Misère morale en Algérie : Le mimétisme ravageur d’un Occident pervers

«Je sais comment gouverner l’Univers. Pourquoi devrais-je courir après un million?!» Grigori Perelman, mathématicien de génie

Un scoop! L’élection de Miss Algérie dans un grand hôtel algérois. A savoir que dans l’Algérie de 2014, plus que jamais le peuple est «accompagné» dans ce qu’il y a de plus stérile en termes d’intelligence de créativité. Ainsi, rituellement comme au temps de l’Empire romain décadent on distrait la plèbe, la canaille, les «sans-dents» dirait le président Hollande avec du pain et des jeux de cirque: «Panem et circenses».

On flatte toutes les pulsions débilisantes avec les émissions de type «star’ac» encore un autre mimétisme, avec des chanteurs payés à prix d’or sans compter naturellement l’opium du peuple qui nous coûte les yeux de la tête, le football et le marécage de sa gestion avec en prime un comportement de hooligan dans les stades.Le scoop en question ne vient pas uniquement de notre impuissance à aller vers l’intelligence, la créativité, il vient de la cérémonie qui a permis à une dame du showbiz français de venir donner sa bénédiction à des indigènes qui n’ont pas encore déprogrammé le logiciel de la soumission intellectuelle et de la colonisation mentale.

Bref, cette honorable dame invitée avec tous les honneurs s’est permis – nostalgérie aidant – de faire une allusion malheureuse à l’Algérie française. «… Ces jeunes filles qui représentent justement cette belle nation qui est… L’Algérie française. «En voulant se rattraper, elle aggrave encore plus son cas:«… L’Algérie est française en même temps (…) il n’y a que la Méditerranée qui nous sépare». Les protestations sont immédiates dans la salle mais elle poursuit: «L’Algérie est comme la Guadeloupe et la Martinique»

Que n’a-t-elle dit, les foudres de l’enfer se sont abattues sur elles! chacun se défaussant sur l’autre. En fait la faute, n’est pas dans ce qu’elle a dit, mais ce que nous faisons de l’imaginaire de nos jeunes pour les amener à ce degré de décrépitude morale pour faire d’un voyeurisme au nom de la modernité que l’on nous assène, qui consiste non pas à montrer ce que nous savons faire dans des joutes scientifiques culturelles, mais à aller vers le culte du corps et non celui de l’esprit.

La faute ne vient pas des organisateurs lampistes lambda qui n’ont fait que mettre en musique une « demande  sociale ». Il vient plus globalement de l’errance,  de l’état d’esprit qui fait le manque de cap culturel, le désarmement moral, le laisser-aller sans stratégie d’ensemble fait que chacun se croit autorisé à faire ce que bon lui semble, à être dans l’air du temps, à singer  ce que l’Occident a ce plus pervers, alors que le pays risque de s’effriter identitairement et est en passe de rater le train du progrès.

Avec une lucidité que je découvre,  l’universitaire Aissa Hirèche fait avec humour, mais aussi  avec une rage contenue, le procès de cette déchéance et ce désarmement culturel: «A force de regarder écrit-il, les concours des miss, ailleurs, les nôtres ont d’abord cru que c’est une obligation que d’en avoir chez nous. Ensuite, ils sont convaincus qu’il  s’agit là d’un des moyens les plus sûrs pour arriver rapidement au développement économique et social du pays. Alors ils ont foncé.(…) On fait appel à quelqu’un de célèbre et on lui donne l’image du pays entre les mains. On l’a déjà fait avec Maradona, vous souvenez-vous? C’était pour lancer la 3G. Ah, la fameuse 3G! Or, qui pourrait rehausser le concours national de Miss Algérie 2014, ce concours sans lequel nos universités resteraient les dernières au monde et nos hôpitaux continueront à être des mouroirs? (…) (..) Nous sommes classés derniers partout, dans tous les domaines et, au lieu d’organiser des concours du meilleur innovateur, de la meilleure entreprise, et toutes ces choses qui font motiver les gens au travail, tout heureux, nous organisons des concours de miss que nous veillons bien, ensuite, à gâcher.(1)

Maryam Mirzakhani, première femme à décrocher la médaille Fields

L’heureuse «élue» , miss Algérie,  étudiante en informatique compte représenter dignement le charme, la beauté, la culture et les «valeurs de la femme algérienne» Quelles sont les «valeurs» qui pourraient nous permettre de conquérir le monde? Celle qui consistent à singer  la  dimension rétrograde d’un Occident  pervers, au lieu de le suivre dans ce qu’il a de plus performant avec  des valeurs comme  celles de la science, de l’effort, de la sueur, du travail bien fait?

De ce fait, pendant que les Algériens s’occupent de se divertir en empruntant la pente dangereuse de la facilité – pour se changer les idées-  le monde avance.  Les Algériennes et les Algériens seraient bien inspirés de suivre des des personnes  admirables qui sont des exemples à suivre. Justement pour parler d’informatique et plus généralement de mathématiques, une information passée inaperçue, celle de l’octroi de la médaille Fields équivalent du prix Nobel de mathématiques, en août 2014 pour la première fois à une femme, une musulmane de 37 ans! Maryam Mirzakhani. Coup double ! L’Iran n’est pas synonyme de goulag comme le martèle l’Occident !

Nous lisons son parcours: «Pur produit du système éducatif iranien, Maryam Mirzakhani, est la première femme à recevoir ce prix, créé en 1936. Déjà à 21 ans, la jeune prodige s’était distinguée comme une scientifique prometteuse. En 1994, elle est la première fille iranienne médaillée d’or aux Olympiades internationales de mathématiques (IMO) qui permettent aux lycéens du monde entier de se mesurer à travers une série de problèmes de haut niveau. L’année suivante, elle obtient la note parfaite: 42 sur 42, et finit numéro un mondial. A l’époque, les responsables du ministère de l’Education constatent un manque d’intérêt croissant des élèves pour les maths et estiment que l’organisation de concours au niveau national pourrait remotiver les élèves. Cependant, l’aspect idéologique n’est pas à négliger, la République islamique souhaite montrer ses capacités scientifiques à l’échelle internationale. Le travail intense de sélection et de préparation ainsi que le talent indéniable des élèves iraniens finiront par payer. En 1998, l’Iran termine premier aux Olympiades devant les Etats-Unis.(2)

En Iran: un système éducatif élitiste

Maryam Mirzakhani fut élève au lycée Farzanegan de Téhéran, qui dépend de l’Organisation pour le développement des talents brillants, dont le but est de repérer les élèves surdoués ou en tout cas les meilleurs, à travers des concours nationaux, au collège et au lycée. Les lauréats font alors leurs études dans des établissements spécifiques avec un programme beaucoup plus poussé que dans la filière classique. (….) Contrairement aux idées reçues, en Iran, les femmes sont bien plus présentes que les hommes à l’université. (…) Par ailleurs, en Iran, l’enseignement secondaire a été libéralisé à outrance, les établissements publics ont aujourd’hui un niveau très médiocre comparé à ceux du secteur privé qui coûtent très cher. Et la concurrence est rude entre les écoles privées qui vantent leur nombre d’admis aux concours d’entrée aux universités, un concours ultra sélectif. Pour étudier à l’université Sharif de Téhéran, il faut ainsi finir parmi les cent premiers sur environ un million de participants.

Le système éducatif iranien est donc devenu au fil du temps ultra élitiste, basé sur une compétition incessante organisée depuis le collège et jusqu’à l’université. Selon le quotidien Shargh, 76% des Iraniens médaillés dans les olympiades internationales en mathématiques, entre 1993 et 2013, se trouvent actuellement dans les plus grandes universités américaines (…) Après avoir passé les premières années universitaires à Sharif, elle choisit de partir pour obtenir un doctorat à Harvard, avant de traverser les Etats-Unis pour enseigner à Stanford, en Californie.» (2)

Il a fallu donc attendre 78 ans avant que la médaille Fields ne soit décernée à une femme. L’annonce a été faite lors du Congrès international des mathématiques qui s’est tenu à Séoul, en Corée du Sud. «C’est un grand honneur. Je serais contente si cela encourage de jeunes scientifiques et mathématiciennes, a écrit la lauréate sur le site de Stanford. Je suis sûre qu’il y aura de nombreuses autres femmes qui remporteront ce genre de récompenses dans les années à venir.» «Je crois que beaucoup d’étudiants n’accordent pas assez de chance aux mathématiques. J’ai été mauvaise en maths pendant quelques années à l’école. Je peux comprendre que sans l’excitation, les mathématiques peuvent sembler inutiles et froids. Leur beauté ne se dévoile qu’à leurs disciples les plus patients.» (3)

Mercredi 13 août, le président iranien, Hassan Rohani, a posté un tweet félicitant Maryam Mirzakhani, lauréate de la médaille Fields de mathématiques: «Félicitations» à celle qui «devient la première femme à remporter la médaille Fields et rend les Iraniens très fiers», écrit le dirigeant de la République islamique sur son fil Twitter, Hassan Rohani prend le soin d’accompagner son témoignage de soutien de deux photos de la scientifique: l’une d’elle sans voile, l’autre avec un voile. Quelques minutes après le tweet du président félicitant Maryam Mirzakhani, Hamid Farajollahi, estimait que Hassan Rohani avait «brisé un tabou qui dure depuis des décennies» en Iran.

Est-ce étonnant de la part des héritiers de  l’empire perse de Darius ?

Du point de vue contribution au patrimoine de l´humanité, on doit aux Perses la diffusion de l´alphabet et l´écriture, la Route de la soie, les contes des Mille et Une Nuits. Pour l’histoire, la Perse (Iran actuel) était le berceau de la civilisation. Elle a toujours eu une grande contribution aux progrès mathématiques et scientifiques grâce aux grands hommes comme al-Khawarizmi (l’inventeur de l’algèbre), Omar Khayyam (Résolution des équations du 3ème degré par la méthode graphique…), Al Birouni, Avicenne, Kashani, Nasserdine Attoussi Razi,dit Al Razes, (médecin et chimiste) et beaucoup d’autres ».(4) (5)

Tous ces scientifiques étaient persans et musulmans! Ils n’étaient pas, il faut le souligner, arabes! Plus près de nous, Ebay est une création de M.Omydiar, le vice-président de Google est M.Omid Kordestani, le maire de Beverly Hills est Jamshid Delshad… Shirin Abadi est la seule femme musulmane à avoir reçu le prix Nobel. Au niveau scientifique, ces dernières années, on pourra retenir le nom du Pr Ali Javan, l´inventeur du laser à gaz (1960). En médecine, le coeur artificiel a été inventé par le Dr Toffy Musivand. La première greffe de rein est iranienne (1967 à Chiraz) et de même la première greffe de foie (1995). (4) (5)

De nos jours, l´Iran est une puissance technologique, performante ; Elle est à des années lumières des autres pays musulmans. Elle fabrique ses chars, ses avions et ses drones. Selon le Global Security (organe du Pentagone), l’armée de l’air iranienne est, quant à elle, capable de construire des avions de chasse type F4, des F5, et des F-17. Sa marine compte six sous-marins type SSK Kilo et serait en train d´en terminer quatre autres. Ses missiles sont très divers, de courte, moyenne et longue portée. Par ailleurs, l’Iran a créé et a mis en son orbite, on premier satellite. (5)

Dans un article élogieux, publié le 18 août 2008  le journal américain Newsweek que l’on ne peut pas soupçonner pourtant, d’empathie avec l’Iran,  décrit le miracle: «On y relève quelques éléments aussi intéressants que…surprenants! En 2003, surprise des responsables du département d’«Electronical Engineering» de l’Université de Stanford, qui constatent que les meilleurs étudiants aux difficiles épreuves d’admission à leur cycle Ph.D. proviennent d’un même pays et d’un même établissement: la «Sharif University of Science and Technology» en Iran. Sharif dispense, selon de nombreux spécialistes, l’un des meilleurs programmes «undergraduate» (niveau licence) du monde en electronical engineering en compétition avec le MIT, Caltech, Stanford, Tsinghua et Cambridge. Les parents privilégient, s’agissant de l’orientation scolaire de leurs enfants, les formations d’ingénieurs et la médecine aux autres disciplines Une sélection rigoureuse: chaque année 1500.000 lycéens passent un examen d’entrée à l’université, 10% d’entre eux s’orientent vers les universités publiques les plus prestigieuses et 1% parmi les plus brillants, telles que Sharif. Un excellent corps enseignant scientifique. Priorité est donnée aux sciences dans les programmes scientifiques des lycées. Un succès certes surprenant, mais qui -c’est certain- ne doit rien au hasard (6).

Le summum du savoir, de l’humilité

Dans le même ordre de l’effort, il existe des personnes non obnubilées par l’appât du gain ou la célébrité à tout prix, même si la morale est piétinée Ainsi, le mathématicien russe Grigory Perelman a refusé la médaille Fields, considérée comme le «Nobel des mathématiques», octroyée, en août 2006 pour ses recherches sur la «conjecture de Poincaré», un casse-tête vieux de plus de cent ans.

L’Institut de mathématiques Clay, lui a décerné le prix du Millénaire le 18 mars 2010 doté de 1 million de dollars. Perelman refuse le prix comme il refuse toutes les distinctions. Il vit reclus avec sa vieille mère dans un logement dénué de tout confort du quartier populaire de Saint-Pétersbourg.

Ce que je crois

Les vrais défis du pays ne sont pas ceux de faire dans la durée à un poste, mais d’avoir une vision, non pas celle de suivre cette jeunesse dans l’air du temps, mais de lui indiquer le devoir envers le pays, par la contribution de chacun je suis sûr qu’en interrogeant les jeunes de l’Algérie profonde ils ne comprennent pas à quoi rime tout ce cirque qui consiste à singer les autres, pas dans le travail, la sueur, l’effort, la créativité et les nuits blanches, mais dans celui de l’amusement, de la drogue, de la star,ac, des «acteurs» que l’on fait venir à coup de centaines de milliers de dollars ou de chanteurs (es) qui ramassent en une nuit ce que de besogneux gagnent en une vie ou encore des footballeurs offshore qui nous donne l’illusion du bonheur alors que le vrai bonheur est dans la conviction d’avoir été utile et d’avoir contribué à l’édification du vivre ensemble et à la protection du bien commun.

Imaginons pour rêver qu’il y ait en Algérien des concours de performance en tout, en sport, aux jeux d’échecs, en mathématiques. Imaginons que l’on invite Myriam Mirzakhaniou encore Gregory Perelman, je suis sûr qu’ils apporteront par leur présence, leur aura, une dimension formidable à la quête de science dans ce pays.

Imaginons que l’on fasse des Olympiades de la performance et qu’on récompense les meilleurs. Imaginons que nous disons à chaque écolier, à chaque  étudiant d’être utile en plantant un arbre, c’est au total 10 millions d’arbres qui formeraient le plus sûr barrage contre le changement climatique. Imaginons cette jeunesse en panne de cap fascinée par l’avenir et prête à se défoncer pour le pays, c’est aux hommes politiques de leur donner du grain à moudre au lieu de  les habituer à la pente dangereuse de la facilité, porteuse de tous les dangers..

Les effets d’annonce  actuels ne sont que de la poudre aux yeux. De sursis en sursis, la crise morale est toujours là. La brillante performance de la jeune iranienne ne doit rien au hasard, elle est issue d’un creuset de l’élite, mot encore tabou en Algérie. Jusqu’à quand nous ne comprenons pas qu’il faut faire la place aux légitimités du neurone? Mettons en place comme en Iran, pour commencer une Organisation pour le développement des talents brillants. C’est un chantier difficile, mais les générations futures seront reconnaissantes de leur avoir indiquer la seul vraie voie qui permet de projeter l’Algérie dans la modernité.

 Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

1.Aissa Hirèche: Concours de l’élection de miss Algérie L’Expression 08 09 2014

2.http://libeteheran.blogs.liberation.fr/lettres_de_/2014/08/fields.html

3.http://news.stanford.edu/news/2014/august/fields-medal-mirzakhani-081214.html

4.Chems Eddine Chitour septembre 07, 2011 http://www.mondialisation.ca/le-d-veloppement-technologique-de-l-iran-un-r-sistant-contre-le-nouvel-ordre-mondial/26435

5.Farsnews – Le 1er vol de l´avion de combat, «la foudre», «made in Iran».05 août 2007

6.Daniel Laurent. Et si l’Iran nous donnait des leçons en matière d’enseignement supérieur? Education/ Recherche, jeudi 28 août 2008.

 

Article de référence : http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_ professeur_ chitour/202010-le-mimetisme-ravageur-d-un-occident-pervers.html

 

 

 



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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