pro israélien pour faire obstacle à toute initiative américaine réelle vers la paix. Le cours des choses ne changera pas.

ISRAËL PEUT-IL changer de comportement? Une réelle alternative en faveur de la paix peut-elle se présenter ?

Les deux partis « sionistes de gauche » ont été nettement battus. Le parti travailliste comme le Meretz se sont effondrés. Leurs deux dirigeants qui se sont prononcés pour la guerre de Gaza et qui l’ont soutenue – Ehoud Barak du parti travailliste et Haim Oron du Meretz – ont reçu la sanction qu’ils ont amplement méritée. Dans une démocratie normale, l’un et l’autre auraient démissionné le lendemain des élections. Mais notre démocratie n’est pas normale et nos deux dirigeants insistent pour rester en place et conduire leur parti vers le prochain désastre.

Le parti travailliste est un cadavre ambulant – le seul « parti socio-démocrate » au monde dont le seul objectif du dirigeant est de rester ministre de la guerre. Lorsque Barak s’est évertué à répéter « qu’il n’y avait personne à qui parler » il a oublié la conclusion logique : « par conséquent nous n’avons besoin de personne avec qui parler ».

Le parti travailliste n’a pas de parti, pas de membres, pas de programme politique, pas de leader de rechange. Il échouera dans l’opposition comme il a échoué au gouvernement. Sauf miracle, il finira dans les poubelles de l’histoire.

Il y trouvera le Meretz qui l’y aura précédé. Un parti socialiste qui s’est écarté de sa route depuis longtemps : un parti sans racines dans les classes au bas de l’échelle socio économique, un parti qui a apporté son soutien à toutes nos guerres.

Il y a des gens qui croient à des solutions commodes : une union du parti travailliste et du Meretz par exemple. C’est l’union de l’aveugle et du paralytique. Il ne faut pas s’attendre à les voir gagner la course.

LE VRAI travail est beaucoup plus difficile. C’est une construction tout à fait nouvelle qu’il faut ériger à la place de celle qui s’est effondrée.

On a besoin d’une nouvelle gauche avec de nouveaux dirigeants issus des secteurs que l’on a tenus à l’écart : les Orientaux, les Russes et les Arabes. Une nouvelle gauche qui exprimera les idéaux d’une nouvelle génération, des gens de paix, des avocats du changement social, des féministes et des verts, qui tous comprendront que l’on ne peut réaliser un idéal sans les réaliser tous. Il ne peut pas y avoir de justice sociale dans un État militaire ; personne ne s’intéresse à l’environnement lorsque les canons tonnent, le féminisme est incompatible avec une société de machos juchés sur des tanks, il ne peut y avoir aucun respect pour les Juifs orientaux dans une société qui méprise la culture de l’Orient.

Il faudra que les citoyens arabes quittent le ghetto où on les a relégués et qu’ils commencent à parler  avec les juifs et les Jusif doivent parler avec les Arabes sur un pied d’égalité. Le slogan de Liberman « Pas de citoyenneté sans loyauté » doit être retourné en : « Pas de loyauté sans réelle citoyenneté ».

Comme l’a fait Obama aux États-Unis, il faut créer une nouvelle langue, un nouveau vocabulaire pour remplacer les vieilles phrases fatiguées.

Beaucoup, beaucoup doit être changé si l’on veut sauver l’État.

QUANT À madame Tantale : elle a la possibilité d’apporter sa contribution à ce processus de changement, sinon sa torture va continuer.

Faisant écho à Pyrrhus, roi d’Épire et de Macédoine, elle pourrait très bien dire : encore une victoire comme celle-là et c’en est fait de nous.

Article en anglais, Ms Tantalus, Gush Shalom, le 14 février 2009.

Traduit de l’anglais pour l’AFPS : FL

Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom.  



Articles Par : Uri Avnery

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