No du Chili et The Sapphires d’Australie

No, réalisé par Pablo Larraín, scénario de Pedro Peirano, basé sur la pièce d’Antonio Skármeta; The Sapphires, réalisé par Wayne Blair, scénario de Tony Briggs and Keith Thompson.

 

No, du réalisateur chilien Pablo Larraín (né en 1976), est le dernier film d’une trilogie sur les conditions de vie sous la dictature de Pinochet, un régime mis en place par Washington sous lequel des dizaines de milliers de Chiliens furent emprisonnés, torturés et assassinés entre 1973 et 1990.

No

Aussi bien dans Tony Manero (2008) et Post Mortem (2010), les protagonistes de Larraín’s sont des personnages assez répugnants. Dans le premier film, qui se déroule à Santiago en 1978, un tueur psychopathe est obsédé par le film Saturday Night Fever (1977), alors que dans le second, l’assistant introverti d’une morgue, manifeste très peu d’émotion face à la répression sanglante qui déferle au début de la dictature en 1973. Les deux films sont désagréables.

Le dernier film de Larraín se déroule en 1988 lorsque le dictateur militaire Augusto Pinochet est forcé de tenir un plébiscite sur sa présidence. Le résultat du plébiscite va déterminer s’il dirigera ou non pour une autre période de huit ans.

Les dirigeants de l’opposition pour le NO (NON) vont demander et obtenir l’aide d’un jeune cadre d’une compagnie publicitaire, le fictif René Saavedra (Gael García Bernal), récemment de retour du Mexique où il était en exil. Le camp du NON est préoccupé par le fait que les Chiliens ne voteront pas, soient par crainte de représailles ou par conviction que le référendum est truqué. De fait, l’épouse séparée de René, Verónica (Antonia Zegers) une activiste de gauche, l’accuse de donner de la crédibilité au régime en participant au référendum.

René, l’employé d’une agence de publicité dont le directeur, Lucho Guzmán (Alfredo Castro, un acteur régulier de Larraín), est l’organisateur des relations publiques pour la dictature. Lucho réprimande René, prétendant que le vote du NON est financé par Cuba, le Nicaragua et l’Union soviétique, alors que les invincibles Américains et la CIA appuient Pinochet.

Dans le camp du NON, René s’oppose à ceux qui veulent gagner la populace en soulignant les actes meurtriers de la dictature. Il rejette l’idée d’une campagne publicitaire qui montre des images de torture et d’assassinats. Au lieu de cela, il crée un logo arc-en-ciel, représentant l’unité de tous les partis politiques, de droite et de gauche, accompagné du slogan, «Chili, le bonheur est pour bientôt.» Le réalisateur affirme que les efforts de René comptent pour une grande part dans la victoire du NON.

No nous présente des images d’archives documentant les crimes du régime de Pinochet, ainsi que la célébration de masse qui suivit sa chute. Le gros-grain de la pellicule de ces images d’archives est délibérément ajouté au reste de la cinématographie du film, un choix esthétique discutable.

C’est là cependant le moindre des problèmes du film. Le plus évident c’est la prémisse selon laquelle, une «démocratie» mal définie, éradiquant 17 années d’une dictature sauvage et profitant à toutes les classes sociales, peut être introduite par une brillante campagne de relations publiques.

Les événements tragiques survenus au Chili dans les années 1970 sont complexes, mais Larraín dans son film ne tente pas de les aborder. Les circonstances ayant mené au coup d’État de septembre 1973 ne sont aucunement considérées, cet événement même demeure donc un mystère. Une situation prérévolutionnaire existait au Chili, mais le gouvernement d’Unité populaire de Salvador Allende, qui comprenait des membres du Parti communiste et d’autres ministres «de gauche», a démobilisé et désarmé la classe ouvrière et rendu possible le coup d’État militaire appuyé par la CIA.

Le film ne se soucie pas plus d’examiner les réelles questions en jeu et les forces sociales engagées dans le référendum de 1988. Plusieurs des mêmes partis et mouvements ayant rendu possible la prise du pouvoir des militaires 15 ans plus tôt négociaient maintenant avec les bouchers pour une transition pacifique vers laquelle les fondements du capitalisme chilien demeureraient intacts.

L’opposition bourgeoise avait déjà accepté la constitution de 1980 rédigée par Pinochet, qui prescrivait un retour vers une «démocratie protégée» pour la fin des années 1980. Sous cette constitution, Pinochet demeurait sénateur à vie et l’armée continuait de jouer un rôle clé.

Dans sa biographie électorale, Ricardo Lagos du Parti socialiste prétendait qu’il «était l’un des plus tenaces représentants favorables à la participation au plébiscite de 1988 visant à ressusciter la démocratie».

La coalition du Parti socialiste, du Parti pour la démocratie (PS-PPD), des démocrates-chrétiens et d’autres, connu sous le nom de Concertatio, gagna sa première élection présidentielle en 17 ans. La minceur du vernis «démocratique» chilienne fut exposée en 1998 lorsque le gouvernement dirigé par le président Eduardo Frei Ruiz-Tagle condamna l’arrestation et la détention de Pinochet par les autorités britanniques.

Pourquoi le film présente-t-il un compte rendu aussi superficiel et trompeur de l’histoire du Chili? Un programme bien défini est à l’oeuvre. Dans une entrevue Larraín affirme que « sous Salvador Allende, le Chili était un projet socialiste, ensuite Pinochet entra en scène et, fondamentalement, imposa le système capitaliste, et bien entendu le système capitaliste amène avec lui la logique de la publicité et du marketing… donc finalement il a créé son propre poison, il a créé sa propre voie de sortie sans le savoir, et ce paradoxe est très intéressant».

L’affirmation ici, que «paradoxalement» les choses s’arrangèrent plutôt bien à la fin, est très irréfléchie et irresponsable à l’extrême. En 1988, la «transition vers la démocratie» était favorisée par des sections de la bourgeoisie chilienne, et même par ses souteneurs américains, autrement le référendum n’aurait jamais eu lieu ou son résultat accepté. L’extermination ou l’intimidation de milliers d’opposant de gauche et de syndicalistes à «nettoyé» la classe ouvrière chilienne de beaucoup de ses éléments dangereux. Le retour à la démocratie parlementaire, en d’autres termes, s’est effectué à travers l’empilage de cadavres.

L’accent mis dans No sur une intelligente campagne de relation publique rappelle la perspective de l’organisation Adbuster Media Foundation, créditée pour l’initiative du mouvement Occupons Wall Street. L’organisation «pas-pour-le-profit, anticonsommation, pro-environnementaliste» se décrit elle-même comme étant « un réseau mondial d’artistes, d’activistes, d’écrivains, de farceurs, d’étudiants, d’éducateurs et d’entrepreneurs qui veulent faire progresser le nouveau mouvement social d’activistes à l’ère de l’information. » C’est la perspective d’une riche couche mondiale d’activistes d’ONG, d’altermondialistes, de verts, et d’autres «progressistes». Elle est loin de se préoccuper des conditions et du sort de la classe ouvrière.

À qui Larraín s’adresse-t-il, au Chili ou ailleurs? Après tout, de larges couches de la population chilienne, ayant voté ou non au plébiscite de 1988, n’avaient pas besoin d’être convaincues pour s’opposer à la dictature. Elles haïssaient avec toutes les fibres de leur corps le régime qui a sadiquement réprimé l’opposition et appauvri des millions de personnes. Le réalisateur s’adresse à ceux qui considéraient légitime le débat sur la poursuite ou non du régime de Pinochet. Un film limité pour une audience limitée.

 

The Sapphires

«Quatre-vingt-dix pour cent de la musique produite sont de la merde. Les dix autres pour cent c’est du soul», déclare le personnage du film australien The Sapphires, réalisé par Wayne Blair.

The Sapphires

La pièce de théâtre présentée en 2004 de l’écrivain et acteur aborigène Tony Briggs, maintenant adaptée pour le cinéma, est basée sur l’histoire de la mère de Briggs, Laurel Robinson, chanteuse du groupe composé uniquement de femmes aborigènes qui fit une tournée au Vietnam à la fin des années 1960 pour divertir les troupes américaines et australiennes.

Voulant échapper à la pauvreté et l’isolation de leur réserve aborigène, les soeurs Gail (Deborah Mailman), Cynthia (Miranda Tapsell) et Julie (Jessica Mauboy) participent à un concours d’amateurs dans une ville voisine. Ayant été confrontées aux railleries racistes et à d’autres compétiteurs sans talents (qui sont «allergiques à la musique»), les filles attirent l’attention d’un homme à moitié sobre (donc à moitié ivre), Dave Lovelace (Chris O’Dowd), un promoteur irlandais en manque de chance («Vous êtes le meilleur groupe de chanteuses aborigènes que je connaisse… Vous êtes le seul groupe de chanteuses aborigènes que je connaisse.»)

Dave prend les jeunes femmes sous son aile, et leur fait abandonner leur répertoire country et western pour un répertoire Motown. Ils arriveront éventuellement à Melbourne, ou les soeurs retrouveront leur cousine, Kay (Shari Sebbens) – enlevée par le gouvernement des années auparavant; une des enfants de la Génération volée – et qui vend maintenant des plats Tupperware à la classe moyenne blanche.

Une audition et un changement de nom, de Cummeragunja Songbirds pour The Sapphires, accomplis de façon relativement aisée et avec désinvolture, propulse Dave et les membres du groupe au Vietnam, ou elles aiguisent leurs talents musicaux et s’engagent dans des aventures amoureuses au beau milieu de la guerre.

Amusant et charmant The Sapphires n’a aucune intention malveillante, la question est quelles intentions, de quelque nature que ce soit, a-t-il?

Les meilleurs segments du film se déroulent lors de la formation du groupe en Australie. Le comédien et acteur David O’Dowd est hilarant et irrésistible. Mailman, Mauby, Sebbens et Tapsell sont attachantes et n’ont pas la langue dans leur poche. De plus, le film profite d’une riche bande-son de musique classique R&B et soul.

The Sapphires

Les scènes au Vietnam sont inévitablement plus problématiques. Plus les questions en jeu sont importantes et chargées, plus le film perd en légèreté et en amusement. De plus, même si les problèmes de l’oppression de la communauté aborigène sont aseptisés dans le film, ils prennent facilement préséance sur l’oppression des victimes vietnamiennes. Il est difficile de mettre son cerveau en veille lorsque le film montre The Sapphires divertissant les soldats (la contribution australienne à la guerre n’est jamais mentionnée) d’une armée d’envahisseurs impérialiste.

Il est intéressant de noter que dans la vraie vie, seules Laurel Robinson, alors âgée de 21 ans, et sa soeur Lois Peeler, sont allées au Vietnam. Elles remplacèrent leurs cousines Beverly Briggs et Naomi Mayers, elles aussi deux soeurs, qui avaient refusé d’y aller pour protester contre la guerre.

Tout ceci étant dit, il est rare de voir un film avec autant de gentillesse, un film où l’on s’attache de tout coeur à des personnages pour qui on a les meilleurs sentiments.

(Article original paru le 12 avril 2013)



Articles Par : Joanne Laurier

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